Nicolas Sarkozy voulait « liquider » l’héritage de mai 68. Gaspard Koenig souhaite, lui, « un réveil libéral de la philosophie française », dans une tribune de libération (vendredi 1er novembre dernier).
Au motif premier qu’on lui aurait donné à étudier « pour franchir le parcours d’obstacles de l’Ecole normale supérieure, du master et de l’agrégation » « tous les « ismes », tous, sauf un, le libéralisme ». (J’ose espérer qu’on lui a parlé du cubisme. Rien que pour lui éviter le ridicule d’écrire une nouvelle tribune où il prônerait un « réveil cubiste de la philosophie française »).
Sauf que son entreprise, au prétexte de voir se diversifier le programme d’enseignement de la philosophie à l’université (Mais dans ce cas, je souhaite quant à moi que les présocratiques figurent au programme d’enseignement des mathématiques), n’est rien d’autre qu’une défense de l’idéologie ultralibérale quelque peu secouée ces temps derniers par la crise.
Un ultralibéralisme dont il cherche à faire oublier le préfixe.
Il entretient à cet effet la confusion, en se recommandant lui même d’auteurs qu’il aurait découvert lors de son année passée à Columbia University, des auteurs certes libéraux, mais rarement assimilables aux Friedman & Cie de l’Ecole de Chicago. Des auteurs dont il dit qu’on n’en parlerait pas en France, comme Raymond Aron, Jean-Baptiste Say, Benjamin Constant, etc. C’est dire sa bonne foi.
Si notre agrégé de philosophie ne se perdait pas dans un champ qui n’est pas le sien, celui des économistes, on ne pourrait lui reprocher par ailleurs d’oublier lui-même l’un des grands économistes français dont on parle peu, Charles-Gide, l’un des pères de l’économie sociale française. Mais on n’en parle peut être pas à New-York. En conséquence, il n’existe pas.
On peut se demander si Koenig ne noircit pas le tableau pour tout simplement se fabriquer un joli rôle de contempteur de l’université, alors que « l’histoire de la pensée économique est un domaine dans lequel la France excelle au niveau mondial (voir numéro 60 de « L’économie politique » p 77). Cela il semble l’ignorer. Ca n’est pas arrivé jusqu’à lui à « Normale ».
Avant de lire le libre propos de Gaspard Koenig, présenté dans libération comme écrivain, je ne le connaissais pas. Je l’ai, bien entendu, très vite googlisé. Et tout est devenu plus clair.
Certes, Koenig est bien agrégé de philosophie et écrivain. Mais il est aussi bien d’autres choses.
- Tout d’abord, il a écrit les discours de Madame Christine Lagarde à Bercy Jusqu’au mois de juin 2009.
- Il est aussi vice-président du Parti Libéral-Démocrate, la composante peut-être la plus à droite de l’UDI. On commence à comprendre. Car, que trouve-t-on sur le site de ce petit parti ? « Qu’il est le seul parti politique français à promouvoir la liberté ». Excusez du peu !
- Il dirige encore le think-tank français Génération libre, qui, précise son site Internet: « Constatant la faillite du modèle de l’État-providence, de l’État-Nounou, de l’État- Léviathan dans la plupart des pays européens, entend participer à la construction d’une alternative qui redonne force à la France et à notre continent ». Nous sommes sauvés.
Il suffit de lire les notes de Génération Libre pour s’en convaincre. « Les autorités de concurrence ne doive pas céder à l’interventionnisme ». « Le pouvoir du ministre de l’économie d’interdire une opération de concentration pour des motifs d’intérêt général doit lui être retiré ». « Plafonnement des bonus : une mesure inefficace, idiote et populiste »…
- Il contribue également au site d’information de droite Atlantico.
Sur lequel on apprend que Génération Libre a été le seul think-tank français représenté aux assemblées générales du FMI et de la Banque Mondiale. (Christine Lagarde ?). Que Gaspard Koenig en rapporte que « le choix politique de privilégier la rémunération du travail sur celle du capital conduit à des taux de profitabilité anormalement bas, qui contraignent sur le long terme la capacité des entreprises à innover et à rester compétitives à l’internationale ». Le fameux travail trop cher du Medef.
Qu’il a profité de son séjour à Washington pour établir des relations avec les organisations libérales outre atlantique et des think-tanks, dont son préféré est, dit-il, « Cato Institute ». Un think-tank qui prône l’abolition du salaire minimum, la suppression de l'État-providence et des barrières douanières, le retrait de l'État du marché, etc.
Dernière poire pour la soif, Rupert Murdoch a été membre du conseil d'administration de Cato, alors qu'il siégeait également chez Philip Morris.
Il est reproché par ailleurs à l'institut d'avoir reçu d'importants fonds du lobby du tabac.
D’où une écriture chez Koenig en forme de pot-pourri de la pensée ultralibérale, dont je vous livre quelques pépites en passant, puisées dans Libération : « Iniquité étatique », « néomarxisme mou de la pensée 68 dont d’autres ont déjà analysé les ressorts », « Ce néomarxisme mou qui a empêché toute rénovation de l’université française depuis un demi-siècle », etc.
Ce qui ne l’empêche pas de terminer son papier, (oh merveille !) par : « Liberté, on n’a pas fini d’écrire ton nom ». Eluard a du s’en retourner dans sa tombe.
Peut on souffler à Gaspard Koenig, le « libéral », qu’Eluard avait sa carte au Parti Communiste ?
Mais cumuler les casquettes, c’est comme cumuler les postes d’élus ; on finit par se figer en postures superficielles.
La tâche, passionnante, de sa génération, sera désormais de suivre l’œuvre à venir de notre philosophe, écrivain, homme politique (Il s’est présenté aux élections législatives), etc.
Pas certain que la philosophie, ni la politique, ni la pensée y gagnent. Mais nous vivons une époque difficile.
NB. Google m’a également ouvert deux articles de Laurent Mauduit, dans lesquels celui ci administre une fessée méritée à notre jeune écrivain.
http://www.mediapart.fr/journal/economie/081209/la-plume-de-bercy-fait-l-eloge-de-la-corruption
http://blogs.mediapart.fr/blog/laurent-mauduit/280211/atlantico-la-droite-rance