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Billet de blog 28 juillet 2022

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L'impasse des coalitions

Les diverses péripéties auxquelles s’est heurtée l’Assemblée nationale issue des élections législatives de 2022 illustrent l’impasse de la logique des coalitions dans la vie politique.

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Les coalitions dans la vie parlementaire

Dans la vie parlementaire, les coalitions désignent des alliances de députés membres de partis différents dans le but d’exercer ce que l’on peut appeler un pouvoir politique partagé. En Europe, le pays dans lequel les coalitions ont toujours joué un rôle majeur dans la vie parlementaire est, sans doute, l’Allemagne. En effet, dans ce pays, et cela depuis longtemps, les gouvernements et les majorités parlementaires sont composés de « coalitions », notamment entre les sociaux-démocrates et les chrétiens-démocrates. La France de la Troisième et de la Quatrième République connaissait, elle aussi, des coalitions formées de parlementaires issus de partis différents, mais, finalement, souvent assez proches les uns des autres pour gouverner ensemble au prix de compromis. Dans la vie parlementaire, le système des coalitions consiste dans ce que l’on pourrait appeler la domination de l’institution par des négociations et par des marchés. Le système des coalitions donne à l’Assemblée une logique comparable à celle de l’agora athénienne : la vie parlementaire est dominée par une logique de marché (c’est le sens du mot agora). C’est, d’ailleurs, ce qui a conduit, en Italie, M. Draghi à démissionner, devant l’impossibilité de gouverner. Finalement, si l’on réfléchit bien, les exécutifs fondés sur des coalitions mettent en œuvre des politiques de gestion au lieu d’engager de véritables politiques, manifestant de véritables engagements.

L’impossibilité des coalitions dans la vie politique française

La composition de l’Assemblée nationale issue des élections législatives de 2022 empêche que se dessine une majorité claire et homogène, comme c’était le cas depuis les débuts de la Vème République. C’est sans doute la première fois dans l’histoire de notre régime que se construisent – que se négocient, devrait-on plutôt dire – des coalitions de gouvernement, car ni la NUPES ni Renaissance ni les Républicains n’ont obtenu de majorité suffisante pour pouvoir gouverner et, en revanche, le Rassemblement national a assez de députés pour pouvoir empêcher les initiatives de groupes parlementaires ou de l’exécutif d’obtenir des majorités suffisantes pour faire adopter leurs projets. Dans l’histoire politique de notre pays, les coalitions semblent ne mener à rien – sauf, peut-être, dans le régime de la IVème République (1946-1958), car il convient, tout de même de noter que ce sont les pouvoirs issus de ce régime qui ont reconstruit le pays après la guerre, parce qu’il s’agissait, comme en Allemagne ou en Italie, de régimes dominés par la 8ie parlementaire. Si la Vème République, instituée à l’initiative de de Gaulle en 1958 et modifiée, en 1962, par l’élection du président au suffrage universel direct, a rendu les coalitions incapables de se voir reconnaître un pouvoir réel, c’est parce qu’elle a réduit les pouvoirs de l’Assemblée, en soumettant celle-ci à la majorité issue des élections législatives. Or, c’est la première fois que nous nous trouvons devant une majorité si peu claire à l’Assemblée nationale confrontée, avec l’exécutif, à l’impasse politique des coalitions, et à la nécessité, pour les partis et pour les groupes parlementaires, de s’entendre les uns avec les autres, sur la base d’accords de circonstance.

