Nous étions en droit d'attendre de la directrice adjointe de la rédaction de Libération, Béatrice Vallaeys, qu'elle nous parle des vraies questions, qu'elle aborde les vrais problèmes. Au lieu de quoi elle nous a servi vendredi 8 juin, sous le titre: "Non, Valérie Trierweiler n'est pas normale”, une page entière d'une prose moralisatrice à propos d'une question somme toute secondaire: Valérie Trierweiler peut elle continuer à exercer son métier de journaliste à Paris-Match?
Et si elle n'était pas secondaire, elle ne méritait pas trois pages d'un même numéro. Car, oui, il y avait en plus de la chronique de notre journaliste, plus d'une autre page sur le "sujet" et une accroche en première de couverture.
C'était parisianisme pur. Allez poser aux citoyens de la grande périphérie francilienne la question: "Valérie Trierweiler doit elle ou non se permettre de continuer son métier de journaliste?". Ils vous répondront: chômage, précarité, démission de l'Etat, classes d'écoles fermées, hôpital en déshérence.
Et si vous posez la question: "pensez vous abandonner votre emploi”, aux femmes qui ont un peu d'expérience, ont déjà divorcé, ont des enfants à charge, et ont un compagnon qui a un métier, elle vous répondront vraisemblablement: "je garde".
Au lieu de quoi notre directrice adjointe, demi-papesse du journalisme, a cru devoir monter en chaire, et a signé une bulle excommunicatrice Dei Verbum, contre la compagne du Président.
Une page entière, pas moins, pour faire la leçon à celle à qui elle accorde d'emblée "le crédit d'une immense candeur".
Y avait il urgence, alors que Libération n'est pas encore sorti de son errance, de ses problèmes internes, entre journalistes et direction, à propos, entre autre, "d'un traitement éditorial partisan en matière politique", comme écrit dans un communiqué des journalistes le 2 avril dernier.
Ou bien encore, cette intervention, pontifiante plutôt que pontificale, est elle le signe d'une bataille interne au journal, entre tendances, clans ou partis? Mystère! Mais il y en a au sein de toutes les chapelles.
Une page entière d'écriture fielleuse pour se gausser de cette "première dame de France" a laquelle "un français anonyme" aurait suggéré, "à l'antenne", d'être "première journaliste de France".
Et on apprend qu'une polémique couvait depuis quelques temps déjà. Le magazine L'Express ne se serait il pas demandé "il y a plusieurs semaines déjà si "elle n'en faisait pas trop".
Nous étions, en ce vendredi 8 juin, à la veille du premier tour des élections législatives, et Libération ne consacrait pas moins de deux pages, plus une accroche en première de couverture, à la "First lady journaliste".
Car la bulle de madame Vallaeys était précédée en page 10 et 11 d'un grand papier titré "Trierweiler persiste et signe".
Fallait-il qu'il y ait urgence à monter la mayonnaise. Mais on monte les sauces qu'on peut.
Et notre directrice adjointe, de peur d'être considérée comme isolée, d'aller chercher de l'aide ailleurs. Par exemple du coté des Guignols de l'info, qui se gausseraient que "Madame porte la culote" dans "le couple présidentiel".
En voila une information intéressante! En voile du grand journalisme qui va ramasser à Canal les œufs pourris à balancer! C'est donc pour lire cela que je suis abonné à Libération ?
Mais le pire, ce n'est pas ce journalisme qu'on aurait qualifié autrefois de caniveau, qui est le comble. Non. C'est le ton moralisateur de madame Béatrice. Le ton donneuse de leçon. Comme quoi "En démocratie, jusqu'à preuve du contraire, le journalisme est un métier à part".
Et de nous enfiler des perles sur ce que devrait être un journaliste, sa mission, son rôle de sentinelle, le contraire, tenez vous bien, "du "journalisme de connivence" "dénoncé par nombre de citoyens".
J'ai apprécié, moi qui m'étais élevé il y a quelques semaines, ici même, sur la façon totalement irresponsable et partisane dont Libération avait traité François Bayrou durant les présidentielles.
Et madame la directrice adjointe de continuer sur trois larges colonnes. Valérie Trierweiler serait au bord d'être "accusée" de "délit d'initié", de "conflits d'intérêts", et comme "c'est à la rubrique culture qu'elle officie", notre moralisatrice lui fait remarquer que la culture "c'est politique" surtout que "On est bien placé pour savoir" depuis "Sarkozy et sa Princesse de Clèves".
Je pourrais continuer à vous citer encore nombre d'inepties de cette sauce. Inutile. Vous aurez compris qu'une fois encore ce n'est pas la presse qui sort grandie de cette histoire.
Notre presse est bien malade. Il suffit de lire au quotidien ceux que Acrimed, l'observatoire des médias, appelle "les éditocrates", pour s'en rendre compte. "Editocrates", comme "ploutocrates". Cousinage obligé. Les uns soutenus par les autres. Consanguinité des médias avec le politique et l'économique. Ou pseudo ton de liberté. Mais en définitive la même fabrique de l'opinion.
Pour conclure je dirai, "Non, Béatrice Vallaeys n'est pas une journaliste normale".