Ne laissons pas la religion revenir investir ou réinvestir le politique et l’espace public. Car l’histoire nous l’enseigne, l’humanité a déjà payé chèrement par le passé ce mélange détonnant. « Le pire, aura été, tout près de nous, mais heureusement derrière nous, les « religions séculières », c’est à dire la tentative de refabriquer une organisation religieuse avec du politique ».
De qui ces paroles ? Du théoricien du désenchantement, Marcel Gauchet, dans un entretien avec Olivier Bobineau, en 2010. (In ‘’Le religieux et le politique’’ chez DDB).
Pour Birnbaum la gauche est un monolithe.
Malheureusement, le pire n’est pas derrière nous. Car ce à quoi on assiste aujourd’hui, en France, ou ailleurs, est bien une tentative des religions du livre, soit de se refaire une santé sur le dos des crises qui nous frappent, (Le catholicisme de droite en France), soit de renforcer le coté religieux de l’Etat déjà en place, (Israël), soit de chercher à investir le « ventre mou de l’occident, l’Europe… », avec Daech, « pour y imposer son ‘’califat’’ ». (Gilles Kepel ‘’Terreur dans l’Hexagone » chez Gallimard).
« La religion descend dans la rue. Elle s'évade des lieux de culte, où la laïcité aimerait la confiner. Elle s'affiche sur la voie publique… elle s’invite à l’école, dans l’entreprise, dans les menus. Elle entre dans notre quotidien ou dans l'actualité, subrepticement ou dans le fracas des armes ». C’est ce que nous dit Benoit Hopquin dans Le Monde du 12 janvier, rendant compte du livre de Jean Birnbaum « Un silence religieux. La gauche face au Djihadisme ».
La thèse de Birnbaum est que la gauche, soit disant prise d’aveuglement, serait « incapable de prendre la religion au sérieux » et donc de comprendre ce qui se passe actuellement. Thèse tendancieuse, qui renverse ou travestit la réalité, en quelque sorte, puisque, Hopquin le rapporte dans son article, « Jean Birnbaum, nous ouvre les portes d'un lieu béni, d'un pieu sanctuaire où la religion et l'idée même de la foi ne pénètrent pas encore : la gauche ». La gauche ! Il y aurait donc « une gauche », entité pure, monolithe à observer ? Comme il y aurait un Dieu, autre monolithe que « la gauche » nierait ?
Allons donc, soyons sérieux. La gauche, pas plus que la droite, n’est ce corps unique auquel on la réduit pour faciliter la lecture d’une thèse dont l’écriture aurait été plus difficile s’il avait fallu prendre en compte la complexité de l’existant. Quoi de commun entre un Valls, qui dit qu’aller à la messe est la plus belle réponse au terrorisme, un Mélenchon, qui avoue avoir avec l’Eglise une relation informée (in La Vie du 23 02 2012), et un Pierre Joxe, membre du Grand Orient ? Qu’il y ait des gens à gauche qui soient gênés de prendre en compte les agissements de certaines religions pour cause électorale, qui le nierait, mais cela ne fait pas de la « gauche » cet anachronisme décrit par Birnbaum. Qu’il y ait des gens de gauche qui ne veulent pas voir la radicalisation par l’islamisme de certains jeunes français musulmans, nous le savons. Qu’il y ait une certaine gauche influencée par un sociologisme de facilité qui « réduit les djihadistes à des paumés, désocialisés, décérébrés », ce n’est pas une nouveauté. Mais ce n’est pas toute la gauche.
Et Hopquin et Birnbaum d’en rajouter. La religion serait vécue comme une « concurrence déloyale » par ces gens de « gauche ».
« Ils refusent de reconnaître que, comme la doxa marxiste, comme les idées progressistes de gauche, mieux qu'elles sans doute, la religion incarne auprès d'une jeunesse " une nouvelle perspective de rompre avec le temps présent " ». La messe est dite.
Pour Raphaël Liogier la « civilisation » est un monolithe.
Comme elle est dite dans un autre article, cette fois dans Libération du 11 janvier, du philosophe et sociologue Raphael Liogier, pour qui « Il n’y a pas de guerre des civilisations car il n’y a qu’une seule civilisation ».
