Le président et le serveur
Une fois de plus, le chef de l’État a évoqué la question de l’emploi en disant à un jeune qu’il n’a que le vouloir et hop ! Il trouve un emploi. Il ne demande pas à ce jeune quel est son métier, ni quelle est sa qualification, il lui demande seulement s’il veut bien être serveur. Ce n’est pas pour rien qu’il parle d’être serveur : un jeune sans emploi est forcément « au service de ». Un serveur, c’est tout de même une sorte de serviteur. Et puis il n’y a pas besoin de formation pour cela. Cette attitude du président consiste dans un double mépris : pour le jeune, qui n’a pas besoin de formation, de qualification, qui est censé pouvoir être employé dans n’importe quel métier, et pour les serveurs, qui exercent tout de même un métier nécessaire pour que le domaine des loisirs et celui de la consommation puissent exister pleinement, comme des lieux où se construit une sociabilité. C’est ainsi qu’en se rendant à Marseille, dans cette grande ville du Sud, le président a trouvé, une fois de plus (il n’en perd jamais), une occasion de dire son dédain pour les classes populaires.
L’ignorance de ce que vivent les classes populaires
Ce dédain va donner au président une vision déformée de ce que vivent les classes populaires. C’est qu'à Marseille, le fossé entre les classes populaires et les privilégiés est peut-être plue profond qu’ailleurs. En allant visiter une cité des quartiers Nord de Marseille, la Busserine, E. Macron est allé regarder un monde qu’il ignore - et, d’ailleurs aussi, un monde qui l’ignore. Le président ne sait pas, il ne peut pas le savoir, ce que vivent les classes populaires : il ne fait que les visiter, comme s’il s’agissait de la visite d’un explorateur. À l’égard des quartiers populaires de Marseille, le président revient, en quelque sorte, à l’attitude des colons En découvrant un monde aussi étranger, il cherche à l’annexer, à faire de lui une colonie. En allant à la Busserine, dans les quartiers Nord de la métropole marseillaise, le président montre bien qu’il joue à être le président de tous les Français, mais qu’en réalité, il ne l’est pas. Tout au plus accorde-t-il un regard sur les cités, mais cela ne s’accompagne ni d’un plan réel d’urbanisation, ou de réorganisation de ces quartiers oubliés par les urbanistes, ni de l’élaboration d’un véritable projet de réhabilitation urbaine et de constitution d’une véritable ville, d’une véritable culture urbaine. La culture, n’est-ce pas, ce ne peut être que chez les riches.
Le « grand discours » du mardi 27 juin
C’est devant le MuCEM, le Musée des Cultures de la Méditerranée, que le président a prononcé le discours sans doute censé être le « clou » de sa visite à Marseille. Dans ce discours, E. Macron propose « un destin de commerce, d’économie, d’échange, de numérique, de formation, de jeunesse, de culture d’entrepreneuriat ». Il en manque ? Cette énumération manifeste une telle « liste de courses » qu’elle ne veut, finalement, plus dire grand-chose. On peut tout de même noter l’importance prépondérante donnée à l’économie et à l’entreprise. L’autre volet est moins clair : il s’agit de « la réconciliation avec la Méditerranée ». Sauf que l’on ne sait pas trop avec qui la Méditerranée doit se réconcilier. Avec la France ? Mais il s’agit d’une réconciliation à quel propos ? À moins qu’il ne s’agisse d’une réconciliation entre les exigences de l’économie et de l’industrialisation avec celles de l’écologie, autour de ce qu’il appelle, dans un grand élan poétique, « l’économie bleue ». Quant au reste, le discours évoquera la suite du développement de Marseille autour du numérique et l’idée d’une formation autour d’un « campus des métiers de la mer », laissant une bonne part aux acteurs privés, et du « beau » dans la ville. On ne peut toutefois pas s’empêcher d’entendre du vide derrière ces mots qui semblent surtout des mots creux destinés à mettre un valeur un personnage, un acteur, sur la scène du MuCEM et de la Méditerranée.
Un conseil des ministres « en visio » le mercredi 28 juin
Il ne faudrait tout de même pas qu’une visite chez les sauvages perturbe l’agenda présidentiel. Le conseil des ministres aura donc lieu « en visio » à la préfecture. Pourtant d’autres conseils des ministres, dans le passé, avaient été reportés. Sans commenter ce conseil des ministres (ce n’est pas à cela qu’est consacré ce billet), contentons-nous de remarquer qu’une fois de plus, le président joue. Il réduit, ainsi, le conseil des ministres à un spectacle, à la fois en faisant de lui un épisode d’une série et en empêchant que s’y tienne le débat véritable qui constitue un conseil des ministres démocratique. Et puis, dans ce conseil artificiel, il y a quelque chose qui nous rappelle les déplacements des rois du seizième siècle dans leurs châteaux du Val de Loire. Comme le roi se déplace, le conseil des ministres se réduit à une parodie d’échange, à de la « visio ».
