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Billet de blog 29 décembre 2022

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LE DROIT DU SOL

Les nombreux mouvements migratoires observés aujourd’hui, les déplacements des populations, les exils de toutes sortes amènent à repenser la figure politique majeure du droit du sol et à réaffirmer son importance dans ce que l’on peut appeler une politique de l’identité

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Qu’est-ce que le droit du sol ?

Le droit du sol désigne une nationalité fondée sur le lieu de naissance, quelle que soit la nationalité des parents. Si l’on est né en France de parents italiens, on est français. Il y a deux façons d’envisager la naissance, le lien aux parents fonde une identité de filiation, tandis que, dans la logique du droit du sol, c’est, ainsi, le lieu où l’on est né qui fonde la nationalité. Le droit du sol instaure, ainsi, une dimension institutionnelle du sol, de l’espace. Il donne à l’espace un rôle essentiel dans l’institution des identités politiques. On peut dire, ainsi, que le droit du sol institue la primauté politique de l’espace sur le temps.

Brève histoire de droit du sol

Le droit du sol a été formalisé en même temps que l’ont été les nations, vers la fin de l’Antiquité. Le droit du sol, finalement, est le même que celui des états, qui ne sont que les expressions institutionnelles des nations. Pour qu’il existe un droit du sol, il est nécessaire qu’existe une logique des appartenances et des identités. En France, c’est un texte juridique de 1315 et un arrêt du Parlement de Paris de 1515 qui instituent un droit pour des enfants nés en France de parents étrangers. Puis cette évolution se poursuivra à l’époque des pays issus des premières colonisations, comme les Etats-Unis puis à l’époque de la Révolution française qui va entièrement recomposer les logiques de la nationalité. Dans sn opposition au droit du sang, le droit du sol va constituer un élément essentiel de la lutte contre les monarchies et de l’événement des régimes républicains.

L’identité, entre appartenance et filiation

Notre identité se construit entre notre filiation et notre relation aux autres. Nous sommes porteurs de deux types d’identités. D’abord, il y a l’identité qui nous est transmise par la filiation, celle que nous tenons de notre famille et de son histoire. C’est cette histoire qui a été, en particulier, mise en forme dans des mythes comme l’histoire d’Œdipe, et c’est elle qui se fonde sur notre place dans une famille. Le droit du sang renvoie à cette identité-là, il établit les normes et les règles qui fait de notre espace familial un lieu qui fonde notre place vis-à-vis de nos parents, de nos frères et sœurs, la première de ces règles étant l’interdit de l’inceste, qui est peut-être la première loi du droit du sang. Mais, de l’autre côté, il y a un autre droit, celui du sol. Tandis que le droit du sang s’inscrit dans le temps, le droit du sol s’inscrit dans l’espace. Le droit du sol est celui institue notre identité en la fondant sur le lieu dans lequel nous vivons au lieu de la fonder sur l’identité de nos parents. C’est pourquoi le droit du sol est le droit fondateur du politique, alors qu’en bonne logique, le droit du sang ne devrait pas y avoir de place. Parler d’un droit du sang est un abus des classes privilégiées ou des souverains et de leurs familles pour conserver et pérenniser un pouvoir dont elles se sont emparées indûment, par une sorte de violence. Le droit du sol se fonde sur la reconnaissance par les autres de l’existence d’un espace commun dans lequel nous vivons ensemble, cette vie partagée étant à l’origine de la loi.

