Ruwen Ogien, philosophe, s'en prend dans une interview dans Libération, à Vincent Peillon, ministre de l'Education nationale, sur la question de la "morale laïque" ouverte par ce dernier, qui propose de l'introduire à l'école.
Luc Chatel, "porte parole de la tendance libérale", comme dit Libé, (mais ce n'est pas ce que j'aurais écrit, car le libéralisme est comme la morale, un mot multicouches, qu'il faut éclairer dès qu'on l'utilise, sous peine de malentendus) , s'est aussitôt écrié, et, comme à son habitude, proféré des âneries.
Plutôt que de saisir l'occasion qui lui est donnée, par Libération, d'apporter sa pierre constructive à ce que propose le ministre qui a annoncé la création d'une commission, (Pour travailler à des propositions, et donc, approfondir, avancer, proposer, j'imagine), la première critique qu'adresse Ogien au ministre est que "ce projet n'est pas vraiment nouveau et n'a rien de particulièrement progressiste".
Moi qui ne suis pas philosophe mais me considère comme étant progressiste, j'ai failli aussitôt vouer aux gémonies Peillon.
Mais le reste de l'interview m'a interpellé, car Ogien, de fait, s'en prend, non pas au ministre, mais au philosophe Peillon. Car le ministre appartient, tout comme Ogien, au CNRS, où les deux hommes sont directeur de recherche.
Dés lors, ce qui intéresse Ogien, n'est pas de savoir, ni de débattre, si la question que pose Peillon sera profitable ou non, telle quelle, ou améliorée par une commission, au progrès de notre enseignement.
Elle est de jouer au philosophe, de jouer sur la définition des mots, et, puisqu'il trouve que la proposition de Peillon "est un projet autoritaire, totalement inadapté", s'inscrivant dans ce qui a été "depuis un siècle" nous dit il "le projet pompeux de tous les ministres de l'éducation nationale de faire revenir, sauf pendant une courte période qui a suivi 1968, la morale à l'école". Il conclut alors que "Vincent Peillon montre à quel point la pensée conservatrice est devenue hégémonique dans les esprits, même à gauche".
Ceci, j'imagine, au nom de quelques billevesées gauchistes, ou crypto quelque chose, "anti morale".
N'étant pas philosophe, et mes souvenirs de lycée étant trop flous, je suis allé chercher dans ma bibliothèque l'assistance du "Dictionnaire d'éthique et de philosophie morale", (PUF. 1996), acheté un jour où j'avais envie, je pense, de me cultiver.
A la rubrique "Morale" on est renvoyé à "éthique". Signe du temps. Mais on a droit, malgré tout, à un long article "Moralistes français. Des XVII et XVIII siècles", écrit par Jean Lafond. On y apprend qu'il a fallu attendre 1690 pour voir apparaître le mot "moraliste". Au sens de celui qui traite de la morale. "Science qui enseigne à conduire sa vie, ses actions". (Furetière). Et qu'il a fallu attendre 1762 pour que le moraliste, jusque là appelé philosophe, soit défini comme "un écrivain qui traite des mœurs". L'académie distingue, alors, "des docteurs de la morale ces non spécialistes qui, hors de toute discipline, pensent l'homme dans sa réalité individuelle et sociale, psychologique et morale".
Je ne suis pas allé plus loin. Cela m'a suffit pour mieux comprendre le ministre philosophe dans son approche.
Le citoyen "progressiste" que je suis continue quand même à s'amuser de l'interview du philosophe Ogien, qui ne craint pas à chercher à nous faire grimper à l'arbre de sa connaissance, plus idéologique que philosophique, au nom de sa position de "sachant". Un effort pour s'inscrire, sans doute, à cette école d'antiphilosophie politique dont parle le dernier numéro du Magazine Littéraire, ou bien de porter, sans en avoir l'air, un attachement idéologique à un extrême ou à un autre.
Pour Monsieur Ogien, le projet du ministre serait "autoritaire et confus du pont de vue philosophique”. Ne pas supporter l'autorité ne marque pas à tous coups l'indépendance authentique. Ce peut être un signe d'adolescence sclérosée. Et pour que Peillon soit "confus du point de vue philosophique" n'est ce pas considérer qu'il y aurait en philosophie un point de vue et un seul. Sans doute celui de monsieur Ogien.
Et de nous assener, en quelques mots, ce qu'il pense de la question du juste et de celle, "différente", de la question du bien. (Mon dictionnaire consacre plusieurs pages à ces deux mots, et en petits caractères). Tout ça pour nous dire qu'il faudrait, à ces yeux séparer ces deux questions alors que le ministre ne le fait pas. Belle avancée pour le citoyen que je suis.
Et de nous dire "que nous tenons à la diversité des styles de vie". Contre ce ministre qui, en adepte du moralisme, voudrait "privilégier une vision du bien personnel". "Qu'il est légitime d'instaurer une instruction civique," "mais que l'éducation morale n'est pas évidente". Pourquoi donc ? Parce que celle ci a pour ambition "De nous engager envers une certaine conception du bien, de la vie bonne ou heureuse".
Comment être d'accord avec cela ? N'est ce pas prêter à Peillon des intentions qu'ils n'a pas ? Je me souviens des cours de morale que j'ai suivi au lycée. Il ne me semble pas avoir été "engagé" dans quelque conception que ce soit. Il me semble plutôt que mes professeurs m'ont appris à penser par moi même. Ce qui me permet de lire l'interview de monsieur Ogien avec plus de lucidité qu'il n'en montre vis à vis du ministre.
Mais il faut dire que je ne suis pas philosophe. Que je ne connais pas monsieur Peillon, en dehors d'un ouvrage titré "Eloge du politique".
Peillon, si je ne me trompe, s'y montre plutôt du coté de Merleau-Ponty que de Sartre. C'est de là que vient peut être l'attaque tordue de Ogien. Une fausse bataille philosophique, mais une vraie bataille idéologique.
Et c'est bien de cela qu'il s'agit. Et Ruwen Ogien le montre bien en fin d'interview. "Ce qui me préoccupe le plus, finalement" dit-il, "c'est que ce projet de faire revenir la morale à l'école dépasse tous les clivages politiques". Nous expliquant que parler de morale, aller sur le champ des valeurs, reviendrait à oublier la critique du système économique profondément injuste dans lequel nous vivons.
Glissement mensonger, malhonnête, afin de pour pouvoir conclure, plus facilement, que Peillon est l'illustration que "la pensée conservatrice est devenue hégémonique dans les esprits, même à gauche".
Et notre Directeur de recherche au CNRS, le philosophe Ruben Ogien, de se féliciter: "Que l'aspect positif de ce programme, c'est qu'il n'a aucune chance d'être réalisé".
On se demande pourquoi il a coécrit avec Monique Canto-Sperber, dans la collection "Que sais-je" "La philosophie Morale", ni pourquoi il a participé au dictionnaire auquel je me suis référé.
Et qu'a-t-il écrit dans ce dictionnaire ? Je vous conseille d'y aller voir. Ceci par exemple, à la rubrique "Normes et valeurs": "Il est incontestable que l'intégration des théories du bien et du devoir dans des théories plus générales de la valeur et des normes a libéré, si l'on peut dire, la recherche en philosophie morale". Ah bon!
Il a écrit également l'article "Impartialité".
Une qualité qu'il a oubliée vis à vis de Vincent Peillon.