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Billet de blog 1 avril 2015

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Ce n’est pas une crise c’est une arnaque

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Comme cela est fait quotidiennement en Espagne depuis le 15 mai 2011, date du début de l’occupation de la Puerta Del Sol, il nous faut démasquer, en France et dans chaque Etat européen, l’arnaque que constitue la crise, et ce qu’on nous dit de la crise. Il nous faut décrypter les fables qu’on nous raconte chaque jour, car, que les gens y croient ou non, ils en sont les victimes assommées.  « Tout itinéraire de libération passe par le dévoilement des impostures », comme l’a écrit le Juge italien Scarpinato.

Car c’est bien dans une imposture, dans une arnaque, arnaque économique et arnaque politique, qu’on nous enferme chaque jour.

Au prétexte de ce qu’on ne saurait sortir de la crise sans austérité, sans réduction des coûts salariaux, sans flexibilité du travail, sans réformes structurelles (Hopital, enseignement, administration...) , sans réforme des retraites, etc.

Au prétexte qu’il n’y aurait de solutions que libérales, et que critiquer le Président, qui à renié toutes les grandes promesses faites, que critiquer le Premier ministre, qui voulait effacer jusqu’au nom même de ‘’socialiste’’ dans celui de son parti, ce serait affaiblir la gauche, comme le rabâchent les porte-voix du système.

Des prétextes qui privent l’opinion publique de la possibilité de comprendre, car l’intelligence des choses ne peut naitre sur la peur vécue au quotidien (chômage, insécurité, précarité, etc.).

Au point même qu’un journaliste réputé comme Jacques Julliard en arrive à ne pouvoir écrire un papier sans dire tout et son contraire.

Ainsi de son dernier éditorial dans Marianne, où il dénonce avec juste raison la « forfaiture morale » que constituait l’élection des assemblées départementales, « dont le Premier ministre, il y a un peu plus d’un an annonçait la disparition, et dont les pouvoirs n’étaient pas connus au moment même où on allait aux urnes ».

Mais pourquoi,  quelques lignes plus loin, dénoncer alors : « la stratégie de la division de la gauche », dont il feint de croire qu’elle n’est portée que par le Front de gauche ? Est-ce parti pris partisan, aveuglement, ou complaisance envers le libéralisme du pouvoir?

Alors, si nous voulons construire une nouvelle donne, il nous faut tout d’abord dévoiler l’arnaque.

Arnaque économique tout d’abord.

La première des impostures est celle des économistes, dont le courant mainstream néoclassique occupe le devant de la scène, l’enseignement et les médias. Au point de ne pas hésiter à faire pression sur la ministre pour enterrer un projet d’unité de recherche plus interdisciplinaire demandé par l’Association française d’économie politique*.

Une ouverture intellectuelle serait pourtant bienvenue, comme le suggère la lecture de « L’imposture économique », de Steve Keen, préfacé par Gaël Giraud.

«  Si le monde que décrivent les manuels économiques ressemblait au monde réel, il n’y aurait pas eu de crise financière en 2007 ». écrit l’auteur. qui précise : « On enseigne aux étudiants une théorie du comportement des marchés et des économies qui est vraie pour les individus isolés, mais qui est erronée pour les marchés et les économies ».

Ce qui pousse G. Giraud dans sa préface à plaider pour « la nécessaire remise en cause d’une théorie économique, la notre, qui ne nous aide pas à panser les blessures que les krachs financiers infligent à notre société, mais encore contribue, par son aveuglement, à préparer de nouvelles crises ».

En fait, il ne faut pas hésiter à dire qu’il ne s’agit pas d’aveuglement. Il s’agit tout simplement de complicité avec le système.  Ces économistes là vivent dans le système et du système. Enseignants d’un coté. Conseillers bien rétribués ce l’autre.

« Nombre d’universitaires invités par les médias pour éclairer le débat public, mais aussi de chercheurs appointés comme conseillers par les gouvernements, sont en effet rétribués par des banques ou de grandes entreprises. Un expert peut-il, « en toute indépendance », prôner la dérégulation financière quand il occupe simultanément un poste d’administrateur d’un fonds d’investissement ? ». (Lu dans Le Monde Diplomatique de mars 2012).

Pas étonnant dès lors qu’on nous serve une fiction économique d’un coté, et qu’on glisse sous le tapis toute la pourriture que cache cette fiction de l’autre.

