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Billet de blog 8 novembre 2015

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Hollande, Valls, Macron. Quel socialisme ? Quelle démocratie ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La perte des repaires de son propre camp est ce qui caractérise  le socialisme français aujourd’hui. Qui feint de voir que travailler au recul de la démocratie, ce n’est pas l’attaquer toujours de face, comme le font le FN ou la droite, type Sarkozy ou Wauquiez,  que c’est aussi l’attaquer de biais, ou ne pas la défendre. Et c’est malheureusement ces deux dernières attitudes qu’on peut reprocher à cette gauche de pouvoir que symbolisent Hollande, Valls et Macron.

Mediapart, une vengeance d’Etat.

On vient d’en avoir la preuve avec le mauvais coup porté par l’administration fiscale, avec l’aval de ses ministres de tutelle, contre Mediapart, non seulement redressé pour une raison discutable de TVA - car l’histoire jugera rapidement que le fisc aurait du s’abstenir par souci d’équité entre supports de presse - mais en matraquant, comme un cogne à Charonne, le support aux 110 000 abonnés, en y rajoutant de très lourdes pénalités (+ 40%). Une affaire qu’on peut qualifier comme une vengeance d’Etat, tant le pouvoir est agacé par un journalisme d’enquête qu’il ne peut faire taire. Le résumé ci-dessous le montre bien.

Mais ce n’est que le dernier coup à reprocher aux socialistes de gouvernement. Il y a en eu bien d’autres avant.

Et d’abord Florange, ce caillou dans la chaussure présidentielle.

On peut ainsi reprocher à Hollande et Ayrault, dès leurs premiers pas en 2012, l’erreur de Florange, ce pas-de-deux et ce recul devant le PDG d’Arcelor Mittal. Un recul qui avait très directement permis au FN de s’implanter dans un des plus anciens bastions du syndicalisme ouvrier du bassin Lorrain, la mairie de Hayange. N’était ce pas un coup bas porté à la solidarité nationale, et donc à la démocratie ? (Voir en * Dossier Mediapart). La première pierre de l’indécision socialiste en quelque sorte. Un arbre en pleine floraison en ce dernier trimestre 2015, dont on ne sait ce qu’annonce un printemps de novembre inhabituel.

Sur près de 30 mois, on peut reprocher à Hollande et ses hommes bien des fausses directions prises, bien des décisions, qui ne sont rien d’autre que des coups portés à ce qui façonnait la gauche : L’attachement à la solidarité, à l’égalité, à la justice, à l’équité, la défense de ce que des générations avaient acquises en matière de droit social.

Un peu d’histoire.

Après la victoire de Hollande sur Sarkozy  en 2012 vient le temps des législatives. Tout le monde y croit et Martine Aubry lance entre les deux tours : « Les Français nous ont dit leur soutien, ils apprécient que les engagements soient tenus ». Sauf que vu l’abstention, « Jamais Assemblée nationale ne va être aussi mal élue » écrit François Bonnet dans Mediapart. Et les propos de Aubry sont un peu rapides. On verra assez vite ces fameux engagements oubliés. Voir Florange ce dessus.

Hollande et la finance.

Mais il est encore temps à ce moment là de pouvoir rêver, en se souvenant de ces paroles de Hollande confiées en avril 2012 à La Tribune : « Les marchés financiers ne feront pas la loi en France et je veux rétablir notre souveraineté nationale aujourd’hui aliénée aux marchés et aux agences de notation ». Un an plus tard ce sera la loi de séparation des banques, qui ne séparera rien.

Ne pas tenir un engagement attendu, n’est-ce pas trahir la République et la démocratie ? Mais Bercy nous endormait au même moment : « Cette loi vise à réformer le cadre français actuel afin de tirer les enseignements de la crise en renforçant la régulation des acteurs bancaires et les pouvoirs des autorités de supervision en matière bancaire et financière ». C’est ce que racontait sur son site cette Bastille moderne verrouillée qu’est Bercy et que les Français prendraient d’assaut s’ils osaient encore être révolutionnaires.

