Au cœur de la crise du réchauffement climatique, il y a, bien sûr, l’excès de consommation d’énergies de nos sociétés. Sans doute est-ce le moment de se questionner sur les significations politiques du lien entre énergie et climat.
Repenser les aménagements de l’espace
Le climat et la maîtrise de l’énergie doivent retrouver toute leur place dans les conceptions de l’architecture. C’est ainsi, en particulier qu’il faut en finir avec les excès des « barres » qui ont constitué à une certaine époque les normes de construction des immeubles de banlieue. Pour retrouver des aménagements de l’espace social plus conformes aux exigences contemporaines de la régulation de l’énergie et de la rationalité climatique, deux impératifs apparaissent. Le premier est celui de la taille. Ce sont les grands immeubles qui sont les plus consommateurs d’énergie – ne serait-ce qu’en raison de la nécessité des ascenseurs et en raison de l’importance des parcours de déplacement en leur sein. Pour devenir des constructions rationnelles en termes de climat et d’énergie, nos immeubles de vie privée et de vie sociale. Mais aussi, au-delà de la question des « barres », sans doute devient-il important que l’architecture et la conception même des immeubles laisse une place plus importante à la réduction des dépenses d’énergie et à la préoccupation du climat. Enfin, une fois de plus, il importe que les aménagements de l’espace échappent, eux aussi, aux contraintes du marché : pour retrouver ce que l’on appelle une forme de sobriété énergétique, il est nécessaire de se libérer de l’aliénation énergétique imposée aux concepteurs de l’espace par les producteurs et les distributeurs.
Repenser les modes de déplacement
Pour nous libérer des contraintes énergétiques, les aménagements des espaces de vie doivent faire revivre les déplacements nous libérant des excès de l’usage des voitures particulières. Il s’agit, d’abord, de nous libérer de l’emprise du marché, en en finissant avec l’usage immodéré de la voiture et avec la consommation d’énergie qui l’accompagne, mais il s’agit, par ailleurs, de repenser nos façons de nous déplacer. C’est ainsi, par exemple, que l’usage du vélo commence à retrouver dans certains espaces sociaux l’importance qu’il avait perdue. Par ailleurs, l’usage des transports en commun, dans les villes mais aussi dans les espaces de banlieue et de campagne, doit être amélioré et facilité. Accessoirement, cela renforcerait l’autonomie des plus jeunes d’entre nous qui sont trop dépendants de la voiture de leurs parents. Enfin, pour penser une politique des transports et des déplacements dans le domaine du climat et de l’énergie, sans doute est-il essentiel de se rendre compte que l’usage des transports et des déplacements a fini par devenir un domaine essentiel de la confrontation entre les classes sociales. Une véritable unification des populations passe par le partage des mêmes moyens de transport par tous.
Énergie, climat, pouvoirs
Relisons, peut-être, Montesquieu dont nous parlions le 9 juin, et repensons la place du climat – mais aussi celle de l’énergie – dans les pouvoirs. Ces deux domaines de la vie sociale et de l’économie politique sont devenus des enjeux de pouvoir et des gages d’indépendance. Livrée au marché, l’énergie a sans doute toujours été un outil d’affirmation de l’indépendance des pays et des acteurs sociaux et de leur puissance, mais elle l’est devenue de façon encore plus affirmée quand les pays ont fini par être pratiquement soumis aux exigences du marché du pétrole, dans la véritable aliénation politique d’une soumission au pouvoir de l’autre. C’est pourquoi, au-delà de la nécessaire indépendance énergétique des pays à l’égard les uns des autres, sans doute est-il important – voir urgent – de revenir à la nationalisation de l’énergie et de l’eau. Elles doivent redevenir des services publics pour libérer de l’emprise des entreprises et du marché les usagers – c’est pourquoi on doit pouvoir parler d’une citoyenneté énergétique – mais aussi les pays qui doivent, ainsi, pouvoir décider librement de leurs choix et de leurs orientations en matière énergétique et en matière environnementale, mais aussi, bien sûr, pour pouvoir exercer pleinement leur pouvoir dans le domaine de la protection des populations et des pays dans notre temps d’urgence climatique. C’est dans cette économie politique que doit s’établir un lien entre l’énergie et le climat non plus dans une approche en termes de marché, mais dans une approche politique en termes d’usages.
