Le centenaire de la naissance d’Albert Camus et la lecture de ses articles d’après guerre sous amènent à regarder les « renoncements démocratiques et sociaux de la droite et de la gauche » que dénonce Edwy Plenel, dans son article du 11 novembre, à l’aulne de ce qu’a vécue la France à la fin des années 30.
De même que l’ouvrage, « Souvenirs et solitude », de Jean Zay, ministre à 32 ans de l’Education nationale et des Beaux-Arts dans le gouvernement Léon Blum en 1936, emprisonné par Pétain en 1940, et assassiné par la milice en 1944. (Edition en Poche chez Belin)
Zay et Camus nous rapportent, d’une voix simplement humaine et juste, tout à la fois un témoignage direct et une analyse incomparable sur ces années terribles, dont on se demande si nous ne sommes pas en train de les revivre.
Le témoignage de ce genre d’hommes qui ont mis leur conduite en accord avec leurs opinions.
Tout le contraire de ces hommes politiques qui, par leur manque d’attachement aux valeurs de la République, ont soldé la grandeur de leur mandat représentatif dans des marchandages politiciens et un manque de courage total à l’instant des choix décisifs pour leur pays.
Jean Zay nous rapporte « ce travail de termite qui avaient secrètement miné la résistance du pays », nous parle de ceux pour qui « la disparition de la république était à la fois une condition et une conséquence de leur dessein », nous décrit « ces derniers gouvernements de la troisième république, faibles et presque impuissants ! » « dont la politique ( extérieure) était discutée, trahie, desservie dans la presse, quelquefois contrecarrée au sein même du Conseil des ministres ».
Il nous rappelle dans ces écrits de prison que, de 1932 à 1940 « il n’y avait plus d’argent en France pour rien d’utile et de fécond. Que le dogme de l’équilibre budgétaire fournissait en même temps une arme précieuse contre les réformes démocratiques, et que le chantage financier permettait de jeter bas les gouvernements qui déplaisaient ».
Y a-t-il quelque chose de changé ? Ce gouvernement n’a-t-il pas peur de la supposée puissance du Medef ? Ne recule-t-il pas devant des pigeons ? N’a-t-il pas émasculé presque toutes les réformes promises ?
Jean Zay, enfin, nous parle de ces hauts fonctionnaires qui, « formés par une grande école privée, (celle des Sciences politiques), les forgeant dans un esprit de classe, pour ne pas dire de caste, étaient dotés d’un zèle démocratique bien faible ».
Camus, quant à lui, aussi bien dans ses articles de « Combat », (Essais Folio), que dans ses « écrit libertaires », (Editions Indigène), témoigne de sa volonté incessante de lutter « contre l’anesthésie du peuple français ». « Nous ne concevons pas de politique sans langage clair » dit il.
Ecrivant, le 21 août 1944, que la résistance souhaitait « en finir avec l’esprit de médiocrité et les puissances d’argent, avec un État social où la classe dirigeante a trahi tous ses devoirs et à manqué à la fois d’intelligence et de cœur », il publie le 2 septembre un éditorial sur « la démocratie à faire », mettant en garde contre un ordre « qui consacrerait les puissances d’argent, les combinaisons de couloirs et les ambitions personnelles ».
Deux jours plus tard « il refusait d’admettre dans la politique française ceux qui en étaient sortis alors que la résistance était toute prête à les accueillir ». Ce qui l’entrainait à rajouter « Nous sommes décidés à supprimer la politique pour la remplacer par la morale ».
Le 6 septembre, il revient sur cet état de choses, qui était clair avant la guerre pour tous ceux qui aimaient, en même temps qu’ils la jugeaient, cette France si déconcertante, « la classe dirigeante de ce pays a démissionné ».
Au fil de ses éditoriaux, Camus traite tous les sujets que nous sommes amenés aujourd’hui à aborder. Celui d’une presse « perdue dans son principe et dans sa morale », d’une classe politique dont le vocabulaire « en lui-même n’est pas bon », de la conciliation difficile entre justice et liberté, du gouvernement « qui est attendu à ses actes ».
Et son constat d’hier (1955) est le notre aujourd’hui. « Il faut se définir par rapport à tous les possibles, poser en quelque sorte les limites en deçà desquelles on définit son engagement et son choix ».
Nous ne souhaitons pas que cette classe politique s’entête à se comporter comme elle s’est comportée entre 1932 et 1940. Les renoncements du passé on conduit à un effondrement. Ceux d’aujourd’hui, où nous mènent ils ?
Et nous ne souhaitons pas que demain puisse se lever un nouveau Camus, ni que puissent s’écrire des articles semblables aux siens dans un nouveau « Combat ». Cela voudrait dire que serait advenue cette chute que nous ne nous souhaitons pas.
Mais n’y sommes nous pas déjà ? Trop d’articles de Médiapart nous rappellent ceux de Camus dans Combat. Mêmes mots. Mêmes causes à défendre. Mêmes appels à la justice, à l’intelligence et à la morale.