Une politique essentielle
Représentant la nation qui l’a élu, le président de la République conduit des politiques culturelles qui la représentent, et c’est pourquoi elle est extrêmement importante. Il s’agit, en quelque sorte, d’une illustration qui donne à voir les orientations et les engagements politiques que l’exécutif que nous désignerons donnera à on quinquennat. C’est bien pour cela que cette politique est fondamentale. C’est, d’ailleurs, en quelque sorte, le premier élément qui permet de distinguer entre eux les projets des candidats. Il ne s’agit pas ici de comparer les discours des candidats et leurs projets culturels (quand ils en ont, mais c’est une autre histoire), mais de proposer un certain nombre d’exigences auxquelles doit répondre la politique culturelle de notre pays. Mais la politique culturelle est fondamentale pour une autre raison : c’est la culture qui, en quelque sorte, incarne le pays. C’est par les entreprises et les projets culturels qu’un pays construit sa visibilité vis-à-vis de celles et de ceux qui l’habitent, amis aussi vis-à-vis des autre pays. Par la politique culturelle qui sera élaborée par le prochain exécutif, note pays aura une image de soi : c’est par elle qu’il sera reconnu comme nation. Il ne fat pas oublier un point d’histoire majeur : quand notre pays rompt avec la IVème République et les régimes qui l’ont précédée et s’organise sous la Vème, c’est la première fois qu’un gouvernement, désigné par de Gaulle et dirigé par Michel Debré comporte un ministère des affaires culturelles (son premier responsable sera André Malraux). C’était une façon pour notre république d’affirmer sa spécificité.
Une politique de diffusion
Sans doute est-ce en ce point que se distinguent, fondamentalement, une politique culturelle de gauche et une politique culturelle de droite. Tandis qu’une politique culturelle de droite repose sur le renforcement des soi-disant élites et utilise la culture pour distinguer entre les classes sociales et accroître les inégalités, une politique culturelle de gauche fait, au contraire de la culture et des pratiques culturelles les instruments de la construction d’une véritable égalité. C’est pourquoi la question de la diffusion de la culture est un élément majeur de la distinction entre les orientations politiques. On peut notamment attendre de l’exécutif dirigé par le prochain président qu’il fonde sa politique culturelle sur une politique de la diffusion, elle-même basée sur quatre points. Le premier est une véritable politique d’investissements et d’aide financière aux collectivités territoriales pour les bibliothèques, les musées, les établissements publics de spectacle et la dimension culturelle des médias, en particulier audiovisuels (soutien au cinéma et aux télévisions culturelles). Le second point est une répartition effective des organismes culturels dans tout l’espace public. Qu’il s’agisse des régions ou des villes, des départements ou des métropoles, la culture proposée par les services publics doit être la même pour toute la population sans exclusion ni élitisme. Le troisième élément de la politique de la diffusion est l’élaboration d’organes d’information culturelle. La diffusion ne peut se faire que si elle dispose d’un système développé d’information ouvert, par ailleurs, à la critique. Enfin la diffusion de la culture repose sur la mise en œuvre d’un lien avec les établissements et les institutions d’éducation et de formation. Si les institutions culturelles n’ont pas à se confondre pas avec les établissements d’éducation, ils sont cependant aujourd’hui trop séparés les uns des autres et il serait important de prévoir une réorientation dans ce domaine.
Une politique de création
La création nourrit la culture. Elle lui donne, en les actualisant, les instruments de son expression, les voix, les écrits, les sons, les arts visuels, les arts du spectacle. Tous ces aspects de la création culturelle (qui se sont appelés des disciplines) sont les bénéficiaires des politiques culturelles publiques. L’exécutif aura, notamment, à veiller à l’égalité entre les différents domaines de l’expression culturelle, mais aussi entre les cultures de création et les cultures de patrimoine. Sans doute faudra-t-il veiller à ce que la création ne soit pas défavorisée par rapport à la conservation, car c’est par la création qu’une politique culturelle s’inscrit dans le temps long, mais aussi dans le futur. Il importe de sortir d’une fausse opposition entre une politique fondée sur la diffusion qui serait destinée aux milieux populaires et une politique fondée sur la création qui serait destinée aux classes sociales favorisées. C’est d’abord une opposition fausse, en particulier depuis que les médias de masse contribuent à la création culturelle et c’est, ensuite, une opposition qui est invoquée pour légitimer des politiques de création élitistes et la création d’œuvres incompréhensibles pour le grand public. C’est là un chantier considérable du prochain exécutif en matière culturelle : intégrer la grande diffusion et la création dans une même politique qui serait destinée à les faire se rejoindre. La création doit retrouver sa part de dimension populaire qu’elle a connue en d’autres temps, mais qu’elle a fini par perdre ou par voir s’affaiblir. Bien sûr, cela ne signifie pas que l’exécutif se serve de la création pour exprimer son pouvoir et son autorité sur la culture. Cela signifie seulement que la politique de la création culturelle ait le souci de la protection des acteurs culturels contre toutes les formes de censure et de la liberté de création de celles et de ceux qui s’y engagent.
Une politique de patrimoine
Le patrimoine est l’expression de la culture dans le temps long du passé et de la mémoire. C’est par la politique du patrimoine que la culture exprime l’identité de notre pays à travers tous les temps et toutes les époques de son histoire. Le projet du prochain exécutif dans le domaine de la politique patrimoniale devrait se fonder sur quelques points qui semblent ne pas avoir assez élaborés à notre époque. Le premier est la politique du patrimoine architectural. Dans tous les espaces de notre pays, il y a des constructions et des paysages qui se dégradent, des monuments qui sont détruits, des sites qui sont endommagés. Au lieu d’encourager les auteurs de ces actions au nom du libéralisme et de l’accroissement des profits, les acteurs culturels de l’exécutif devraient mener une politique destinée à renforcer le lien entre les époques, à améliorer notre connaissance des temps passés pour se faire davantage porteurs de notre identité partagée, à élaborer des instruments de compréhension et de connaissance du patrimoine culturel. Le second aspect de la politique patrimoniale que l’on attend du prochain exécutif est l’égalité entre les différentes formes de notre patrimoine national et ses différentes origines. Pays d’origines multiples et de populations diverses, notre pays doit pouvoir pleinement exprimer cette pluralité dans son patrimoine culturel et c’est pourquoi notre politique patrimoniale doit réserver une place égale à toutes les expressions et à toutes les représentations, quelles que soient leurs cultures d’origine, qui se fondent dans un langage culturel commun. Enfin, la politique du patrimoine est une politique de la mémoire et de la transmission. Finalement, une nation a ceci de commun avec une personne : c’est sa mémoire qui exprime son identité. Pour cela, la politique patrimoniale de la nation est dotée à la fois d’instruments de conservation et de protection, d’instruments de transmission et de traduction (je pense notamment aux représentations issues de cultures ou d’époques anciennes) et d’instruments permettant de mieux faire comprendre les liens entre l’histoire du pays et les cultures qui donnent leur voix aux différentes époques de sa vie.
On peut se rendre compte à la lecture de ces quelques lignes modestes qu’il y a du travail et, surtout, qu’il y a à engager une rupture résolue avec les politiques culturelles mises en œuvre aujourd’hui.