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Billet de blog 4 novembre 2021

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Sur le combat des ex-GM&S.

Belle écriture sociale d’Arno Bertina avec son dernier ouvrage : « Ceux qui trop supportent ». * L’histoire des femmes et des hommes sacrifié-e-s sur l’hôtel de la mondialisation de l’économie par Renault. Au bénéfice de quelques-uns, patrons, repreneurs-filous, actionnaires. Avec la complicité active du pouvoir politique

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« Le langage est la place de l’autre ». Ces quelques mots pris à la fin de l’ouvrage d’Arno Bertina résument à eux seuls ce qui a soutenu son travail d’enquête et d’écriture, comme ils en affirment l’éthique artistique et en concluent la réussite.

Car il y a longtemps que je n’ai pas lu un livre aussi vrai, aussi passionnant, aussi interpelant, sur l’histoire des femmes et des hommes sacrifié-e-s sur l’hôtel de la mondialisation de l’économie. Au bénéfice bien entendu de quelques-uns, patrons, repreneurs-filous, actionnaires. Avec la complicité active du pouvoir politique, ministres et chefs d’État. Bruno Le Maire et Emmanuel Macron entre autres.

Car c’est bien à un sacrifice, à une mise à mort que ce livre est consacrée. Celle de l’entreprise GM&S, équipementier automobile établi à La Souterraine, dans la Creuse, de ses ouvrières et ouvriers, hautement qualifiés. Une mise à mort organisée par son donneur d’ordre principal, le Groupe Renault automobile, qui, en programmant un transfert de commandes au bénéfice de pays à bas coûts de main d’oeuvre, déstabilise sa sous-traitance.

Une seule anecdote. A un moment, les GM&S vont découvrir le pot aux roses en examinant des pièces que Renault leur renvoie en se plaignant de malfaçons : elles n’ont pas été produites par eux. Une courte enquête leur apprendra que ces pièces défectueuses viennent d’unité de production installées à l’étranger. Ils découvrent que chaque poste de GM&S a son jumeau à l’étranger.

Mais c’est aussi à coups d’incompétences que Renault déstabilise son sous-traitant de La Souterraine, comme l’illustre l’échec conceptuel puis commercial de la Modus, qui a couté gros à GM&S à qui Renault avait demandé d’investir dans du matériel onéreux.

D’où une succession de plans sociaux, ce qu’en langage vrai on nomme plans de licenciements, concoctés par ses actionnaires successifs, ses repreneurs véreux, avides des aides de l’État, des aides jamais investies dans l’entreprise mais jamais perdues pour les repreneurs, sans que l’État s’en préoccupe d’ailleurs. On ne contrôle pas le capitalisme, c’est le peuple qu’on contrôle, c’est le peuple travailleur, lorsque ce dernier a l’audace de relever la tête. Comme ce jour du 4 octobre 2017, lorsque Emmanuel macron se rend à Égletons, et qu’on oppose coups de matraques de CRS et gaz lacrymogènes aux ouvriers venus dans l’espoir de rencontrer le chef de l’État.

Derrière ce drame régional, ce drame français, ce drame humain, c’est l’histoire du capitalisme industriel mangé par le capitalisme financier qui se révèle. C’est la loi de l’argent, de la gestion, avec fonds de pension américains en arrière-plan, qui se dévoile. C’est la rapacité du néolibéralisme qui apparaît, l’image d’un libéralisme qui se goinfre

La grande qualité du livre d’Arno Bertina, elle est l’effort de l’écrivain capable de s’effacer devant les hommes et les femmes qu’il découvre. Qui fait effort pour ne raconter que ce qui leur arrive et la violence qui leur est faite. Qui connaît la même colère que Victor Hugo connaissait face à la violence de Louis-Napoléon Bonaparte. Mais en plus désabusé encore. Car « Si Victor Hugo se sent assez géant pour dialoguer avec l’histoire elle-même, les femmes et les hommes du XXe siècle vont au contraire apprendre à vivre en se sentant toujours dépassés par elle, et balayés – par la vie manufacturée, par l’industrie de la mort (Verdun et Auschwitz), par la mondialisation de l’économie, la standardisation des désirs et l’épuisement inexorable de la planète, etc. ».

La conclusion que je tire de ma lecture et que Bertina me tend, c’est que les néolibéraux ne peuvent plus se maintenir sans réprimer les populations aussi durement que les régimes autoritaires. Et par-delà celle-ci, c’est la question de la réponse à la violence institutionnalisée qui se pose. Les ouvriers de GM&S ont toujours choisi la non-violence en réponse à la violence qui leur était faite. Demain, que choisiront d’autres GM&S ? Car l’histoire se répète. Aujourd’hui, dans le Jura, la liquidation de la fonderie automobile MBF Aluminium fait écho à celle de GM&S. L’asphyxie d’une certaine « culture de l’industrie », comme l’a écrit Aline Leclerc dans Le Monde du 30 octobre, continue.

Reste à lutter. « Fraternité, excitation, pertinence politique ou intellectuelle… voilà ce qui se dégageait du combat des GM&S, écrit Bertina. Peut-être est-ce même l’image que renvoie tous les combats sociaux quand on les vit en direct, et non via des caméras qui rarement filment la joie ressentie à s’ébrouer, quand on se découvre une voix qui porte. ».

° Éditions Verticales .230 pages. 19 €.

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