Dans un monde où les salariés, les artisans, les responsables de PME, sont sommés d’enrichir leurs compétences sous peine de disparaître dans un monde qui bouge, on peut, sans craindre d’être démenti par les faits, affirmer que c’est le contraire qui prévaut dans la sphère des personnalités exerçant un pouvoir politique ou un poste de dirigeant au sein des grands groupes internationaux. Leur incompétence est souvent notoire, persistante, incurable, inamovible, illustrée par leur incapacité à anticiper les crises et à les résoudre lorsqu’elles surviennent.
Responsables et coupables, ou responsables mais pas coupables ?
Mais les lois sont ainsi faites - ce sont eux qui les ont préparées la plupart du temps, ou qui les ont influencées, à grand renfort de lobbying - qu’ils échappent à ce jour à la sanction, sinon à l’opprobre. Rien ne change, tout s’aggrave, mais eux persistent et signent, ne travaillant qu’à prolonger et préserver un système en faillite sur le dos duquel ils sont assis et endormis.
Il en va ainsi de Manuel Valls, comme l’ont montré ses propos lors de la journée du patrimoine, annonçant qu’il pense être à l’Elysée en 2022. Pierre Larrouturou, économiste et co-président de Nouvelle Donne, les a commentés dans son livre « Non-assistance à Peuple en danger » qu’il vient de publier : « S’imaginer à l’Elysée en 2022, c’est sans doute plus agréable que de se coltiner les problèmes de Pôle Emploi en 2015 ».
Mais il en va ainsi un peu partout dans le monde politique, de droite comme de gauche. Nous passerons rapidement sur la droite, qui de 2000 à 2012 a eu tout le loisir de montrer son incompétence coupable, pour nous attarder un peu sur celui qui nous avait annoncé que « le changement c’est maintenant », et sur tous ceux qui depuis ont suivi sans rien dire, et l’oubli du changement et des promesses, et un immobilisme, lui aussi coupable.
Alors ? Responsables et coupables, ou responsables mais pas coupables ? Nous le saurons un jour, si la plainte que vient de déposer Larrouturou, dans la foulée de la sortie de son livre, contre une dizaine de personnalités au pouvoir, a une chance d’aboutir.
Quoi qu’il en soit, il faut bien avouer qu’il n’a pas tort. On devrait pouvoir demander des comptes à ces ‘’responsables irresponsables’’ qui nous gouvernent, et que Larrouturou accuse d’être restés inertes, face à la crise sociale.
Une inertie aux effets funestes que le trublion a expliqués : « Au delà des suicides dus au chômage, 10 000 à 20 000 morts par an lui sont imputés ». C’est Pierre Meneton (Inserm) qui l’affirme dans un article publié par la revue internationale de santé environnementale, IAOEH.
Larrouturou est d’autant plus énervé qu’il a plusieurs fois depuis 2012 montré aux responsables au pouvoir que des solutions simples existent pour inverser la fatalité française du chômage, soit en le traitant directement, soit que d’autres mesures ont un impact favorable sur l’emploi. Larrouturou les formule en détail dans son livre, en un plan d’urgence en 5 points.
Un plan d’urgence en cinq points.
- Protéger les salariés et éviter les licenciements, en copiant ce qui se fait déjà au Canada et en Allemagne. « Quand une entreprise connaît une chute d’activité, an Canada, au lieu de licencier les salariés, elle garde tout le monde, elle baisse le temps de travail et baisse les salaires, mais les salariés reçoivent immédiatement un deuxième chèque qui vient de l’équivalent de l’Unedic et de l’Etat en complément. Il existe bien en France un système de chômage partiel, mais il est inopérant. Aussi, on compte 1 500 000 bénéficiaires en Allemagne contre 50 000 en France.
- Protéger et renforcer les PME. « En renforçant leur trésorerie mise à mal par des délais de paiements imposés par certains grands clients qui jouent la montre en espérant que la PME va disparaître, ce qui leur évitera de payer leurs dettes. Larrouturou propose de mettre en place avec la Caisse des Dépôts une garantie universelle de paiement, comme on en parle pour les loyers. Il avance d’autres mesures, dont les deux plus importantes semblent celle qui veut attribuer aux PME entre 25 et 40% des commandes publiques. (Cela se pratique aux Etats-Unis grâce à la loi du Small Business Act), et celle qui consisterait à diminuer de 10% l’impôt sur les bénéfices des entreprises qui investissent et ne distribuent pas de dividende. (Durant cinq ans).
- Investir massivement dans le logement pour créer des emplois et faire baisser les loyers. En utilisant le Fonds de réserve des retraites, plus de 37 milliards actuellement placés sur les marchés financiers, ce qui n’est d’aucune utilité sociale. C’est ce qui se pratique au Pays-Bas, où 50% du parc de logements est la propriété des syndicats ou de coopératives rattachées à des syndicats. Le bâtiment, au lieu de licencier comme il le fait actuellement, créerait entre 250 000 et 300 000 emplois en trois ans. Les loyers seraient entrainés à la baisse. Actuellement, ils sont en France 30% plus élevés que la moyenne européenne. Larrouturou souhaite également que l’on revienne à la réglementation qui obligeait les assurances à consacrer 20% de leur collecte annuelle dans la construction de logement.