Bercy, Cahuzac, Mediapart.

Faut-il ajouter qu’entre juin 2012 et cette loi sur les banques en 2013, l’affaire Cahuzac avait été lancée par Mediapart, défrayait la chronique, et montrait un gouvernement d’une inertie coupable durant plusieurs semaines. Nous attendons d’ailleurs toujours de voir aboutir les suites judiciaires.

Sommes nous face à un deux poids deux mesures dans la façon dont on traite un ancien ministre et un média en ligne. Et n’est-ce pas fragiliser l’idée de la démocratie que d’appliquer une justice à voilure variable sous un gouvernement de gauche, comme il en irait sous un gouvernement de droite ?

L’affaire Valls.

Le premier ministre actuel, qui n’hésitait pas en 2008 à donner pour titre à un livre d’entretiens : « Pour en finir avec le vieux socialisme », et qui déjà annonçait « On peut assouplir les règles de licenciement », avait lui aussi frisé la mise au piquet en 2012. Un article de Rue 89 avait mis les projecteurs sur les progrès limités apportés par Hollande et Ayrault aux rémunérations des politiques, précisant : « Le nouveau Président comme le nouveau Premier ministre n’ont ainsi pas évoqué, dans leur charte éthique, le problème du cumul des rémunérations au sein du gouvernement », pour pointer aussitôt Manuel Valls qui « soumis à la règle définie par Jean-Marc Ayrault qui consiste à empêcher le cumul d’un poste ministériel avec celui d’un exécutif local, s’était fait voter, par le conseil municipal dont il entendait rester membre, une indemnité de fonction de 1 700 euros, qui venait s’ajouter à son salaire de ministre ». Est-ce ainsi qu’on se comporte quand on a dit et publié ceci : « La gauche, on l’aime ! On l’a choisie parce qu’on voulait changer le monde ».

Valls veut voir les étudiants s’endetter.

Changer le monde ! Mais alors comment comprendre tous ses projets plus que libéraux annoncés par Valls ? Un seul pour exemple, celui de l’augmentation des droits d’inscription dans les universités, qu’il juge « incontournable », car, dit il « La gratuité des études n’est pas synonyme d’égalité réelle ». Drôle de raisonnement, mais qui va justifier l’idée d’appliquer le système anglais de « paiement différé des droits », une oppression de plus sur les étudiants pauvres. « Ce ne serait qu’après le diplôme, une fois intégré au marché du travail, dans une profession rémunératrice, qu’on rembourserait ses études à l’université », annonçait donc en 2008 Manuel Valls. Donc, comme aux Etas Unis, notre jeunesse aurait le bonheur de commencer sa vie active debout sur un champ de dettes. La dette comme tremplin de départ dans la vie. Est-ce ainsi qu’un socialiste français peut s’exprimer désormais?  Et on s’étonne, après, que la jeunesse n’aille pas voter ?

Valls. Fautes sur fautes.

Sans qu’on puisse dire que les fautes commises par Valls  puissent être au fil du temps rattachées aux grands scandales de la République, elles n’en marquent pas moins un relativisme coupable dans la façon de se comporter à son niveau de responsabilité. Des comportements, soit pointés par Mediapart, soit par ses blogueurs vigilants et exigeants.

Comme ce « petit déplacement « public »/privé de Poitiers à Berlin de Valls, pour assister à un match de la ligue des champions, avec usage d’un avion ministériel au frais des contribuables, que Bruno Carbone commente avec quelques autres dérapages. (Voir**). (Voir aussi *** Article de Karl Laske sur un conflit d’intérêts de Valls à Evry).

Emmanuel Macron. Les labyrinthes de l’intelligence cynique.

Inutile de revenir sur chaque parole, annonce et décision de Macron. Le profil de banquier ne classe pas l’homme de Hollande du coté des gauchistes forcenés, et les lois qu’il a portées illustrent un libéralisme qui est par conséquent celui du Président et du Premier ministre.

