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Billet de blog 30 janvier 2025

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TENTER DE COMPRENDRE LA MONTÉE EN PUISSANCE DE L’EXTRÊME DROITE (2)

Nous poursuivons aujourd’hui la réflexion engagée la semaine dernière sur la montée en puissance de l’extrême droite dans plusieurs pays d’Europe et aux États-Unis

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La gauche semble absente de l’espace public

C’est la première réflexion qui vient : on a le sentiment qu’après de longues périodes au cours desquelles les idées qu’elle avait formulées et qu’elle nourrissait de ses réflexions et de ses projets occupaient une grande place dans l’espace public, la gauche semble éteinte. À la fois parce que les critiques du libéralisme et des idées d’extrême droite ne reposent plus sur une véritable culture politique et sur un héritage politique revendiqué et parce que, comme elle semble ne pas avoir renouvelé ses analyses et ses méthodes, la gauche donne l’impression de ne pas avoir suivi les évolutions du monde et les transformations de la vie sociale. À cela, sans doute faut-il ajouter, en France mais aussi dans d’autres pays, que la gauche ne parvient pas à trouver une véritable place dans l’espace politique. Cela permet de comprendre les confrontations parfois violentes entre le P.S. et les Insoumis, mais aussi entre le P.S. et les écologistes, mais cela permet aussi de comprendre comment, dans un pays comme l’Italie, le parti communiste a cessé de s’appeler ainsi alors que son héritage culturel était incomparablement riche. La gauche des Althusser ou des Berlinguer n’est plus là pour nourrir des références solides dans le débat public, et, ainsi, la gauche est silencieuse : elle semble avoir perdu sa voix, laissant, ainsi, le champ libre pour des idées d’extrême droite.

La victoire du libéralisme

À cela il faut ajouter que la droite, elle, n’a pas d’idées, mais n’a que des calculettes. Pour qu’en France, un personnage comme E. Macron ait pu prendre le pouvoir, après, il est vrai, une autre figure du management comme V. Giscard d’Estaing, il faut que le débat politique manque singulièrement du culture et d’idées. C’est ainsi que le fameux second tour de l’élection présidentielle de 2002 (vingt ans déjà !) opposant J. Chirac et J.-M. Le Pen, d’où la gauche était absente, n’a pas été pleinement compris en son temps. Il ne s’agissait pas d’un affaiblissement momentané de la gauche, mais, en réalité, du début d’une longue descente aux enfers, interrompue seulement en 2012 par l’élection de F. Hollande dont le mandat n’a fait qu’illustrer ce fait que ce ce que l’on appelle la « gauche de gouvernement » n’était là que pour faire avaler aux classes populaires la victoire du libéralisme et la disparition de l’espace public du peuple et de son discours. Ne nous trompons pas : le libéralisme ne se réduit pas à des pratiques de l’économie fondées sur la concurrence, sur le libre-échange et sur la fin de l’autorité de l’État sur les politiques économiques et budgétaires. Le libéralisme est, en réalité, une véritable culture politique qui va jusqu’à des conceptions de l’énergie et des usages, à des pratiques de l’éducation, à des conceptions de la santé - bref : le libéralisme ne se réduit pas à une approche de l’économie, mais il s’agit de façons de penser et de concevoir le monde dans lequel nous vivons.

L’éloignement de la guerre de 1939-1945 et l’oubli du nazisme

Un autre fait permet d’expliquer le retour de l’extrême droite dans le débat public. La guerre de 1939-1945, le pouvoir du nazisme et celui du fascisme, se sont éloignés de nous. Ce qui apparaissait comme des formes de censure éthiques et morales constituant une sorte de « sur-moi » du politique n’a plus l’emprise des premiers temps de l’après-guerre. Cela explique que l’on ne sache plus ce qu’est réellement l’extrême droite. E. Musk s’amusant à faire un salut nazi, le retour sur la scène politique des néo-nazis allemands et des fascistes italiens, ne sont que des symptômes de cette perte de mémoire qui affecte un système politique sans mémoire et sans mots pour exprimer cette mémoire. Comme nous ne savons plus ce qu’est l’extrême droite et qu’elle ne constitue plus une transgression, la droite ordinaire peut s’emparer de son discours et des idées, comme le fait D. Trump, qui a encore plus forci l’engagement de droite de son discours et de ses conceptions du pouvoir depuis son premier mandat. En Italie, G. Meloni peut diriger le gouvernement, et, en France, fondant une « aile droite » des Républicains, E. Ciotti peut dire que « ce qui différencie Les Républicains du Rassemblement national, c'est (leur) capacité à gouverner » (Ouest-France, 30 04 21). Cet éloignement de la guerre et des interdits qu’elle avait suscités dans le débat politique contribue à mieux comprendre la montée en puissance de l’extrême droite qui en vient à nourrir la droite « classique »  de ses idées et de ses conceptions de la société.

