La défense des injonctions religieuses, communautaires ou politiques n’a jamais servie la pensée à s’élever. On le constate une fois encore avec la polémique à propos de la « mode islamique ».
Celles et ceux qui attaquent sans mesure Laurence Rossignol pour avoir critiqué les maisons de couture qui l’ont lancée, y tombent. On ne peut leur opposer que ces mots d’Abdennour Bidar qui ouvrait ainsi sa ‘’Lettre ouverte au monde musulman’’, éditions LLL. « Tu te réfugies dans le réflexe de l'auto défense sans assumer aussi la responsabilité de l’autocritique ».
On se demande donc ce que vient faire (Libération du 6 avril)* dans la galère du débat pipé contre Laurence Rossignol, la sénatrice EE-LV, Esther Benbassa, dont le combat pour le dialogue judéo-musulman est reconnu, comme celui qu’elle porte pour l’environnement.
La ministre aurait baptisé « à tort, mode islamique » nous dit la sénatrice, ce que les maisons de couture nomment « mode pudique », lui donnant ainsi une dimension politique, ce qui est dérangeant, « quand la haine du musulman, réduit au terrorisme, se saisit de tout prétexte pour se développer ». N’est ce pas ce qu’on appelle un raccourci ?
Il est à la mode ces temps ci de faire reproche à celles et ceux qu’on combat, de leur incompétence. Et donc, Madame Benbassa, qui n’ose aller jusqu’à taxer Laurence Rossignol « d’islamophobe » de lui reprocher son ignorance du sujet sur lequel elle s’est exprimé. « Ni plus ni moins que tant de politiciens » rajoute-t-elle, continuant un peu plus loin : « Que sait Mme Rossignol de l’islam hexagonal et de sa diversité ? ». Elle n’attaque pas les idées. Elle décrédibilise la personne.
De plus, quand on n’a pas dans sa sacoche les armes de la rationalité, on dégoupille à tort et à travers au risque de se faire exploser soi même en ratant sa cible.
Ainsi, Laurence Rossignol serait l’exemple de ce « féminisme de grand-mère inlassablement ressassé, peu en phase avec la vision que les femmes ont aujourd’hui de leur identité ». « Que sait-elle des femmes musulmanes d’aujourd’hui ? », écrit notre sénatrice. Encore debout Esther ? Car je ne voit pas que la ministre ait été atteinte.
Heureusement pour Rossignol, d’autres voix, musulmanes, ont une connaissance de « ces femmes musulmanes » qu’Ester Benbassa reproche à la ministre de ne pas avoir. Mais sur lesquelles elle même fait l’impasse.
Ainsi Fawzia Zouari, écrivaine franco-tunisienne, que j’ai déjà citée dans mon post précédent**, qui écrit: « Qui pourrait démentir que la plupart des sociétés arabes vivent dans un puritanisme outrancier et une grande misère sexuelle ? Les femmes y sont obligées d’arriver vierges au mariage… Oui, le concept de oumma recouvre l’adhésion à des certitudes dogmatiques aujourd’hui plus que jamais attestées sous le voile et le qamis… Oui, les femmes sont perçues chez nous comme des corps à cacher… ».
Alors madame Benbassa? Reprocherez vous à Fawzia Zouari de tenir, comme vous le reprochez à madame Rossignol, des « propos de café du commerce » ?
Quand à prendre au sérieux le parallèle que vous faites entre « jupes courtes, vêtements sexy, imposés par la mode » et cette « mode islamique » que vous appelez « modest fashion », nous ne le pouvons. Car, si nous sommes d’accord pour voir dans la mode un phénomène de marché à fric, nous savons que les femmes qui la suivent le font librement, alors que dans les milieux que vous souhaitez défendre existe une pression religieuse et communautaire qui ne serait pour vous guère critiquable. D’ailleurs, vous ne le niez pas. Mais comme une concession du bout des lèvres. « Nul ne niera, dans certains cas de port du voile, la réalité du contrôle social, voire de la contrainte ». Mais ce « certains cas », ne laisse-t-il pas entendre que ce ne serait pas souvent ?
Enfin, trouvez vous sincèrement digne de votre intelligence d’aller ramasser tout et n’importe quoi comme argument de raison. Ainsi de mette en avant pour défendre votre thèse « l’aliénation des femmes, qui sacrifient leur santé par des régimes dangereux ». Vous me faites penser à ces chalutiers qui, ne trouvant plus de poissons en surface, vont pécher par fond profond. Sauf qu’à cette profondeur le poisson n’est ni beau ni bon.
C’est bien un poisson de cette sorte que vous nous servez dans votre critique d’Elisabeth Badinter, « qui n’offre rien de plus qu’un sacré coup de pub, en exigeant le boycott des maisons de coutures », ayant lancé cette « modest fashion ».
Vous invitez, Esther Benbassa, les ministres germanopratins à sortir de leur ghetto « pour révoquer en doute quelques unes de leurs certitudes ». Ce serait une bonne chose. Nous vous invitons, quant à nous, à sortir de votre vision binaire et à mettre en cohérence votre héritage culturel avec celui de la modernité occidentale.
* http://www.liberation.fr/liseuse/publication/06-04-2016/1/#1444176
**https://blogs.mediapart.fr/bernard-leon/blog/030416/eric-fassin-de-la-police-des-idees-menotte-kamel-daoud