Lorsque que l’État, le gouvernement, des ministres, la Cour des comptes, des économistes, des groupes de pressions, nous racontent que l’État manque d’argent, qu’il faut gérer la pénurie, établir des arbitrages, qui, oui, se traduisent toujours par un coût social, nous sommes, nous restons, toujours, dans un convenu immuable mais jamais dit, celui de la reproduction d’un rapport de force entre idées dominantes et personnes dominées, réalité apparente et réalité cachée, abstraction des données et ressentis des corps vivants.
Les choix économiques sont pris par quelques-uns qui les imposent à tous, et tous payent les choix faits par quelques-uns au prix, pour un grand nombre, d’une précarité accrue, d’une qualité de vie réduite, de souffrances aggravées.
Les quelques-uns se divisent en « apparents » et en « cachés ». Sont apparents ces politiques qui prennent les décisions. Sont cachés ceux qui les font prendre par les apparents, je veux parler des puissances établies : finance, banques et sociétés transnationales, en un mot la ploutocratie dominante dont les lobbys pratiquent, nous dit Novethic, « une activité opaque dont les règles du jeu sont loin d’être établies ». 173 lobbyistes inscrits à l’Assemblée nationale, 115 au Sénat, quand il y en a 3000 inscrits au Québec, après la mise en place d’une institution de contrôle qui a donc obligé à la vérité de se dévoiler. Et de se laisser contrôler.
Et, comme je l’ai laissé entendre ci dessus, on nous « raconte » ce qu’on veut, et ce qu’on nous raconte n’est qu’un conte mille fois répété, une histoire à nous endormir, ou les trois gros cochons se nomment, « Dette », « Déficit », « Austérité ». Des cochons aux dents de loup qui mangent les mollets des plus faibles.
Sauf que si la France est endettée elle l’est parce que elle a dû emprunter l’argent qu’elle ne percevait plus, suite à la déréglementation financière, au développement, organisé par les banques, de l’évasion fiscale des plus riches, à l’optimisation fiscale mise en place par les grands groupes transnationaux, à l’existence de paradis fiscaux qu’on fait semblant d’ignorer en en établissant la liste, réduite à quelques noms exotiques.
Et oui, comme le dit Marie-Anne Kraft sur Mediapart : « la gestion de la pénurie sacrifie le développement humain sur l’autel de l’économie matérielle »*.
En France, mais dans tous les pays d’Europe. La colère gronde écrit The Guardian, cité par Presseurop, expliquant que « ni le secteur bancaire, ni le gouvernement n’ont été capables de redresser la situation », après avoir noté que « en quatre ans, les banques britanniques ont reçu près de 500 milliards d’euros en fonds publics et en papier-monnaie ». Avant de conclure : « Jamais, dans l’histoire de l’économie britannique, on n’aura jeté autant d’argent par la fenêtre pour une cause aussi vaine. Et toujours sans l’ombre d’un remords ».
Mais en France, « l’Ennemi de la finance » laisse ses promesses au vestiaire et se fait doubler, paradoxalement, par les suisses qui ont décidé qu’il fallait soumettre les revenus des cadres supérieurs à l’assentiment de leurs actionnaires, et réclamer l’interdiction des primes de bienvenue et de départ. Et je ne vous parlerai pas, car vous êtes informés, de cette réforme bancaire qui réforme si peu en France que les banques s ‘en félicitent ouvertement.
Allez lire l’article de Marie-Anne Kraft*. Elle a établi, ce qui m’évite de le faire, la longue liste des sacrifices du développement humain sur l’autel de la gestion économique de la pénurie décidée par nos gouvernants.
Des gouvernants installés dans l’ineptie de leurs politiques. Des gouvernants de tous temps, puisque Gramsci, dont les éditions Rivages ont publié en 2012 un regroupement de ses textes sous le titre « Pourquoi je hais l’indifférence », Gramsci, qui expliquait en 1917 : « qu’en politique l’imagination concernent les hommes, leurs douleurs, leurs affects et les nécessités qu’ils rencontrent dans leur vie d’homme » et que en conséquence : « si un homme politique se trompe dans ses hypothèses, c’est la vie des hommes qui est en danger ».
Comment peut-on, gouvernement de gauche, ignorer ce que le passé nous a apporté d’enseignement ? Ignorer l’esprit de Philadelphie dont Alain Supiot a fait un livre sous-titré : « la justice sociale face au marché total ». Comment peut-on avoir oublié que la France en 1945 s’est reconstruite sur l’esprit du Conseil National de la Résistance qui était avant tout la mise en forme politique de l’esprit de solidarité ?
N’y a-t-il pas assez d’ouvrages publiés sur les « fractures françaises », sur la « révolution fiscale », sur la « culture de l’illusion », sur « la crise qui vient », pour ne rien faire d’autre que se cantonner dans une paresse qui contribue au cours des choses quand elle ne se contente pas de la justifier.
Plutarque affirmait, nous rappelle le prix Nobel d’économie John Kenneth Galbraith dans un texte de 1985 intitulé : « l’art d’ignorer les pauvres », que « le déséquilibre entre les riches et les pauvres est la plus ancienne et la plus fatale des maladies des républiques ».
Je propose de nommer Plutarque au gouvernement. Il n’aurait nul besoin d’oublier les promesses qu’il n’aurait pas faites.
Ou alors, lançons l’opération « Il faut sauver le candidat Hollande », film de fiction présidentielle à présenter aux oscars de Hollywood en 2013 pour sauver les élections municipales et européennes.
* http://blogs.mediapart.fr/blog/marie-anne-kraft