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Billet de blog 29 août 2024

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JEAN-FRANÇOIS TÉTU

Jean-François Tétu, ancien professeur de sciences de l’information et de la communication à l’Institut d’Études Politiques de Lyon, est mort jeudi dernier. Je voudrais lui consacrer une chronique en forme d’hommage.

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Un enseignant et un chercheur

Jean-François Tétu a consacré sa vie à l’enseignement et à la recherche. À Lyon 2, à Grenoble et à l’I.E.P. de Lyon, il a contribué à la formation de générations d’étudiantes et d’étudiants et à la consolidation de leur savoir. Pour lui, l’enseignement et la recherche ne se séparaient pas - il associait, d’ailleurs, ces deux activités dans la formation des jeunes enseignants et des jeunes chercheurs qui travaillaient avec lui. Sans doute cette union entre enseignement et recherche exprimait-elle une revendication de la place de l’université dans la société. C’est une vieille histoire, qui remonte, sans doute, à la grande tentative de rupture de 1968. Au cours de ces années-là, la recherche et l’université avaient tenté de sortir de leur tour d’ivoire, et même de la détruire : il s’agissait de faire retrouver à l’université le chemin de la rencontre d’une « société civile » qu’ils avaient, peu à peu, fini par ignorer. Le projet universitaire d’une association entre enseignement et recherche est voué à la fois à la transmission et à l’écoute des critiques formulées par les étudiants, notamment dans le domaine de l’évolution des disciplines et de la recherche, destinées à jouer un rôle dans la transformation du monde.

Un chercheur engagé dans les sciences de l’information et de la communication

Pour Jean-François Tétu, les sciences de l’information et de la communication, les « S.I.C. » comme on s’est mis à dire, étaient plus qu’une discipline : c’était un engagement, un champ dans lequel et pour lequel il militait. Le développement des médias, leur place croissante dans l’espace de la société ont forcé la recherche, mais aussi l’enseignement, à leur reconnaître la place d’un objet de recherche et d’un champ de critique politique et sociale. Mais, dans le même temps, il s’agissait, de la part de l’enseignement et de la recherche, d’un engagement. C’est pour cette raison que, dans les années 80, Armand Mattelart, alors professeur à Rennes, avait organisé des assises des S.I.C. et publié un rapport qui a eu une grande importance pour nous aider à mieux comprendre ce qui se jouait dans ce domaine. J.-F. Tétu a joué un grand rôle sur ce point en organisant, à Lyon, où il enseignait, mais aussi sur le plan national, en contribuant à l’amélioration des activités des S.I.C. dans le champ de l’université. Il s’agissait aussi de ne pas faire des S.I.C. un champ de recherche comme les autres, mais de rappeler sans cesse leur importance dans la critique des discours dominants et dans la dénonciation des discours idéologiques. Les S.I.C. sont forcément un domaine d’activité scientifique destiné à la lutte contre les hégémonies - notamment aux hégémonies fondées sur la puissance de l’argent déformant l’information et soumises aux pouvoirs en place.

Un lecteur critique des médias

Jean-François Tétu mettait son savoir au service de ses exigences et de sa critique des médias - et inversement : c’était pour nourrir son savoir qu’il lisait les médias avec un regard critique. Longtemps, cette activité critique s’est vue reconnue dans le domaine de la littérature et dans celui des arts plastiques, de la musique, du cinéma, des arts du spectacle. Il a fallu des années d’activité de recherche et d’enseignement pour que cette activité critique porte sur les médias. D’abord, il a fallu se battre pour faire reconnaître les médias comme un domaine d’objet aussi noble et aussi important que les autres. Ensuite, il a fallu imaginer des méthodes de critique propres à ce domaine d’activité sociale. Enfin, il a fallu soumettre les médias à une lecture attentive, fondée sur la critique des mots et des images. Les médias sont énoncés avec des mots et ce sont donc les mots qu’il faut lire minutieusement pour comprendre leur sens. Cette figure de « l’espace public », imaginée par J. Habermas dans les années 50, dans sillage des travaux de l’école de Francfort devait être mise en œuvre en France, et des chercheurs comme J.-F. Tétu ont joué un rôle important pour donner à cette activité une importance réelle. Cette critique des médias était, bien sûr, favorisée, pour lui, par sa formation d’origine, celle de la littérature. Des concepts et des méthodes éprouvés dans la lecture critique de l’esthétique littéraire ont eu une importance considérable dans la recherche et l’élaboration de méthodes propres à la lecture critique des médias.

