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Billet de blog 11 août 2015

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Europe : des Etats et des hommes qui dysfonctionnent

Les vacances, ce moment entre deux temps qui permet relâchement ou retour sur soi-même, sont l’occasion aussi de (re)lectures qui ne manquent pas d’interpeler notre rapport à l’actualité. Je veux dire notre façon de juger de celle ci et de ceux qui la font.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les vacances, ce moment entre deux temps qui permet relâchement ou retour sur soi-même, sont l’occasion aussi de (re)lectures qui ne manquent pas d’interpeler notre rapport à l’actualité. Je veux dire notre façon de juger de celle ci et de ceux qui la font.

Les quelques livres emportés dans mes valises ont rempli cette année leur fonction. Difficile de rester le bienheureux de la plage après la lecture de « Corruption » d’Antoine Peillon, de « L’hydre mondiale, l’oligopole bancaire » de François Morin, « Les usurpateurs : comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir » de Susan George, ou encore « Le temps des humiliés » de Bertrand Badie, sur la pathologie des relations internationales, un thème des plus actuels.

Pouvons nous nous dérober encore et toujours, faire « comme si », après de telles lectures ? Comme si nous ne voyions rien, comme si nous ne savions pas. Pouvons nous ne pas entendre la parole prophétique de Roland de Pury, sur lesquelles Peillon conclut son livre. Ce « Tu ne te déroberas point » lancé, dit il, au visage masqué des prédateurs et des dominants corrompus de tous les temps.

La criminalité financière étant un sujet permanent d’actualité, nous retiendrons tout autre chose aujourd’hui. La façon dont nos gouvernants ne traitent pas la question des afflux migratoires aux portes de l’Europe, et la prétention de nos politiques à nous distraire des vraies questions par de vaines anecdotes.

Laisserons nous sans réaction s’installer à notre porte un monde de jungle criminelle exploitant la misère du monde, un monde semblable à ces jeux vidéo où les scènes les plus dures ne sont tout compte fait que la réalité bien matérielle de ce qui se vit à nos frontières.

« Tu ne te déroberas point ».

Laisserons nous, citoyens d’une Europe jamais aboutie, s’installer aux frontières de quelques uns de nos Etats une criminalité organisée pour exploiter des populations acculées à prendre tous les risques pour survivre ou mourir. (22 000 morts en 15 ans).

Laisserons nous nos gouvernants nous amuser de questions secondaires pour nous faire oublier que les questions importantes, ils ne les traitent pas.

Tout devrait nous pousser à exiger des actes de nos gouvernements, à leur réclamer des comptes :

Au nom de ce qui nous reste d’une culture construite sur des valeurs de justice et d’équité léguées par les hommes et les philosophes des Lumières.

Au nom de ce qui nous reste parfois de religion, donc de principes revendiquant la défense du faible et de l’opprimé, l’aide à son prochain.

Au nom de ce qui nous reste de mémoire historique pour ne pas oublier que notre monde est mortel. Mémoire de la grande guerre, ce « séisme à la fois humain, politique et social », comme l’a écrit Vincent Fauque dans « La dissolution du monde ». Mémoire de la seconde guerre mondiale où une bonne partie de l’Europe est tombée, volontairement parfois, sous la férule du gangstérisme nazi. Et mémoire du temps présent enfin, volonté d’être présent à son temps, ce temps où chaque jour les principes qui faisaient société sont amoindris, ou si on veut parler plus juste, « détruits », au sens du mot grec, « corruption », comme nous le rappelle Antoine Peillon dans son livre édité au Seuil.  

Le temps des humiliés

Que font les gouvernements et les gouvernants européens pour mettre de l’humanité et de la rationalité, à Calais, en ce lieu baptisé « La jungle », ou à Subotica, en Serbie, à la frontière hongroise, également appelé du même nom de « jungle »,  contrôlé en partie par les trafiquants; ou en Italie, ou en Grèce, ou en Espagne ?