La fiction économique, ce sont les vieilles lunes  de la rationalité des marchés, des bienfaits de la concurrence sans limite,  de la relance économique par l’offre quand bien même la demande est inexistante, du travail qui coute trop cher, de la nocivité de l’Etat, sur quoi viennent se greffer toutes les sornettes sur les chômeurs, qui ne veulent pas travailler, les immigrés, qui prennent le travail des nationaux, l’assistanat qui nous ruine, etc. Ces  sornettes qui sont les sucettes préférées des Sarkozy et des Le Pen.

Et sous le tapis, on trouve la corruption, les conflits d’intérêts, la criminalité financière, la délinquance en col blanc, les paradis fiscaux, le dumping fiscal entre les Etats, les prix de transferts, les magouilles dans les cabinets d’avocats, comme l’illustre si bien l’implication de l’associé de Sarkozy, Maitre Arnaud Claude, dans l’affaire Balkany**.

C’est aussi le lobbying effréné des banques, de la finance, des multinationales, pour faire passer des lois qui les protègent, qui les favorisent, qui les enrichissent, qui repoussent à plus tard les réformes  indispensables pour limiter les pollutions, défendre la santé de nos enfants et de nos jeunes, happés de plus en plus tôt par le cancer, la stérilité, l’asthme, l’insensibilité aux médicaments, la résistance à l’insuline, etc.

Un seul exemple, pris sur le site Actu-environnement. « L'Assemblée nationale a adopté lundi 30 mars, en première lecture, la proposition deloi concernant le devoir de vigilance des sociétés-mères ». Mais, car il y a un mais : « ce texte a été grandement affaibli par rapport à la première proposition de loi qui avait été renvoyée en commission le 29 janvier dernier, regrette dans un communiqué l'association Les amis de la Terre ».

Arnaque politique ensuite.

Car bien entendu, ces lois qui sont repoussées, ces marchés qui sont truqués, ces banques qui ne sont pas séparées, ces négociations engagées en secret entre les Etats, comme TAFTA, CETA et TISA, dont l’objectif est de permettre aux multinationales de s’emparer des services publics (enseignement, hôpitaux, autoroutes, transports, énergie), de réduire les normes qui les gênent,  ces procès pour blanchiment, évasion fiscale, corruption, qui trainent en longueur pendant 10, 15 ans, et plus, (Dassault, depuis quand sait on ? Une éternité. Cahuzac, pendant combien de temps attendra-t-on sa condamnation ? Une éternité. L’affaire des frégates d’Arabie saoudite, des sous-marins du Pakistan, la justice tranchera un jour ?), qui est aux manettes? Nos élus. Car tout ceci est bien acté par nos élus, nationaux et régionaux, par notre Parlement, par notre gouvernement. Qui dénonce ces arnaqueurs ?

Et, pardonnez moi de ressortir « Le retour du Prince » de Scarpinato, où on lit ceci :

« Les problèmes de corruption et de criminalité mafieuse semblent avoir été rayé de l’agenda des partis politiques. La corruption a disparu sous une chape de silence, bien que son irrépressible prolifération ait un coût global de plus en plus insoutenable pour le pays ». Comme ils sont rayés aussi de la parole des églises, pointe-t-il par ailleurs. C’était avant que le Pape François n’occupe, de façon si étonnante, le Saint Siège, et n’hésite pas à condamner les mafias, au risque de sa vie.

Là, il faut immédiatement répondre à l’objection que certains seraient tentés d’avancer. Non, cela ne concerne pas que l’Italie. Cela concerne aussi la France.  « Le modèle français de justice, de par ses limites, présente le danger permanent d’un conditionnement occulte, voir imperceptible si un magistrat n’en vient à se rebeller contre cette influence et ne la dévoile publiquement ». (Scarpinato encore).

Mais il arrive parfois que la vague monte et mouille. Ainsi, lorsque des juges lancent un appel conte la délinquance financière comme le rapporte Le Monde du 27 juin 2012 : « Quatre-vingt-deux magistrats ont cosigné une tribune dans laquelle ils s'alarment de l'abandon de la lutte contre la grande délinquance financière*** ». On attend le résultat.

Arnaque culturelle enfin.