Signification politique du droit du sol

Le droit du sol dissocie fondamentalement l’identité de toute histoire naturelle : à « l’histoire naturelle des identités », il substitue leur histoire politique. L’avènement du droit du sol est, en ce sens, une coupure dans l’histoire. En effet, il marque la rupture entre une vie sociale fondée sur des rapports de force et sur la persistance des liens de filiation et une vie sociale fondée, elle, sur la vie sociale, sur les relations entre les acteurs sociaux. Au fond, l’avènement du droit du sol marque celui de l’espace public, de cet espace reconnu comme appartenant à tout le monde, dans lequel le seul droit est celui est partagé au lieu d’être imposé. C’est pourquoi le droit du sol fonde l’égalité en dissociant la dimension politique de l’appartenance de celle de la filiation. Dans le droit du sol, on ne me demande pas de qui je suis né pour me reconnaître des droits ou pour me les refuser, on se contente de me demander où je vis. Cela n’empêche pas, soit dit en passant, que, comme dans tout droit, il y ait des excès et des abus : le droit du sol a été confisqué, par exemple, au fil du temps, par le marché du logement, et c’est pourquoi un « droit immobilier du sol » ne prévoit pas les mêmes règles pour celles et ceux qui vivent dans les beaux quartiers et pour celles et ceux qui vivent dans les quartiers populaires. C’est, ainsi, le droit du sol qui, en principe, proscrit toute ségrégation et toute exclusion – c’est, d’ailleurs, pourquoi il a été imaginé. Le droit du sol est, en principe, le même pour tout le monde et il suffit de mettre le pied dans un pays pour bénéficier du droit de ce pays ou pour lui être soumis. Le droit du sol articule le droit à l’habitation et non à l’exclusion ou à la ségrégation.

Une identité qui n’est pas figée, mais qui évolue

L’identité évolue, elle se transforme, elle s’exprime de manières différentes dans le temps. Sans doute s’agit-il d’un fait qui distingue le droit du sang et le droit du sol. Le droit du sol prend des formes différentes avec le temps, dans l’histoire, alors que le droit du sang, en quelque sorte par définition, demeure le même dans un sorte de pérennité. Le droit du sol change avec les mutations des espaces et des territoires dans lesquels nous vivons. Aujourd’hui, tandis que la guerre multiplie les migrants et les réfugiés, la reconnaissance d’un véritable droit du sol est souvent pour eux, la seule manière d’échapper à l’arbitraire, de se libérer des despotismes et des ségrégations et de se voir reconnaître une véritable identité.

Le droit du sol entre ouverture et fermeture

Mais le droit du sol st aussi un droit de liberté, car il consacre l’ouverture de l’identité sur l’autre. Tandis que le droit du sang fonde une identité sur l’exclusion de l’autre, de celui qui n’a pas les mêmes origines que nous, dans ce que l’on pourrait appeler une forme d’autisme, c’est le droit du sol qui fonde notre citoyenneté sur l’ouverture vers l’autre – tant l’ouverture de notre identité sur la reconnaissance dont nous bénéficions dans les pays dans lesquels nous nous installons que l’ouverture de la citoyenneté dont nous sommes porteurs à ceux que nous rencontrons après leur arrivée dans notre pays. Au lieu d’une fermeture sur eux-mêmes des pays qui ne reconnaissent que le droit du sang, qui n’est, pour eux, promesse que de déclin, la reconnaissance du droit du sol permet l’éveil des pays, leur assure les mutations et les transformations qui les inscrivent dans une sorte de modernité.

Citoyenneté et droit du sol

Rappelons, une fois de plus, ce qu’est le citoyen. Le citoyen, c’est celui qui ne l’est que parce qu’il habite dans la cité, dans la civitas. La cité est l’ensemble de celles et de ceux qui sont soumis au même droit. C’est bien pourquoi l’enjeu de la reconnaissance du droit du sol est éminemment politique, car il s’agit de l’ouverture de la citoyenneté à tous ou de sa fermeture. Le débat a acquis une intensité accrue dans notre époque de mondialisation des migrances et des économies et dans une époque de guerre comme celle de l’Ukraine ou celles, oubliées, d’autres pays comme les pays africains ou les pays du Caucase. L’histoire du droit vient seulement nous rappeler qu’il y a deux histoires : celles des peuples et celle des sangs. La citoyenneté et ses mutations ne sont que l’expression politique de ces deux histoires. L’égalité devant la citoyenneté impose que nos sociétés en finissent avec le droit du sang et ne reconnaissent que le droit du sol comme droit fondateur.

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