Qu’on puisse discuter de la pertinence du concept de choc des civilisations, cela va de soi. Mais qu’on fasse le saut jusqu’à affirmer qu’il n’y a « qu’une seule civilisation », on ne manque pas d’être surpris. Nous assisterions « Depuis plusieurs siècles, au déploiement d’une civilisation globale », dans laquelle « notre désir de vivre ensemble est de moins en moins enraciné dans un territoire unique mais voyage dans des espaces déterritorialisés ».
Certes, le monde se globalise. Est ce à dire que du coup nous vivons dans une civilisation globale ? Pas certain. Mais on peut toujours en discuter.
Là où la discussion devient plus difficile c’est lorsque Liogier accuse l’Europe, confrontée à cette « civilisation globale », de fondamentalisme. Détournant ce mot appliquée d’habitude à certaines pratiques religieuses, il écrit : « L’idée d’une civilisation assiégée est plutôt caractéristique d’une Europe devenue fondamentaliste, c’est-à-dire en quête de son origine et de son hégémonie perdue ».
Tout comme Hopquin et Birnbaum, il a besoin de réduire sa sauce résonnante. L’Europe est ^pour lui une entité unique, comme la gauche en est une pour Birnbaum.
Pour lui, il y a donc d’un coté, « des conflits hybrides », et de l’autre une Europe monolithique. Laquelle se vivrait dans une guerre des civilisations, un concept théorisé par Bernard Lewis, tenez vous bien, lors de la crise du canal de suez en 1957. « Les européens réalisent alors qu’ils ne dominent plus le monde ». « Ce traumatisme va leur faire interpréter cet événement comme un complot arabo-musulman : l’Europe serait attaquée dans son être ». Et donc, nous croyons être encore dans une guerre entre civilisations.
Or, nous dit Liogier, les partisans de la «guerre de civilisations», qu’ils soient chrétiens ou musulmans ce sont les fondamentalistes qui y croient. « Le fondamentalisme touche ceux qui sont en déficit de reconnaissance de soi, qui rejettent le présent et s’accrochent à un passé idéal. Ce sont eux les partisans de la «guerre de civilisations», qu’ils soient chrétiens ou musulmans fondamentalistes ». Rajoutant : « Si on a le sentiment qu’il y a parfois des oppositions entre religions, c’est parce que le fondamentalisme peut prendre une grande place dans certaines d’entre elles ».
Affaire de sentiment donc. Bien entendu, puisqu’il faut justifier la thèse affirmant qu’ « Il n’y a plus d’étranger radical ». Lire cela après les évènements tragiques de 2015 et ce qui vient de se passer à Cologne, est assez suave.
Nous en sommes à vouloir tout disséquer par le menu dans la confusion des explications. Une confusion qui ne manque pas d’entrainer celle des populations, pour lesquelles l’étranger est de plus en plus « l’étranger radical ». Une régression qu’on n’aurait pas cru possible il y a quelques années, et dont tentent de bénéficier en France les extrêmes, mais aussi les catholiques fondamentalistes qui espèrent se refaire une santé en repolitisant la religion.
Non Messieurs Hopquin et Birnbaum, « la libre pensée ne se revendique pas jusqu’à l’outrance », comme vous l’écrivez. Elle reste égale à elle même, la possibilité de se déterminer sans contrainte, en toute indépendance. Or, la pensée dominée par la religion a pour danger de pouvoir être instrumentalisée comme outil de domination, idéologique, culturelle, politique, économique. Et lorsque surgit au sein des religions, voir même à sa tète, un pensée de changement et de progrès, le fondamentalisme tente de s'y opposer. C’est ce qu’on voit avec le pape François, guère en odeur de sainteté auprès de ceux qui composent en France la Manif pour tous, ou au Vatican, la curie, qui s’effraie des choix de simplicité du pape, lequel trouve l’appartement officiel trop spacieux, refuse la limousine qu’on lui propose et s’habille simplement. « Le pape argentin avait déclenché beaucoup d'hostilité au Vatican avec son discours de voeux de décembre dernier, dans lequel il avait énuméré les "quinze maladies" qui menacent la Curie romaine. Beaucoup de cardinaux l'avaient estimé injuste et excessif », a écrit l’AFP le 21 décembre dernier. Il serait musulman et aurait critiqué la royauté saoudienne, il aurait eu la tête tranchée.
Comme quoi les choses sont un peu moins simples que ne nous les décrivent quelques intellectuels et journalistes, qui n'ont que des théories à vendre.