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Billet de blog 9 avril 2015

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Pensée économique et luttes de pouvoir. Aux citoyens d’entrer en jeu.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les grands économistes, même et peut être davantage encore ceux qui se réclament d’une nouvelle pensée économique, (lire la page ‘’idées’’ du monde daté du 9 avril), n’ont jamais inclus dans leur théories et leurs lois que ce qui caractérise avant tout l’humain, c’est, avant même ce qu’il porte de meilleur en lui, la lutte pour le pouvoir ou sa conservation. La conservation comme religion. La religion comme conservation.

Et c’est pourquoi leurs discours sont inopérants face aux ploutocraties qui se sont reconstituées au cours des 40 dernières années à partir des principes de l’économie néoclassique. Lire « L’imposture économique » de Steve Keen, qui n’hésite pas à conseiller aux étudiants en économie de prendre des cours d’histoire et de sociologie, et de ne pas laisser les professeurs enseigner les mêmes vieilleries que celles qui étaient professées avant le Grande Récession.

Rien à redire à Stiglitz lorsqu’il nous dit « que le nouveau débat sur les inégalités est désormais incontournable ». Bien entendu. Nous le suivons, à condition de nuancer lorsqu’il dit que « l’inégalité n’est pas la conséquence inévitable du capitalisme ». Car pour avoir un capitalisme à visage humain, faut il encore s’attaquer frontalement aux capitalistes inhumains. Car c’est bien l’inhumanité dans l’humain qui pose problème.

A quoi bon son analyse, si elle ne dit rien, et avant tout, de ces zones troublées du monde, « désormais totalement livré aux forces du marché, sans retenue et sans limite » comme l’a écrit l’ancien banquier Jean-Michel Naulot dans son ouvrage « Crise financière » (Seuil, 2013). Et dont le diagnostique, sur la fragilité du système « qui nous emmène tout droit vers une nouvelle crise » est partagé par Michel Rocard dans son dernier ouvrage*.

Rien à redire non plus à Karl Aiginger, directeur de l’Institut autrichien de recherches économiques (WIFO), pour qui « les gouvernements de l’Union s’avèrent incapables de sortir des conceptions du passé pour adopter une vision d’avenir ». Mais à quoi bon ce constat, si on ne dit rien des soubassements néoclassiques de ces gouvernements qui ont sacralisé la dérégulation de la finance, et sa conséquence première: Celle d’avoir ouvert grand la porte  aux alliances  qui « combinent l’association de malfaiteurs avec le système de rapports économiques, sociaux et politique », comme l’a écrit Umberto Santino**, historien réputé de la mafia.

Et c’est pourquoi toutes les annonces de Valls, Hollande, demain Aubry, resteront partiellement inopérantes, car n’osant jamais attaquer le mal à la racine. Ce mal qui vit sur le peuple, qui fait main basse sur les richesses, qui va de Bercy à la banque et de la banque à Bercy, qui réduit le politique à la figuration, à l’agitation vaine, à la répétition du même et de l’autre, Hollande après Sarkozy, Sarkozy demain peut être, après Hollande, l’un et l’autre ne touchant que de loin, à dose homéopathique, à la finance, à la spéculation bancaire, à l’évasion fiscale, aux multinationales, aux groupes de la chimie, aux industriels de la malbouffe, aux lobbies pétroliers, etc.  

Toujours rien à redire enfin à Robert Johnson, du Franklin & Eleanor Roosevelt Institute, pour qui « changer notre façon de regarder notre système est indispensable pour relever les défis actuels ». Il évoque bien la violence financière, constate  que l’équilibre entre des intérêts opposés relève de la gouvernance, que les économistes ne soulignent que rarement cette limitation de la liberté, « que l’équilibre peut être compromis lorsque quelques uns, grâce à leur puissance financière, sont à même de s’emparer  de la propagande, du processus électoral et de l’appareil gouvernemental, dans leur propre intérêt et au détriment du plus grand nombre ».

Sauf qu’il suppose que nous ne voyons pas l’économie avec les yeux qu’il faut. Aussi conclut-il sa chronique dans Le Monde ainsi : « On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux. Ce n’est qu’à travers de nouveaux yeux du cœur que sera visible le modèle économique capable de promouvoir le développement de sociétés pérennes ». A-t-il jamais parlé du cœur avec un banquier, avec le président de Monsanto, avec Cahuzac ou Balkany ?