- Investir en Europe 1 000 milliards d’euros pour le climat, ceux que la BCE distribue gracieusement aux banques actuellement, une somme qui va grossir la spéculation. Nouvelle Donne propose que chaque année en Europe, les Etats puissent bénéficier d’un droit de tirage de 2% de leur PIB, pour lutter contre le dérèglement climatique. 48 milliards à taux zéro pourraient être consacrés en France au financement des travaux d’isolation des bâtiments et pour développer les énergies renouvelables. Une étude du CNRS indique qu’un tel investissement permettra de créer 300 000 emplois.
- Lutter contre la spéculation, séparer les banques de dépôts et les banques d’affaires, comme ce fut le cas durant soixante ans. Actuellement les banques, et spécialement les banques françaises en Europe, spéculent avec l’argent des déposants plutôt que de financer les PME. Leur message à l’Etat est clair et entendu : « En cas de crise, le contribuable paiera ». La garantie de l’Etat a fonctionné en 2008. Ce sera donc ad vitam. L’engagement de séparer les banques avait pourtant été pris par Hollande dans son fameux discours du Bourget.
C’est pourtant les banques qui, tout comme les entreprises transnationales, sont à la base des disfonctionnements les plus importants du système économique et social mondialisé et sans morale, sans honneur, sans utilité sociale, dans lequel nous vivons. Disfonctionnements attachés à la spéculation, à la fraude, aux mensonges organisés, au lobbying, à la manipulation, à la criminalité en col blanc et mafieuse.
Incompétence et manque d’éthique en entreprises
L’incompétence des dirigeants complète bien entendu ce tableau contrevenant aux règles élémentaires de l’éthique et de la bonne gouvernance d’entreprise. Pour faire court, on va se contenter d’une illustration légère mais lumineuse, empruntée au Figaro du 30 juillet 2014. Vincent Le Biez, secrétaire national de l’UMP, y ouvrait une tribune par un titre approprié et prémonitoire (Je songe à l’affaire Bygmalion) : « En politique, vaut-il mieux être malhonnête ou incompétent ? ». Il continuait : « Accusé en 2006 de délit d'initié après avoir vendu au plus haut ses actions EADS, Arnaud Lagardère a lâché cette phrase devenue célèbre: «J'ai le choix entre passer pour quelqu'un de malhonnête ou d'incompétent, qui ne sait pas ce qui s'est passé dans ses usines, j'assume cette deuxième version». Et Le Biez concluait : « L'incompétence est ainsi devenue un moyen de défense jugé efficace face à l'accusation de malhonnêteté, dévastatrice aux yeux de l'opinion publique ».
On ne peut mieux dire. Il serait facile de montrer aussi que l’incompétence des managers français est reconnue. Contentons de citer un spécialistes de l’analyse économique. Frédéric Lordon qui « Dans une crise de trop » nous dit : « A ce qu’on dit, les dirigeants dirigent parce qu’ils sont d’une clairvoyance supérieure à la moyenne. Il y a comme ça des mythes en attente d’urgentes révisions. Car à tous les étages du pouvoir, politique comme financier, ce ne sont plus que désarroi et désorientation ».
Prenons l’exemple d’un patron de banques. Que comprend-il aux algorithmes mis à la disposition de ses traders pour les transactions à hautes fréquences. Mais est-ce si nouveau ? On pourrait Rappeler le principe de Peter. Mieux encore, celui qui le prolonge, le principe de Dilbert, que les gens les moins compétents sont systématiquement affectés aux postes où ils risquent de causer le moins de dégâts : l’encadrement.
Un principe qui se vérifie assez bien en France où la consanguinité des dirigeants est reconnue, avec un nombre de personnes issues de l’ENA ou de l’administration des finances, n’ayant que rarement eu l’occasion de voir de près comment fonctionne une entreprise.Mais ils sont "cadre-sup".
Annie Kahn le reconnaissait dans Le Monde le 11 janvier 2010 : «les instances au sein des conseils d’administration du CAC 40 continuent d'être globalement très homogènes et consanguines ». Au détriment de leur indépendance.
On patiente donc dans les couloirs de l’administration et on se montre bienveillant avec la puissance économique, attendant l’occasion d’y entrer en pantouflant.
Macron le cynique symbole.
C’est bien pourquoi nous ne nous étonnons pas que Pierre Larrouturou porte plainte contre des gens dont l’incompétence n’a d’égale que leur relativisme intellectuel. On prend prétexte que le monde évolue pour ne pas respecter mardi les promesses du lundi.
Emmanuel Macron est très fort sur ce terrain là. Conseiller de Hollande durant sa campagne présidentielle, n’a-t-il pas théorisé cette règle dans la revue Esprit de mars 2011, justifiant par avance les promesses trahies du futur Président.
Il écrivait : « Les discours comme l’action politique ne peuvent plus s’inscrire dans un programme qu’on proposerait au vote et qu’on appliquerait durant les cinq années du mandat… Une fois l’élection passée la réalité arrive, les changements surviennent et l’application stricte des promesses, si elle a un sens politique - faire ce qu’on a promis afin de préserver la plénitude de la parole politique de manière symbolique et glorifier la notion de mandat – peut conduire à l’échec ou a des aberrations ».
Tout change donc. Et même les revues. Car la revue Esprit de ma jeunesse n’aurait jamais, me semble-t-il, publié un libéral du genre Macron. Tout change comme dit Macron.
Allez, rêvons. Souhaitons que le procès lancé par Larrouturou puisse s’ouvrir. Ca nous changerait des débats entre intellectuels.