Ils ne font rien. Incapables d’une politique commune à nos frontières tout comme il sont incapables de construire une politique étrangère, une politique de défense, une politique sociale, une politique fiscale, une politique économique qui soit au service des peuples et pas à celui des banques.

L’Europe est revenue à cet instant que décrit Bertrand Badie dans son ouvrage « Le temps des humiliés ». Il y montre ce qu’un système international, c’est à dire l’arrangement d’un ensemble de pratiques et de normes internationales, repérable à un moment donné du temps, peut générer comme humiliation et produire « des formes nouvelles et souvent dysfonctionnelles de diplomatie ».

L’exemple de l’accord franco-anglais du Touquet et de Sangatte, qui transforme de facto la France en bras policier de la politique migratoire britannique est de ce style. Un rapport de la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’homme) vient de proposer de l’abolir dans un avis du 2 juillet.* On aurait pu parler de l’humiliation de la Grèce par les Etats européens, les institutions et le FMI, au cours des derniers mois ; ou encore de l’humiliation du peuple japonais par son gouvernement qui rouvre une centrale nucléaire malgré l’hostilité de la population, et au moment de l’anniversaire de la bombe sur Nagasaki.

Des hommes politiques en dysfonction

Car c’est bien un monde dysfonctionnel que nous construisent chaque jour les hommes politiques en mal de futur.

Il en va ainsi de Sarkozy, qui ose sans rougir nous raconter qu’il se présentera à l’élection présidentielle de 2017 par « devoir », (comme si ce mot pouvait avoir le moindre sens dans la bouche d’un homme dévoyé et empêtré dans de trop nombreuses affaires), et nous annonce son programme dans le magazine frontiste « Valeurs actuelles », comme Hubert Huertas vient de l’écrire dans Mediapart**. ( en profitant pour nous montrer que chaque parole de l’ancien président défait la parole précédente, est une suite de vérités aussitôt reformulées à l’inverse).

Il en va ainsi également du responsable du PS, Christophe Cambadélis, cet échappé de l’affaire de la MNEF, diplômé par dérogation, et qui voudrait nous faire croire que le PS mise sur la social-écologie. Ironie, c’est à peu près  l’heure où le Pape François décide de lancer une journée mondiale pour l’environnement, publie une encyclique sur le climat, exhorte gouvernements et particuliers à une révolution verte, comme l’écrit l’AFP. Une exhortation qui n’a pas manqué d’indigner les milieux catholiques conservateurs. Les propos de Cambadélis sont restés sans écho. C’est dire l’importance de l’homme !

Combien de personnes, catholiques ou non croyantes,  reprendront-elles ces paroles à leur compte en Europe, pour exiger que nos gouvernants s’engagent enfin sur les sujets si important du climat, du développement, de la justice sociale, de la lutte contre le crime des élites dirigeantes impunies.

L’espoir viendra-t-il d’un pape ?  Peu importe, car il faut comprendre qu’on est face à un problème de structure. « De structure de marché qui découle lui même du contexte institutionnel des années 1970 et 2000 » comme l’a écrit François Morin dans « L’hydre mondiale ». Mais face aussi à un problème de structure politique, dont on a oublié, dont on nous a fait oublier, qu’elle est affaire de foi commune dans les valeurs et les principes de la République.

Tout comme l’église catholique a retrouvé une voix porteuse de dénonciation et de vérité, il faut souhaiter que la République retrouve à son tour une voix porteuse, comme elle en a connu par le passé. De ces voix qui ne sont pas que dénonciations, mais aussi encouragement à la responsabilité citoyenne, encouragement à « faire l’histoire ». L’heure où nous ne pouvons nous dérober est venue. Le roi est nu. mettons le en lumière.

*

http://abonnes.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2015/07/03/migrants-et-s-il-fallait-bouter-les-anglais-hors-de-calais_4668363_1654200.html

**

http://www.mediapart.fr/journal/france/070815/sarkozy-devoile-son-programme-verite-quand-tu-nous-tiens

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