Pourtant, l’homme ne manque pas de capacité, et a analysé avec brio la vie politique, en a relevé la « temporalité », et la « complexité croissante », expressions utilisées dans son article publié dans la revue esprit de mars 2011. Il y  notait les contraintes du temps court et du temps long qui « transforment le rôle du politique et, ce faisant sans doute, ses fins ».

Ce qui lui permettait d’affirmer que « les politiques nationaux ne parviennent pas véritablement à se saisir des grandes questions qui alimentent les sommets mondiaux, car leur dimension (spatiale et temporelle) dépasse l’horizon politique électoral ».

Fort bien. Est-ce à dire qu’il annonçait l’échec ou le semi-échec de la COP 21 ? On peut le croire, car Il stipulait avec lucidité que : « Les politiques nationaux mettent ces grandes questions en scène….sans que pour autant, on ne définisse aujourd’hui en France un véritable agenda politique compatible avec ces problématiques ».

On espère que ses conseils auront été pris en compte à tous les niveaux, et que grâce à lui nous seront promptement informés après le sommet de décembre à Paris, de l’agenda des réformes qu’il propose pour mettre en phase transition énergétique et désir d’EDF de construire une série de quelque 30 EPR ; tout comme il saisira le prochain G20 pour nous dire quel rôle il jouera pour que les Etats apportent des réponses qui ne soient pas hétérogènes. Ce qu’il constatait fort justement dans son article. Il notait que suite aux G20 successifs on pouvait  légitimement douter de la pérennité des réponses et des mesures prises, qui ne constituent pas une régulation financière à proprement parlé. On attend plus que la mise en conformité de sa pensée et de son action.

On trouve aussi théorisé sous sa plume cette règle  qui voudrait que « Les discours comme l’action politique ne peuvent plus s’inscrire dans un programme qu’on proposerait au vote et qu’on appliquerait durant les cinq années du mandat ».

Car, « Une fois l’élection passée la réalité arrive, les changements surviennent et l’application stricte des promesses, si elle a un sens politique -  faire ce qu’on a promis afin de préserver la plénitude de la parole politique de manière symbolique et glorifier la notion de mandat – peut conduire à l’échec ou a des aberrations ». C’était, théorisées à sa façon, les paroles de Pasqua pour qui les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent, et l’annonce des trahisons à la parole donnée de François Hollande.

Socialisme. En finir ou revoir le modèle ?

Le socialisme a connu au cours de son histoire des moments difficiles, trébuchant parfois sur la perte de ses principes, (Guy Mollet et l’Algérie), ou au contraire, se relevant en renonçant à des philosophies perverties. C’est ainsi que Camus, traitant dans un article de 1946 de la question de la fin et des moyens, relevait que les socialistes n’étaient pas tombés dans « ces philosophies qui font de l’histoire un absolu », et que, ayant vu la violence et l’oppression à l’œuvre, « des scrupules leur sont venus ».

On aimerait qu’aujourd’hui ces socialistes de gouvernement, voyant la violence et l’oppression d’un système dominé par  la finance sur les peuples, ne tombent plus dans cette philosophie néolibérale qui justifie en France et en Europe, toutes les régressions. Et que des scrupules leur viennent. 

Il est temps d’appliquer à l’économie néoclassique l’approche que les socialistes avaient pratiquée devant la philosophie marxo-communiste, en mettant au premier rang de leurs préoccupations nous dit Camus, des problèmes moraux (la fin ne justifie pas tous les moyens). Il est temps de se référer à d’autres principes que ceux du meurtre libéral.

Dès lors, on ne verra plus une administration, qui doit être au service de la nation, assassiner au coin du bois de la loi un média dont la parole libre a dérangé.

*    http://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/notre-dossier-florange-le-conflit-avec-mittal

**   http://blogs.mediapart.fr/blog/bruno-carbone/100615/valls-lart-et-la-maniere-de-faire-des-economies-personnelles

***   http://www.mediapart.fr/journal/france/100114/valls-est-pris-dans-un-conflit-dinterets-dans-lamenagement-devry

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