Dans le passé, les acteurs politiques de la gauche française n’ont pas toujours été à la hauteur des évènements. Mais ils semblaient au moins tenter de comprendre la complexité de leur temps et de rendre intelligible les ruptures nécessaires à son dépassement.
Leurs écrits en témoignent. Jaurès, Say, Blum, Mendès-France. Tous avaient une pensée riche, nourrie et ordonnée. Et dans le camp d’en face, de Gaulle, qui a été le dernier à nous transmettre une œuvre rattachée à l’histoire, n’a pas eu de successeur. Car même Pompidou, pourtant agrégé de lettres, n’a rien laissé qui fasse trace.
Cela tenait il à leur formation, moins uniforme qu’aujourd’hui ? Au fait que la politique n’était pas à ce point professionnalisée et nivelée dans une technicité sclérosante ? A une constitution qui permettait une diversité que la cinquième République a réduite à néant ? Sans doute.
Reste qu’on n’a jamais autant senti qu’aujourd’hui un tel manque d’ambition historique dans les paroles et les actes des responsables politiques, de gauche comme de droite, autant constaté un manque d’intellectualité chez ceux qui nous gouvernent.
Les échecs des Hollande, Ayrault, Valls, Sapin, Macron, Cambadélis et autres caciques du PS viennent de ce qu’ils refusent de jouer le rôle auquel les invite le tournant historique de ce début de XXIe siècle. Celui de la conjonction rare d’une crise économique, d’un défi écologique, d’une impasse des pratiques politiques. (Je ne parle pas de la droite où c’est encore pire, mais inscrit dans une constance de violence néolibérale originaire).
Le paradoxe de la pensée, politique, sociale et religieuse, française surtout, mais aussi européenne, a été rendu visible par le discours du pape François devant le Parlement européen.
Dans le christianisme aujourd’hui, c’est la foule des croyants, transformés en militants conservateurs (la Manif pour tous) qui a abandonné ce principe que François a rappelé : « Regarder l’homme non pas comme un absolu, mais comme un être relationnel ». C’est pourquoi ce pape apparaît comme progressiste face à ceux qui défilaient aux invalides. Il n’a pas hésité à mettre en discussion la question de la famille face à l’évolution de la société, chose que rejettent ceux qui défilent en rose et bleu sur les pavés parisiens.
Paradoxalement, c’est l’inverse qui s’est joué au PS. C’est l’ancien secrétaire du parti, désormais président, qui a abandonné, ou semble avoir abandonné, les principes qui fondaient la doctrine. Et bien entendu quelques autres. Dont Valls, qui n’a pas hésité à dire qu’il serait utile de changer le nom du parti. Et ce sont les militants et les citoyens sympathisants qui se retrouvent sans toit commun, sans projet, sans vision, et surtout sans défenseurs.
Car c’est bien l’oubli de ce qui figure en tète des valeurs affichées par le PS qui accroit la crise en France : « Être socialiste, c’est ne pas se satisfaire du monde tel qu’il est, c’est vouloir changer la société. L’idée socialiste relève, à la fois, d’une révolte contre les injustices et du combat pour une vie meilleure. Le but de l’action socialiste est l’émancipation complète de la personne humaine ».
On est étonné de voir que ceux qui semblaient du point de vue historique les plus à même d’analyser la ou les crises du système monde, arrivé à sa limite, et de proposer une alternative, soient ceux la mêmes qui, se retrouvant au pouvoir, se montrent incapables de passer à l’action, piégés par la pensée dominante néoclassique qui semble avoir tissé autour d’eux sa toile paralysante.
Le pire est qu’ils ont eu dix ans pour affiner leur doctrine, pour réfléchir, pour se préparer au pouvoir. Et qu’ils sont incapables de se donner les moyens, de donner à l’Etat les moyens d’entreprendre les changements qu’appellent crise économique et crise écologique.
Les causes de ces crises étant multiples, il n’est pas question de demander le beurre, l’argent du beurre et la crémière. Mais les idées ne manquent pas. Limitons nous à trois mesures.
L’Etat est sans moyen ? L’évasion fiscale, privée ou d’entreprise, se monte à plus de 80 milliards par an. On ne ramasse guère plus de deux milliards. Pourquoi cette timidité ?
(Je ne développe pas l’entrave à la Taxation sur les Transactions Financières, (TTIF), que constitue la position de Michel Sapin Bruxelles, privant l’Etat français de recettes importantes possibles)
La dette pose problème ? Piketty propose des solutions pour la réduire. Voir son best seller « Le capital au XXIe siècle ». Dans lequel, après avoir dit que « la dette bénéficie surtout à ceux qui ont eu les moyens de prêter à l'État », il explique que : « Si l'on réduit la dette des Etats européens de 20 % du PIB, cela permettrait de passer d'environ 90 % du PIB actuellement à 70 % du PIB, soit au niveau se rapprochant de la cible d'endettement maximum de 60 % du PIB fixé par les traités européens actuels », et que « Pour y arriver en une seule fois il suffit d'appliquer un impôt exceptionnel sur le capital de 0 % jusqu'à 1 million d'euros, 10 % entre 1 et 5 millions, et 20 % au-delà de 5 millions d'euros ». Mais on peut imaginer faire cela en deux ou trois ans, afin de rendre l’opération moins douloureuse. Ou encore de mettre en place cette réforme fiscale prévue par Hollande et à laquelle il ne s’est pas attelé. Pourquoi cette reculade ?
Les entreprises doivent être soutenues ? C’est possible. A condition de ne pas être au service de celles qui font 90% de leur chiffre d’affaire à l’étranger, (Les multinationales), mais à celui des PME, que le Medef ne représente quasiment plus. Et que le gouvernement se met pourtant à dos. Quel gâchis !
Hollande, semble-t-il, veut mettre en avant une stratégie pour se représenter en 2017 ? Il serait bien inspiré de faire la politique pour laquelle il a été élu.
Valls affiche-t-il une volonté d’installer son action dans la durée ? Il ferait bien de passer de la parole aux actes. Ce qui veut dire innover plutôt qu’utiliser les recettes du passé, entreprendre un projet alternatif plutôt que de chercher à satisfaire un Gattaz toujours dans la surenchère.
Cambadélis veut-il jouer un rôle au PS ? On lui conseille de travailler, non pas à sauver le soldat Hollande ou le soldat Valls, mais de sauver le Parti Socialiste. De préparer et de proposer pour ce faire les transformations économiques et politiques dont les prochaines décennies ont besoin. Depuis 2008, la littérature économique et politique s’est réveillée. Il devrait prendre le temps de lire. On aimerait que ce soit sur ce matériau que s’écrive la synthèse qu'il souhaite pour le congrès du Parti Socialiste. Et pas sur un Gloubi-boulga des textes de Le Foll et autres insipides de la nomenclatura socialiste.