L’oubli des années de dictature en Argentine et le retour de l’extrême droite au pouvoir

L’élection de Milei comme président en Argentine, en 2023, marque aussi un retour de l’extrême droite fondé sur un oubli, celui des généraux de 1976. Les dictateurs militaires de l’Argentine, venus au pouvoir en 1976 après le coup d’État de J. Videla et d’autres généraux ont censuré le pays, l’ont réduit au silence en imposant le pouvoir de la force et de la violence de l’armée après avoir destitué Isabel Perón. À une violence sociale légitimée par l’adhésion populaire à une politique populiste, succédait ainsi un pouvoir fondé sur la violence de l’intimidation. Mais, de nos jours, le pouvoir de Milei impose dans ce pays une autre sorte d’extrême droite, le pouvoir qui se nomme libertarien. Peut-être la dimension économique de cette dictature rend-elle l’extrême droite acceptable et la légitime-t-elle dans l’espace public de la mondialité, mais elle ne peut en effacer pour autant la violence et l’inégalité qu’elle impose dans ce pays. Fondée sur une approche ultra-libérale des politiques économiques, l’idéologie « libertarienne » est un volet peut-être essentiel de l’extrême droite de nos jours. Dans ce discours, la liberté est, en quelque sorte, réservée aux riches.

Le succès de D. Trump aux États-Unis : un symptôme

La victoire de D. Trump à l’élection présidentielle de 2024 des États-Unis et son retour au pouvoir sont bien un symptôme du retour de la puissance de l’extrême droite. D’abord, il importe de bien comprendre que les conceptions politiques de D. Trump ne sont pas celles du parti républicain classique. Jusque’à notre époque, les républicains des États-Unis n’étaient pas un parti d’extrême droite. Il s’agissait d’un parti libéral qui faisait au moins semblant de considérer les libertés individuelles comme un élément important de la vie publique et qui tenait un discours conservateur, sans que ce discours soit un discours de droite radicale. Peut-être, après le mandat de R.Nixon (1969-1974), ceux du second G. Bush (2001-2009) ont-il marqué le début de cette évolution de la droite américaine vers des conceptions autoritaires du pouvoir préparant la montée d’une droite extrême et radicale comme celle de D. Trump, entendant conquérir des pays comme le Canada et fermer par la violence les frontières des États-Unis pour empêcher la venue dans ce pays de travailleurs issus d’autres pays moins riches. C’est ainsi qu’il importe de ne pas concevoir l’élection de D. Trump comme un fait ne concernant que les États-Unis mais comme un symptôme de plus de la montée en puissance de l’extrême droite. Il ne s’agit pas seulement du remplacement d’un président démocrate, J. Biden, par un président républicain de droite, mais il s’agit d’une évolution véritable des conceptions et des références de la politique aux États-Unis et des approches du pouvoir qui orientent les mandats présidentiels et les approches politiques de la vie sociale.

Trump, Dieu et le « bon sens »

Le discours prononcé par D. Trump le 20 janvier lorsqu’il a pris ses fonctions faisait, en particulier, deux références inquiétantes et pleinement significatives de ce que sont les mots de l’extrême droite. Le premier était la référence à une « révolution du bon sens » (common sense en anglais). Parler de « bon sens » est une vieille marotte de la droite et des conservateurs dans tous les pays. La référence au « bon sens » a deux avantages. Le premier est de permettre d’éviter le débat, puisque le propre de ce que l’on appelle le bon sens est de ne pas être une idée, un engagement ou une opinion, mais d’être une norme. Le second est de nourrir un discours populiste, c’est-à-dire reposant sur un fantasme du peuple. Quand on connaît la fortune d’un D. Trump, on peut sourire à cette idée qu’il défend le peuple contre les élites - à moins d’être en colère. Le bon sens a, ainsi, toujours été la référence légitimant le discours des partis et des acteurs politiques voulant échapper au débat et à la contradiction, prétendant ne pas exercer un pouvoir légitime reconnu par un peuple, mais régner. L’autre référence d’extrême droite du discours d’investiture de D. Trump était la référence à la religion : « J’ai été sauvé par Dieu », a-t-il dit en rappelant la tentative d’assassinat à laquelle il avait échappé, « pour rendre sa grandeur à l’Amérique ». Ce discours, comme les images saintes de D. Trump et de Jésus font, paraît-il, fureur aux États-Unis. On les trouve sur e-bay, et il s’agit d’une marque de plus du retour de l’extrême droite au pouvoir.

La montée en puissance de l’extrême droite : un défi à la gauche

Reste à se poser la vraie question qui se pose à la gauche : comment peut-elle retrouver son audience dans l’espace public, comment peut-elle se faire de nouveau entendre par les peuples et recueillir leur adhésion ? Ces succès de l’extrême droite et cette adhésion des peuples à son discours et à ses conceptions de la sociétés constituent un véritable défi à la gauche véritable (je ne parle pas des gauches illusoires prêtes à gouverner avec E. Macron). La gauche se trouve devant un véritable impératif social et politique : elle doit retrouver le pouvoir pour que la démocratie redevienne le régime politique dans lequel nous vivons. Elle doit ne plus limiter son engagement au fait électoral, mais formuler et proposer un véritable projet politique et social. Pour parvenir à réduire l’extrême droite au silence, la gauche doit retrouver un imaginaire politique : il ne s’agit pas d’un fantasme mais d’un véritable idéal politique orientant ses mots et ses actions pour retrouver l’adhésion populaire. Enfin, la gauche peut mettre un terme à la montée en puissance de l’extrême droite en faisant de nouveau de la solidarité, du droit et de l’égalité les fondements du politique.

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