Les coalitions : un affaiblissement de l’expression des identités politiques

Si l’on réfléchit bien, les coalitions se fondent sur des compromis entre partis et entre acteurs politiques qui conduisent à un affaiblissement de l’expression des identités politiques : les assemblées ne sont plus des espaces politiques de confrontation, mais elles deviennent des espaces d’échanges, voire de trocs, entre les partis dont sont membres les députés. Un régime de coalition est un régime dans lequel les projets des partis deviennent des projets composés de petits bouts des projets des partis membres de la coalition, ce qui conduit à l’expression de projets dont l’engagement et la signification sont affaiblis. Au demeurant, seule une social-démocratie sans réel engagement est en mesure de s’allier, pour gouverner, à des partis de droite. Or, les identités politiques se fondent sur la confrontation, au lieu de se fonder, comme les identités psychiques singulières, sur l’identification symbolique à l’autre dans la logique du miroir. La vie politique, elle, met en jeu les confrontations entre partis et entre projets différents, et c’est même de cette confrontation que naissent les projets, fondés sur l’exigence de différenciation et d’antagonismes les uns vis-à-vis des autres. La disparition des antagonismes entraîne l’affaiblissement de l’expression des identités politiques, et, à terme, leur disparition. Sans doute est-ce ce qui a donné aux Insoumis leur position un peu dominatrice à gauche : ils ont, eux, manifesté, d’emblée, leur exigence d’exprimer une opposition claire vis-à-vis du président sortant et de son projet politique.

Les coalitions révèlent les fondements des identités politiques des partis et des acteurs politiques

Mais il faut aller au-delà : sans doute les coalitions, qui conduisent les partis à négocier des compromis avec d’autres, font-elles apparaître des identités cachées en les obligeant à des choix. C’est ainsi, justement, que l’on a pu voir, à l’Assemblée, les députés du Rassemblement national, mettre leurs voix en commun avec ceux de Renaissance et des Républicains : l’ancrage à droite de ces partis était nettement affirmée. Peut-être peut-on aller plus loin et imaginer que les coalitions manifestent ce que l’on peut appeler une forme d’inconscient politique. En effet, pour ne choisir qu’un exemple, ce n’est pas à gauche que l’exécutif est allé chercher les voix qui lui manquaient pour faire adopter son projet de loi sur le pouvoir d’achat, mais bien du côté de la droite, en obtenant le soutien d’une partie des députés Républicains et des députés du Rassemblement national. Ce n’est pas un hasard si, de cette manière, le parti présidentiel s’est clairement ancré à droite, au lieu de tenter de faire croire, comme au début, qu’il tentait de se situer à la fois à gauche et à droite, dans une logique du « en même temps », impossible à tenir dans la vie politique contemporaine.

Unions et coalitions

C’est en ce point qu’il convient de distinguer ces deux termes du vocabulaire politique, union et coalition. Les coalitions réunissent des partis et des acteurs porteurs d’identités et de projets différents voire antagonistes et la coalition les amène à mettre une sourdine à leurs engagements. Le système de la coalition conduit les partis à une sorte de refoulement de leur identité. En revanche, ce que l’on appelle les unions, comme, aujourd’hui, la N.U.P.E.S., consiste dans des alliances, ou dans des réunions, de partis destinées à leur donner plus de force dans la confrontation avec les autres et, par ailleurs, à formuler des projets mieux affirmés et plus clairement explicités, en raison, précisément, de la nécessité de mieux préciser leur place au sein de l’union à laquelle ils adhèrent. C’est là le véritable mot qui permet de comprendre, au fond, ce qu’implique la logique de la coalition : les coalitions sont fondés sur des nécessités stratégiques ou fonctionnelles, elles ne sont pas fondées sur des adhésions. C’est ainsi que le Front populaire, en 1936, ou, plus près de nous, les unions des partis de gauche, en 1965, en 1981 ou en 1997, ont permis à la gauche d’accéder au pouvoir et de mener une politique nettement affirmée de gauche. En faisant disparaître l’identité des partis qui les composent, en refoulant l’expression de ces identités, les coalitions ne peuvent que conduire à un affaiblissement de l’expression des partis et des acteurs politiques. Sans doute est-ce même sur cet affaiblissement que compte le président E. Macron pour mieux affirmer son pouvoir, en le fondant sur la faiblesse des autres partis et des coalitions qui peuvent être amenées à le soutenir.

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