La soumission et la colère
Ce n’est pas au président de la République de décider ce que sera l’avenir de la métropole. Depuis les lois de décentralisation, c’est aux collectivités locales de choisir leur avenir. E. Macron semble l’ignorer. En cherchant, par son voyage à Marseille, à imposer son fameux plan « Marseille en grand », le président fait comme si les acteurs politiques, les élus, les décideurs locaux n’avaient pas leur mot à dire, comme s’ils étaient trop incultes pour avoir un projet et pour le mettre en œuvre. À la Busserine, E. Macron n’a pas proposé une concertation, il a fait semblant d’écouter ce qu’avaient à dire les habitantes et les habitants - qui, d’ailleurs, ne se sont pas privés de parler. Il ne s’est pas agi de « cahiers de doléances », comme en 1789, il s’est agi de doléances de la parole, et, même, sans doute, plus que de doléances, il s’est agi de colère. E. Macron a rencontré la colère d’habitants excédés d’être ignorés par les politiques de l’État là où il s’imaginait, peut-être, trouver la soumission de ces habitantes et de ces habitants. Ce sont les insuffisances de l’urbanisme et de la politique de la ville qui ont été dénoncées par celles et ceux qui sont venus rencontrer le président, pour donner les apparences d’un débat à cette visite.
E. Macron sait-il ce qu’est la politique de la ville ?
Mais, au fond, E. Macron sait-il ce que l’on appelle la « politique de la ville » ? Sait-il en quoi consiste ce retour de la politique dans l’espace qui l’a conçue : la ville ? Cette visite met en scène ce que l’on peut appeler le retour du château : le roi, dans sa grande munificence, vint rendre visite à ses sujets. L’Elysée, le château, est un espace clos loin de la réalité de ce que vivent celles et ceux qui habitent les villes - et aussi, d’ailleurs, de celles et de ceux qui habitent les campagnes et les périphéries urbaines. Le président n’a pas de projet pour les métropoles, et son idée, « Marseille en grand », n’est pas un projet : tout au plus s’agit-il de quelques idées, de quelques mots, pour tenter de répondre au malaise culturel et politique lié aux inégalités qui apparaissent dans une ville comme Marseille. Comment peut-on réduire le projet qu’il compte proposer aux jeunes des quartiers défavorisés, celui d’établir des « start-up » ? C’est une triple aberration. C’est une aberration, car le président semble ignorer que les formations proposées aux jeunes dans l’enseignement public ne comportent pas de formation au management. Mais, bien sûr, encore faudrait-il pour qu’il le sût, que le président, ait été lui-même formé dans l’enseignement public. C’est aussi une aberration, car ce n’est pas, à supposer que l’on puisse le faire, en montant sa petite entreprise que l’on va retrouver une véritable sociabilité, mais c’est en travaillant avec d’autres, en partageant avec eux des relations sociales à même de faire revenir le politique dans le travail. C’est, enfin, une aberration, parce que les emplois créés dans de telles « start-up » sont particulièrement précaires car ils sont soumis plus que les autres à la violence de la concurrence. Et puis, enfin, ce ne sont pas les « start-ups » qui vont permettre que la ville en finisse avec la dégradation dont l’espace urbain est victime, particulièrement à Marseille.
Ce qui caractérise le politique : l’inquiétude
Sans doute est-ce l’inquiétude qui définit le politique : le pouvoir rassure, c’est ce qui fonde le contrat social, et le peuple est inquiet, ce qui fonde la médiation entre le singulier et le collectif. Mais, en même temps, le pouvoir est inquiet. À Marseille, le président aura fait apparaître la précarité de son pouvoir et l’inquiétude qui l’accompagne. Dans une ville ainsi victime de la violence liée au trafic des stupéfiants, le président a cherché à rassurer, à répondre, de cette manière, à l’inquiétude des familles, de toutes celles et de tous ceux qui habitant à Marseille. Sauf que ce n’est pas en inondant la ville de policiers supplémentaires que l’État apaisera l’inquiétude ; peut-être même cette avalanche de policier ne fera-t-elle que l’aggraver - ne serait-ce qu’en raison de l’accroissement des violences qui l’accompagnent. Et je ne parle pas des risques d’erreurs et de violences policières. L’injustifiable mort de Nahel, tué à 17 ans par la police, a déclenché une nuit de violences et d’émeutes à Nanterre et ailleurs en France. En cherchant à rassurer faussement, en cherchant à faire semblant de faire disparaître l’inquiétude, finalement, « Marseille en grand » cherche, en réalité, à faire disparaître le politique de cette ville. Mais peut-être est-ce, au fond, ce que cherche le président. Plus grave : en accroissant les moyens de la violence d’État, il remplace l’inquiétude par cette autre sorte de violence : la peur. Dans ces conditions, la visite du président n’aura servi à rien - sinon, peut-être, à aggraver l’inquiétude de celles et de ceux qui vivent à Marseille en ne répondant pas à l’inquiétude économique, celle de l’emploi et celle de la précarité des entreprises. Alors, appelons « Marseille en grand » par « Marseille en peur ». À cette inquiétude, durant ces trois jours, E. Macron n’a apporté aucune réponse.