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Billet de blog 8 septembre 2014

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De quelles entreprises nous parlent Manuel Valls et les économistes ?

Ce qu’il y a de bien avec certains économistes contemporains c’est qu’ils écrivent, tel François Facchini dans Le Monde du 6 septembre, tout d’une pièce, sans nuance, monolithique, et surtout droit dans les bottes de leur orthodoxie idéologique. 

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce qu’il y a de bien avec certains économistes contemporains c’est qu’ils écrivent, tel François Facchini dans Le Monde du 6 septembre, tout d’une pièce, sans nuance, monolithique, et surtout droit dans les bottes de leur orthodoxie idéologique. 

En d’autres temps leurs grands confrères étaient plus variés que nous ne le laissent croire leurs disciples. 

Il en va ainsi de celui qu’on considère comme le père de l’économie, Adam Smith. On ne retient de lui que la théorie de la ‘’main invisible’’ et sa thèse comme quoi les dépenses des riches bénéficient aux pauvres, ce qui justifierait moralement l’inégalité des fortunes.

Sauf qu’il est facile de trouver dans son oeuvre bien des textes qui feraient frémir notre ‘’décrypteur’’ du Monde. (Lire « Vive l’Etat » publié par Alternatives Economiques). 

Comme le note Christian Chavagneux dans son introduction, «Chez Smith, l’économie est encastrée dans les rapports de force politiques (les patrons se liguent contre leurs employés; essaient de faire passer des lois au nom de l’intérêt général pour servir leurs intérêts particuliers).

Nous ne retiendrons pour la beauté de leur actualité que ces mots du père de l’économie: « Dans le fait, des profits élevés tendent, beaucoup plus que des salaires élevés, à faire monter le prix de l’ouvrage ». Et sa quatrième maxime  sur la fiscalité: « Les sujets d’un Etat doivent contribuer au soutien du gouvernement, chacun le plus possible en proportion de ses facultés, c’est à dire en proportion du revenu dont il jouit sous la protection de l’Etat ».

Mais revenons à François Facchini. Pour lui, « La nouvelle gauche aime l’entreprise uniquement lorsqu’elle n’est plus en mesure de protéger de l’effondrement le modèle d’Etat social construit à la libération par une coalition hétéroclite où dominaient les communistes ». 

Décryptons le décrypteur. Ainsi, notre modèle social serait dû à une « coalition hétéroclite ». A-t-il oublié qu’en 1944 « La démocratie était à faire »? Comme l’annonçait le titre de l’éditorial d’Albert Camus du 2 septembre 1944 dans Combat. 

Et cette démocratie, dans laquelle nous vivons encore aujourd’hui, elle a été construite sur une constitution imaginée en peine guerre d’occupation par le Conseil National de la Résistance (CNR) dont le premier président fut Jean Moulin, délégué du général de Gaulle. Et que ce programme politique avait, comme l’écrit Camus, acté « la fin d’un monde, celui de la classe dirigeante de ce pays qui avait démissionné ». 

Mais trente ans d’un ultra-libéralisme failli dans la crise de 2008 ne suffisent pas à certains. Tel 

Denis Kessler, ancien vice-président du Medef, dont on n’a pas oublié les consignes: « Il s'agit de défaire méthodiquement le programme du CNR ». (Déclaration du 4 octobre 2007). Facchini nous confirme qu’il a des imitateurs.

On comprend donc mieux notre professeur à Paris XI, qui, sous couvert de s’inscrire dans une question du quotidien Le Monde, « Le gouvernement de Manuel valls 2 est-il social-libéral? », n’a pour but que de montrer que ce gouvernement Valls 2 est de toute façon discrédité, car dit-il: « L’objectif (d’une sociale-démocratie devenue sociale-libérale) est aussi d'instrumentaliser les libertés économiques. Il faut réussir à mettre le libéralisme économique au service du socialisme ». 

Vous l’aurez compris. Les libertés économiques sont intouchables. Cela est dû sans doute à ce brouillage de la pensée économique qu’avait relevé le Nobel de l’économie J.K. Galbraith, dans son dernier ouvrage paru en 2004, « Les mensonges de l’économie ». Et parmi ces mensonges, il y en a qui concerne l’entreprise et « le mythe des deux secteurs » (privé et public).

Car, contrairement à ce que pense Facchini, ce n’est pas l’Etat, encore moins un gouvernement social-libéral qui est aux manettes. C’est le secteur privé. Lisons ces quelques lignes sorties du livre de Galbraith: « Les dirigeants des grandes entreprises modernes, à la différence des capitalistes, ont fait accepter par la population leur position sur le marché et leur influence politique. Leur rôle prépondérant dans les hautes sphères du militaire, les finances publiques et l’environnement est jugé normal »,  mais « certains défauts nuisibles à la société et les effets qui en découlent réclament attention ». « L’un d’eux, est la façon dont les entreprises ont redéfini l’intérêt public en l’adaptant à leurs capacités et à leurs besoins ». « La mainmise du secteur privé sur l’action et l’autorité publiques est un triste spectacle » note-t-il.

Facchini ne pardonne pas à ceux qui trouvent normal de ne pas aimer, contrairement à lui, les entreprises les yeux fermés. 

Parce que le mot entreprise, chez eux, n’est pas considéré comme un générique absolu. Qu’y a-t-il de commun entre les entreprises du CAC 40, qui payent en moyenne 8% d’impôt et des PME, qui en paye près de 30% ? Rien. 

Mais les économistes orthodoxes, comme Facchini, entretiennent le rideau de fumée et l’hypocrisie du système. Pour eux il n’y a que « l’entreprise ». Et quand bien même distinguent ils PME et multinationales, ils le font encore pour tromper. Lisons Galbraith: « La célébration persistante dans le discours politique et social, des PME et de l’agriculture familiale est un aimable mensonge. On nage en peint mythe, en pleine poésie- ce n’est pas la réalité ».

Et c’est pour cela qu’on ne peut dire, qu’on ne peut écrire, « Moi, j’aime l’entreprise ». 

Pour cela que cette expression a été reprochée à manuel Valls. 

Car ceux qui disent aimer l’entreprise aiment en fait la grande entreprise, celle qui pèse en influence, en lobbying, en corruption, celle qui parle par la voix de Gattaz, celle de la ploutocratie. Celle dont les dirigeants captent la richesse, comme le démontre superbement Thomas Piketty dans son ouvrage « Le capital au XXIè siècle ».

C’est cette politique des grands groupes qu’aime Facchini, cette « entreprise » là qu’aime notre professeur agrégé, ce capitalisme là, ce qui lui fait écrire: « une politique de redistribution empêche les producteurs de profiter de la totalité des gains de leur effort productif. La principale conséquence de ce système de transfert, outre son caractère injuste, est de réduire l’effort productif, la demande de travail et l’accumulation de richesse ». Ce qui ne l’empêche pas de terminer sa tribune par un appel à « une société de confiance ». 

On comprend après avoir lu François Facchini qu’il y ait des « économistes atterrés ». Et que Valls, qui ne connait comme entreprises que celles du film que lui projette le Medef, devrait élargir son champ visuel. Il aurait une vue plus réaliste des entreprises à encourager par un soutien ciblé avec l’argent du contribuable.

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