Information, communication, déni
Il faut en finir avec le déni – comme celui que nous imposent les grandes figures du libéralisme. Comme la censure, dont il est une variante, le déni est, d’ailleurs, une figure constante du politique et des pouvoirs. En l’occurrence, le déni est double. Il s’agit, d’un côté, de refus d’être conscient de l’excès de la consommation de l’énergie sus toutes ses formes, à la fois pour répondre aux exigences du marché et pour imposer une véritable uniformisation des modes de vie qui fait de l’énergie une contrainte politique et culturelle. De l’autre côté, le déni est celui des contraintes d’une mondialisation accélérée des normes de vie, des normes de marché et de consommation, des entreprises, des capitaux et des profits. Cette mondialisation conduit à une véritable dépendance des pays à l’égard des multinationales de l’énergie et à une véritable perte d’autorité des états à l’égard des politiques à mener pour mettre fin à la crise climatique. C’est pourquoi, pour en finir avec le déni et la censure, il importe d’élaborer et de mettre en œuvre de véritables politiques publiques d’information et de communication. D’abord, il s’agit d’en finir avec l’ignorance, autre forme du déni. Une véritable sensibilisation de l’opinion et des acteurs sociaux est urgente ; peut-être serait-il important de réfléchir aux façons de la mettre en œuvre dès les années de l’éducation. Par ailleurs, la communication à instaurer dans ces domaines prend deux formes. D’une part, il s’agit de l’information. Mais, pour engager une véritable politique d’information, il importe qu’elle se fonde sur le partage des savoirs et sur l’accès de tous les publics aux connaissances. Cela implique, en particulier, qu’il ne faut plus mettre en œuvre une politique fondée sur la menace et sur la peur, mais que, comme au temps de L’Encyclopédie, cette politique se fonde sur une élaboration de l’information et sur sa diffusion. D’autre part, il s’agit du débat public. La question du climat et celle de l’énergie ne doivent plus être réservées aux spécialistes, aux « experts » et aux décideurs, mais elles doivent faire l’objet d’une réflexion et d’un débat ouverts à tous. Il importe de prendre conscience que la responsabilité en matière de climat et en matière d’énergie fait désormais partie de la citoyenneté. C’est le rôle des médias, bien sûr, et Mediapart joue son rôle dans ce domaine, mais ce devrait être aussi le rôle des partis, des organisations politiques de toutes sortes. Peut-être aussi devrions-nous, dans ces domaines, retrouver le rôle assigné par Max Weber[1], à l’éthique. Peut-être serait-il temps de penser une éthique de l’énergie et du climat, fondée sur trois termes. Le premier serait la véritable conscience par tous les acteurs sociaux et politiques de la nécessité d’une modération de la consommation, et, pour cela, il s’agirait d’une éthique fondée, justement, sur la fin du capitalisme, comme en un retour du refoulé de M. Weber. Le second terme serait une véritable égalité géopolitique entre les pays producteurs et les pays usagers, mais aussi entre les pays riches et ceux qui le sont moins : entre les pays que l’on appelle les pays du Nord et ceux que l’on appelle las pays du Sud. À cet égard, il faut bien se rendre compte du fait que l’énergie et les inégalités dans la lutte contre le réchauffement climatique sont les formes que prend aujourd’hui ce que l’on peut appeler le néocolonialisme. Enfin, il importe de se libérer de l’aliénation énergétique et de l’aliénation climatique par le retour dans le service public des activités liées à la production et à la distribution de l’énergie, et par la reconnaissance d’une autorité publique réelle de régulation climatique.
[1] L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1904-1905 et 1920), trad. Française par J.-P. Grossein, Paris, Gallimard, 2003