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Billet de blog 7 septembre 2015

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Eglise et FN. En route pour la divine surprise ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il est bon de revenir sur l’absolution qu’un évêque semble avoir accordée au FN, pourtant jusqu’à ce jour tenu à distance par l’église de France pour son éloignement des thèses d’espérance de l’évangile, en invitant Marion Le Pen à une université catholique d’été.  Car ceci est intervenu quelque jours avant que Marine Le Pen refuse d’accorder son accréditation à une journaliste de Mediapart, affichant ainsi clairement que le FN n’est pas, contrairement à ce qu’il voudrait faire croire aux français, un parti comme les autres.

Car, à laisser passer cette invitation, qui banalise un parti pourtant reconnu par ses positions d’extrême droite, on prend comme risque de voir, ce que Michel Wieviorka a pointé dans son ouvrage consacré en 2013 au Front national, «Une transformation de la droite classique se ralliant à l’idéologie de Front national, y compris dans sa dimension raciste et xénophobe ».

A l’heure où le monde des croyants et des non croyants se réjouit des prises de parole du pape François, dans son encyclique « Laudato si » sur l’écologie humaine, ou lors de son déplacements en Amérique du sud au cours duquel il n’ a pas hésité à fustiger « l’économie qui tue »,  il est urgent de questionner l’église catholique de France sur sa prise en compte des paroles du pape, sur ce qu’elles signifient à ses yeux, et donc sur sa volonté d’établir ou non un barrage autour de la brèche ouverte par Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon.

On a certes pu lire que son initiative a suscité des remous dans les rangs chrétiens, mais on a aussi lu ou entendu des propos qui montrent que rien n’est gagné d’avance. Comme le prouvent ces paroles de Vincent Neymon, directeur de la communication de l’épiscopat, pour qui « l’église doit parler avec le FN car il serait un parti comme les autres (rapporté par Martin Brésis dans Le Monde des religions).

Sauf que c’est le seul parti à interdire à un media qui a plus de 100 000 abonnées d’assister à son université d’été, le seul parti à rendre l’immigré responsable des maux de la France, et que Marine Le Pen, comme l’ont écrit Cécile Alduy et Stéphane Wahnich, dans « Marine Le Pen prise aux mots », se joue des mots selon son auditoire et que « L’analyse lexicale nous conduit à conclure qu’en dépit de son apport sur les thématiques économiques et l’abandon des références raciales explicites, Marine Le Pen n’a pas fondamentalement altéré le logiciel de la pensée frontiste ».

Rémi Doyen, de Rue 89, qui a interviewé Cécile Alduy, rapporte que celle ci lui a précisé : « A la télévision ou à la radio, quel que soit le thème, le discours est extrêmement normalisé, abstrait, très technocratique, connoté positivement. A l’inverse, les discours des meetings sont presque superposables à ceux de Jean-Marie Le Pen. C’est un quasi-calque du « graphe » de son père. »

D’ailleurs Il suffit de jeter un œil sur les fréquentations à l’étranger de Marine le Pen. Ainsi de sa participation au bal organisé par le parti d’extrême droite autrichien FPO, auquel elle s’est rendue  en compagnie de Martin Graf, chef de file de l’aile dur du parti et membre d’une association  interdite aux femmes et aux juifs. (Voir « Les nouveaux populismes » de Dominique Reynié, page 225, chez Pluriel).

A l’heure ou le pape François déclare « avoir décidé d'accorder à tous les prêtres, pour l'Année jubilaire, la faculté d'absoudre du péché d'avortement tous ceux qui l'ont provoqué et qui en demandent pardon, et également pour les femmes ayant avorté », on aimerait aussi entendre ce qu’en pense, et l’évêque de Fréjus, lui qui est en accord avec les thèses du FN sur ce sujet, et Marion Le Pen,  qui affiche son catholicisme comme un blason sur la flamme de son drapeau. Et bien entendu Marine Le Pen.

Mais aucun évêque, sauf erreur, ne s’est exprimé à ce jour sur l’invitation de Marion Le Pen par l’un des leurs. Et les voix qui sont censées expliciter la pensée catholique ne font guère mieux. Ainsi de Jean-Pierre Denis, directeur de la rédaction du magazine « La vie » qui a affirmé sur RTL, flottant entre Suroît et Mistral, : « Le vent a un peu tourné. Ce n'est pas pour dire que l'épiscopat français banalise le FN. Je pense aujourd'hui qu'une majorité des évêques français doit être hostile à ce dialogue. Mais il y a une forme de mécontentement, ou malaise, chez de nombreux catholiques par rapport à la politique en général". Et il laisse entendre qu’avec Marion Le Pen invitée à Fréjus, une digue a sauté.

Une digue a sauté. Faut il s’en accommoder calmement ? Non. Si nous laissons passé cela sans bruit, nous seront rapidement dans la situation que Jacques Julliard avait déjà analysée en 1994 dans son ouvrage « Ce fascisme qui vient » : « Dans un état aigu de marasme politique, un pays démocratique paraît ne plus redouter de jouer son avenir à la roulette russe »… « Quand les barrières mentales cèdent, nous sommes à la merci des circonstances, c’est à dire tributaire de la chance ou de la malchance ». Les évêques de France jouent ils à la roulette russe ?

Il serait temps que l'église s’exprime avec clarté sur les manœuvres de ceux qui l’entrainent dans un chemin qu’elle regretterait un jour. Il ne saurait y avoir pour elle, espérons nous, la moindre idée d’une seconde révolution nationale ni de divine surprise. Les évêques et les croyants y perdraient leur honneur, comme ils l’ont perdu déjà  dans le passé avec Pétain.

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