Robert Johnson dirige le « Projet pour la finance mondiale » du Franklin & Eleanor Roosevelt Institute. Membre du Comité Roosevelt, j’ai le plus grand respect pour le Roosevelt qui a osé s’attaquer avec une rapidité exemplaire aux maux de son époque, et n’oublie pas qu’il n’hésita pas, lui, à séparer les banques de dépôt et les banques d’investissement. Mais je ne pense pas qu’il parlait aux banquiers de « voir avec leur cœur ».

Je conclurai ce billet en rouvrant le livre de J.M Naulot, un banquier « sorti du silence », nous expliquant pourquoi les gouvernements ne font rien, et nous proposant quelques pistes qui pourraient être celles d’une nouvelle donne.  

Un banquier qui n’hésite pas à écrire que « les discours qui sont tenus par une partie de l’intelligentsia, généralement par ceux qui ne connaissent pas l’angoisse du chômage ou des fins de mois, deviennent difficilement supportables dans une société sous tension ».

Cela même que j’ai pensé aujourd’hui en lisant dans Libération le billet d’Alain Duhamel qui n’hésite pas à écrire qu’ « identifier les élites françaises aux responsables politiques, syndicaux et patronaux constitue une supercherie trop commode ». Car pour lui, « La trahison des élites est proclamée par la France unanime », des élites « qu’on charge aussitôt de tous les péchés de la terre quand tout va mal ». Est ce vraiment le problème ?  N'est ce pas à cette intelligentsia que fait allusion Naulot. Et d’ailleurs, qui s’en est pris de façon si globale « aux élites » ?

J’en reviens donc à mon banquier, preuve vivante que le global, même chez les banquiers, n’est pas une notion sur laquelle il y a lieu de gloser. Naulot le dit lui-même, il a rencontré dans la banque beaucoup de gens sympathiques, mais aussi « quelques oiseaux rares qu’il valait mieux garder à distance ».

Naulot ne nous propose pas de changer la monture de nos lunettes. Il affirme d’emblée (Page 19) ce qui devrait être, si Valls était socialiste, la pensée première de ce gouvernement. « Il faut rompre avec le passé, agir avec beaucoup plus de détermination, cesser de chercher sans cesse le compromis. Face à la spéculation, une vingtaine de réformes peuvent être décisives et d’effet immédiat, mais seulement si elles sont menées jusqu’au bout ». Ces réformes les voici. Chacune étant développée dans son livre.

- Les institutions de régulation européennes doivent être vraiment internationales.

- Les dérivés sont au cœur de la spéculation. Il faut rendre plus transparents, plus surs et plus couteux ces produits.

- Il faut lutter conte la finance de l’ombre. Qui représente environ 23 000 milliards de dollars aux USA (chiffre 2011), celle de la zone euro 22 000 milliards, celle du Royaume Uni 9 000 milliards, ce qui fait que l’Europe représente 81% d’une finance de l’ombre évaluée à 67 000 milliards pour le monde entier, l’équivalent du PIB mondial.

- Contrôler strictement l’effet de levier des hedge funds, (investissement non cotés à vocation spéculative).

- Achever le chantier commencé par Michel Barnier, des ventes à découvert. « Le texte initial était de bonne qualité, mais quelques mesures clés ont disparu dans les compromis intergouvernementaux »

- Réduire l’emprise des financiers sur les matières premières.

- Taxer les transactions financières pour réduire la place de la sphère financière par rapport à l’économie réelle. « Car derrière ce projet c’est la volonté de construire l’Europe qui est en jeu ».

- S’attaquer à la question des paradis fiscaux, ce qui est d’abord un problème politique. Mais, nous dit Naulot, la façon dont la question est traitée « donne le sentiment d’une commedia dell’arte où la couronne britannique s’indigne que ses ilots n’appliquent pas les mêmes lois qu’à Londres… où lorsque les dirigeants européens découvrent subitement qu’il existe des taux d’imposition très différents au sein de l’Union ».

- Donner des moyens aux régulateurs.

- Faire la lumière sur toutes les transactions sans exception.

- Encadrer voir interdire le trading à haute fréquence.

- Converger vers la vérité des comptes.

- Rendre équitable la distribution de crédits.

- Remettre les banques au service de l’économie réelle.

- Remettre  les agences de notation à leur vraie place : le conseil aux investisseurs.

 Concluons avec Jean-Michel Naulot. « Il faut que les citoyens s’approprient le débat sur la finance sans complexes ».

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http://blogs.mediapart.fr/blog/bernard-leon/070415/la-finance-contre-le-monde-michel-rocard-et-la-finance

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http://blogs.mediapart.fr/blog/salvatore-palidda/080415/ou-en-est-la-mafia

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