Un fondateur

Jean-François Tétu fut un fondateur. Il a contribué, avec d’autres comme Michel Le Guern, Michel Cusin ou Bruno Gelas, à la naissance de l’Université Lyon 2, lors de la partition de l’Université de Lyon, dans les années 70, qui, comme toutes les universités de notre pays, fut appelée à se recomposer dans le cadre de la réforme élaborée par le recteur Gérald Antoine sous l’autorité du ministre de l’Éducation nationale d’alors, Edgar Faure, fondée notamment sur la recherche d’une véritable pluridisciplinarité dans les universités. Issu, comme un bon nombre de ses collègues, des disciplines littéraires de l’enseignement supérieur et de la recherche, il s’est employé à donner une place aux S.I.C. à Lyon 2, une université née de la partition de l’université de Lyon. Il avait, en particulier, beaucoup travaillé avec Maurice Mouillaud, comme tant d’autres devenu un ami proche. C’est ainsi qu’il avait fondé l’équipe de recherche « Médias et identités », intégrée, par la suite, à l’équipe de recherche ELICO, regroupant les équipes de plusieurs universités de Lyon. En même temps, ne nous trompons pas : l’université Lyon 2 fut, lors de sa fondation, une « université de gauche », et cette orientation a eu un rôle important dans sa naissance et dans le choix de ses méthodes de travail et de l’écoute de ses publics. Mais il a joué un rôle essentiel, aussi, dans la reconnaissance des « S.I.C. » comme une discipline universitaire à part entière. Pour que leur indépendance intellectuelle soit assurée, ainsi que la liberté de leurs recherches, il existe une institution chargée de réguler la vie professionnelle des enseignants-chercheurs. Il s’agit du CN.U., le Conseil national des universités, organisé en sections, correspondant à leur discipline. Les deux tiers des membres du C.N.U. sont élus. Les sciences de l’information et de la communication sont dotées d’une section du Conseil national des universités (au début la 52ème, devenue, ensuite, la 71ème). C’était important, pour les enseignants-chercheurs en S.I.C., d’être reconnus au même titre que ceux des disciplines traditionnelles. L’activité de recherche et d’enseignement des personnes comme R. Escarpit puis comme J.-F. Tétu, ou B. Miège, dans le domaine de l’analyse des médias ou de l’économie politique de la communication, a eu un rôle important dans la formation et la reconnaissance de cette discipline, de la même façon que d’autres, basées sur d’autres approches de la communication et de l’information. Mais ne nous trompons pas : cette discipline d’enseignement et de recherche a eu aussi une place importante dans la naissance de journaux critiques des médias comme, justement, « Mediapart », fondés sur ce regard critique des médias et sur l’invention de nouvelles formes d’édition. Le rôle des enseignants-chercheurs comme Jean-François Tétu a été important dans ce domaine. Si je parle de fondation, c’est qu’il fallait, justement, fonder ce nouveau regard critique sur l’information, mais aussi sur la lecture de l’événement comme celle qui avait été proposée J.-F. Tétu.

Un ami

Après tout, c’est mon blog dans « Mediapart » ; j’aimerais donc finir par une touche personnelle : Jean-François fut un grand ami. J’ai fait sa connaissance en 1988, quand je suis moi-même arrivé à Lyon 2 pour lui succéder quand il est devenu professeur à Grenoble, et nous ne nous sommes jamais quittés. Plus de trente ans, c’est long, et nous n’avons jamais eu l’idée de nous séparer, de nous éloigner l’un de l’autre. Je pense que mes propres recherches, mon propre enseignement, mes propres orientations, ont été nourries, fécondées, par ce voisinage avec Jean-François Tétu. Il faut aller plus loin : nous avons partagé, lui et moi, le lien avec la psychanalyse. Pour travailler sur l’importance de la psychanalyse et du travail sur l’inconscient dans le domaine de l’étude de la communication, il fallait bien retrouver cette importance dans nos propres relations et dans le réseau que nous avions tissé, l’un et l’autre, autour de nous. Nous avons personnellement eu une place importance - lui dans mon propre réseau, et, je pense, moi-même dans le sien. C’est bien la raison pour laquelle sa disparition laisse un vide qui va bien au-delà de la disparition d’un « collègue », et pour laquelle j’ai envie d’écrire pour lui - de lui écrire - dans cette chronique de Mediapart. C’est une manière de continuer ce dialogue et ces échanges - désormais dans la pensée et dans l’imaginaire, avec les mots que nous avions en commun, lui et moi. Ne nous trompons pas : le regard critique sur les médias est aussi un regard critique sur les relations entre les personnes et une écoute critique de la parole.

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