Car derrière tout cela, c’est bien d’un problème de société dont on parle, d’un problème comportemental, d’une question culturelle, ou plutôt de dépossession culturelle.

Un problème de société, un problème comportemental, puisque nous vivons sous la loi inébranlable de la reproduction conservatrice des élites. De la règle de l’entre soi. Comme le montre le va et vient de ces élites entre la banque et le ministère de l’économie, (cas Macron). Entre l’Etat et les entreprises du CAC 40, (Stéphane Richard). Parfois même de façon délictuelle, comme l’illustre le cas Pérol, mis en examen pour prise illégale d’intérêts, car passé directement de l’Elysée à la Banque populaire-Caisse d’épargne, après avoir pris part, comme Secrétaire adjoint à l’Elysée, aux négociations sur la création du groupe****.

Le point crucial se trouve là, dans ce rapport entre oligarchie et société, minorité des gouvernants et majorité des gouvernés.

Un problème de dépossession culturelle, puisque la culture disparaît chaque jour davantage sous une sous culture entretenue par les grands médias audiovisuels. Souvenons nous de la formulation du patron de TF1 « Pour qu'un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c'est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible ». Aveu terrible ! Mais technique appliquée au quotidien.

Et au-delà, formation et désinformation de l’opinion publique également. « La classe dirigeante organise le savoir social, sélectionne la mémoire collective, choisit ce qui doit être retenu et ce qui doit être oublié, construit un système de valeurs et impose d’en haut les exemples à suivre et à réprouver ». De qui cette Phrase ? De notre ami Scarpinato, as usual.

Culture en perdition, suite aux coupes budgétaires de l’Etat et des collectivités locales, qui fragilisent les institutions culturelles. Un seul exemple : celui des Musiciens du Louvre à Grenoble, qui ont vu remise en cause leur convention avec la ville. Initiative d’une mairie tenue par les verts et le Parti de gauche, élus en 2014. « Conserver un orchestre national dont l’objet est le rayonnement de notre ville ne nous concerne plus.» a dit Eric Piolle le maire. Vous avez dit culture ou pistolet ?

Mais aussi culture menacée par la chute des territoires dans les bras du FN, comme en témoigne cet article du JDD.*****

C’est pourquoi le rapport de juillet 2014 du CESE sur la culture nous semble avoir peu de chance d’être entendu lorsqu’il affirme « qu’il faut renouer avec une grande ambition culturelle pour une création toujours plus diverse, une société plus solidaire et ouverte aux autres cultures du monde ».

Dès lors que peut on faire, et que faut-il faire ? Suivre les conseils de l’avocat William Bourdon, créateur de l’association Sherpa, qui nous demande de devenir lanceurs d’alerte. Alerter les citoyens, entrer en désobéissance civile aussi, comme nous le disent Albert Ogien, sociologue, et Sandra Laugier, philosophe, dans leur ouvrage « Pourquoi désobéir en démocratie ? ».

« La désobéissance civile est une forme d’action politique constitutive de la démocratie… Récupérer sa voix et la faire entendre en se résolvant à désobéir est, en ce sens, une démarche qui repose sur une idée exigeante du politique, qui prend au sérieux la définition radicale qui donne la démocratie pour un gouvernement du peuple par le peuple… Les chemins de la désobéissance civile ne sont pas ceux de la défiance ou du rejet du politique. Celle ci vient rappeler l’activité politique à une exigence d’authenticité à laquelle elle a cessé de satisfaire ».

La première pierre à une nouvelle donne en quelque sorte. Chiche !

*

http://assoeconomiepolitique.org/lettre-ouverte-jean-tirole-la-diversite-intellectuelle-nest-pas-source-dobscurantisme-et-de-relativisme-mais-dinnovations-et-de-decouvertes/

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http://www.mediapart.fr/journal/france/260315/affaire-balkany-l-associe-de-sarkozy-est-trahi-par-un-fax

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http://abonnes.lemonde.fr/societe/article/2012/06/27/agir-contre-la-corruption-l-appel-des-juges-contre-la-delinquance-financiere_1724608_3224.html

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http://abonnes.lemonde.fr/economie/article/2014/02/07/francois-perol-entend-rester-a-la-tete-de-la-bpce_4362002_3234.html

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http://www.lejdd.fr/Politique/Les-maires-FN-ont-ils-du-mepris-pour-la-culture-678119

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