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Billet de blog 28 août 2025

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REPENSER LA POLITIQUE DE L’ÉNERGIE

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La politique de l’énergie ne concerne pas seulement les usages de l’énergie proprement dite

On ne se rend pas compte, au premier abord, qu’un sac en plastique concerne la politique de l’énergie. Et pourtant…Ce sont les pays producteurs de pétrole et les entreprises pétrolières qui orientent nos politiques selon leurs propres projets et leurs propres intérêts dans tous les domaines. Or la production et la consommation ont pris, au fil du temps, des formes qui impliquent de plus en plus l’énergie, au point, justement, que la consommation de l’énergie est devenue un élément critique de nos conceptions de la politique et de la vie sociale. Nous avons fini par oublier que la production et la consommation impliquaient d’autres domaines que l’énergie nécessaire à la production, à la consommation et au transport. L’énergie est devenue une figure majeure de la politique - sinon, de nos jours, la figure centrale de la vie politique. Nous finissons par tout voir, par tout comprendre, par tout juger, sous le seul angle de l’énergie, au lieu de mieux penser les particularités des divers domaines de la raison politique. L’énergie est devenue une dimension particulière de la politique, à la fois pour concevoir une politique, pour l’évaluer et pour y adhérer ou la rejeter.

Usages et consommation de l’énergie

Comme dans beaucoup de domaines, notre société en est venue à confondre usage et consommation. La vieille distinction proposée par Marx entre valeur d’usage et valeur d’échange, autrement dit entre la valeur conçue par les usages des acteurs sociaux et la valeur imposée par le marché s’est vue peu ajouter une troisième valeur, celle de la consommation, c’est-à-dire celle de la valeur des usages imposés par le marché. Or c’est cette valeur-là, celle des usages imposés par les normes du marché, qui est dominée par la question de l’énergie, car les coûts de l’énergie et les profits de ses producteurs et de ses distributeurs dominent les usages sociaux imposés par les prescriptions de la société. Nous pensons les usages des biens que nous utilisons ou dont nous avons l’expérience dans notre vie sociale par les valeurs de l’économie d’usage, mais aussi par l’énergie qu’il nous faut utiliser. De la même manière que nous distinguons une économie singulière et une économie collective des usages et du marché, il nous faut concevoir une médiation politique de l’énergie, c’est-à-dire une articulation entre l’approche singulière de l’énergie et son approche collective. Les usages de l’énergie sont des usages singuliers, quand nous allumons une lampe ou quand nous mettons en mouvement l’énergie de notre corps, et des usages collectifs quand nous pensons la production et les usages de l’énergie à l’échelle d’une entreprise ou à l’échelle d’un pays. C’est pourquoi la consommation de l’énergie, comme tous les aspects de l’économie, se pense aussi bien à l’échelle singulière qu’à l’échelle collective.

L’énergie et l’environnement

La figure historique majeure de la dégradation de l’environnement par les usages de l’énergie est, bien sûr, de nos jours, le bombardement nucléaire d’Hiroshima et de Nagasaki, au Japon, par les bombardiers des États-Unis parce qu’ils voulaient être sûrs de gagner la guerre, eux. Il ne s’agissait pas seulement d’une dégradation ponctuelle de l’espace mais de la destruction d’un espace entier, dont celles et ceux qui y vivaient et leurs descendants n’ont toujours pas fini de payer le prix quatre-vingts ans après. Peut-être cet événement constitue-il le point de départ de l’élaboration de l’écologie politique et de la prise de conscience de sa nécessité. C’est par la pollution qui le dégrade que l’environnement est devenu une question majeure de la politique : c’est par la pollution que nous comprenons la dimension spatiale d’une politique et que nous pouvons en choisir une. Mais, dans ce domaine, l’énergie occupe une place essentielle. La production de l’énergie et ses usages polluent de plusieurs manières l’environnement dans lequel nous vivons. D’abord, il s’agit de la pollution de l’espace par les constructions imposées par la création et la distribution de l’énergie. Les centrales nucléaires, les constructions nécessitées par la distribution de l’énergie, après les mines de charbon et d’autres ingrédients de l’énergie, ont dégradé l’espace de façon irrémédiable et continuent de le faire. Ensuite, il s’agit de la pollution de l’espace que nous respirons qui porte atteinte à notre organisme et qui pollue l’ensemble du domaine du vivant dans l’espace restructuré par la société qui se l’est approprié. Enfin l’énergie pollue l’environnement par ses usages : c’est par l’usage immodéré des véhicules particuliers ou, justement, des matières plastiques, que la consommation d’énergie, devenue irrationnelle, dégrade l’espace dans lequel nous vivons. Mais cette pollution de l’environnement par les usages de l’énergie consiste aussi par l’illusion de toute-puissance que nous donne la maîtrise de l’énergie sans contrôle de sa consommation : nous détruisons nous-même l’espace que nous habitons en le détruisant par les usages incontrôlés de l’énergie destinés seulement au profit des entreprises productrices et distributrices. Elles nous enferment dans la prison sans fenêtres du marché de l’énergie.

Une autre politique de l’énergie

L’échec de la conférence sur le plastique devrait nous engager à imaginer une nouvelle politique de l’énergie. Une politique de l’énergie différente, devrait se caractériser par quatre éléments essentiels. Le premier est le souci politique de l’environnement. Au lieu de réduire l’impératif de la protection de l’environnement à un discours politique sans souci de la réalité, il devrait s’agir de formuler un discours politique sur l’énergie susceptible de proposer de nouveaux usages et de nouvelles formes de vie. Le second est l’élaboration d’une économie politique de l’énergie. Il s’agit d’une économie de l’énergie qui ne se réduise pas à celle d’un marché libéral indépendant des contraintes et des normes de vie sociale, mais qui imagine de nouvelles normes, de nouvelles lois de la production et des usages de l’énergie qui fassent l’objet d’un véritable débat et qui ait le souci de la liberté et de l’environnement des personnes autant ceux des pouvoirs et des entreprises. Un troisième facteur majeur de cette politique de l’énergie est l’égalité entre les pays. L’énergie est un domaine politique dans lequel se retrouve, finalement la vieille inégalité entre Nord et Sud, entre, d’un côté, les producteurs et les exportateurs et, de l’autre, les consommateurs, les usagers et les pouvoirs réels des marchés. Même si des organisations comme l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) ont donné une voix aux producteurs face aux consommateurs, elle n’a fait que soumettre les producteurs d’énergie à des lois imposées par le marché des pouvoirs des usagers collectifs, états puissants et grandes entreprises. Enfin, une autre politique de l’énergie se fonde sur la figure de la responsabilité. Ce qui caractérise le marché contemporain de l’énergie est qu’il est devenu complètement irresponsable, qu’il s’est lancé dans une fuite en avant complètement incontrôlable. Seule une conscience de la responsabilité peur faire retrouver à l’énergie la dimension d’une économie pleinement politique. Dans le domaine de l’énergie comme dans tous les domaines de la politique, la responsabilité consiste à pouvoir pleinement répondre, c’est-à-dire à avoir pleinement la conscience de l’autre. La responsabilité énergétique se fonde, d’abord, sur la préoccupation de l’avenir, de celles et ceux qui vivront après nous et à qui nous devons laisser un espace vivable et non un espace dégradé. Cette responsabilité politique de l’énergie repose, par ailleurs, sur le fait d’en finir avec les excès de la surconsommation. Cela suppose de changer nos modes d’usage de l’énergie et sur la recherche efficace de nouveaux modes d’énergie dits renouvelables. Mais cela impose aussi de concevoir les nouveaux mots de l’énergie.

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