Gérard Collomb a donné au journal Le Monde, daté du 13 mars, une interview dans laquelle il demande à François Hollande d’avoir « un langage clair », notamment sur la question des entreprises. On connaît l’ambition, plus ou moins secrète, du sénateur-maire pour un poste de ministre de l’industrie. Il n’est donc pas déraisonnable de penser trouver dans cette interview comme une profession de foi et des hypothèses.
A chaque interview d’hommes politiques on voit quelques idéologues apporter leurs commentaires. Il en va donc de celle-ci comme des autres sur Le Monde.fr. Une occasion, pour certains, d’y trouver la possibilité de s’en prendre « au socialisme ».
C’est dérisoire, car, aveuglés par un chiffon rose, ils n’ont pas vu que les solutions proposées par Gérard Collomb n’ont rien de particulièrement socialistes. Elles sont au mieux libérales et socialistes, issues d’un « socialisme » que Bernard Maris a qualifié, dans un ouvrage publié en 2012, « comme s’étant laissé détruire par l’obsession de l’économie ».
Gérard Collomb demande donc à François Hollande de « fixer un cap », notamment pour les entreprises, et d’assumer « un socialisme de l’offre », au prétexte qu’une partie de la gauche continue de « signifier aux entreprises qu’elle ne les aime pas ».
Plutôt que de se préoccuper de ce que pense en la matière une partie de la gauche, il serait bon de se préoccuper de ce que pensent les gens sur les entreprises. Or, des sondages l’ont montré, les Français ne pensent pas tellement de mal des entreprises, car ils savent séparer le bon grain de l’ivraie, à savoir les PME et les ETI des grands groupes transnationaux.
Les premières jouent pour la plupart d’entre elles leur rôle dans la société, les seconds sont à juste titre, majoritairement, l’objet de multiples critiques.
Si un maire, et même un maire de grande ville, un futur responsable de métropole, peut faire semblant d’ignorer que les grands groupes, au-delà de leurs activités sur les territoires, (qu’apprécie le maire de Lyon), se sont organisés pour optimiser leur fiscalité, échapper à l’impôt par l’organisation des prix de transfert, installer des filiales dans des paradis fiscaux pour les raisons que tout le monde connaît, un ministre, ou un sénateur maire qui a l’ambition de le devenir, ne peut faire l’impasse sur ces graves comportements, et doit en conséquence moduler son propos.
Gérard Collomb souligne à juste titre qu’aujourd’hui, au niveau national, « on met davantage l’accent sur les contraintes que sur les possibilités », rajoutant: « pour créer le mouvement, il faut savoir raconter un récit ».
Acceptera-t-il qu’on lui fasse un procès en contradiction. Car de quel récit veut-il nous parler ? Un récit socialiste ? Mais alors, pourquoi pas un mot, dans cette interview, qui nous parle de « socialisme de l’offre », de « faire émerger une nouvelle industrie », (reprochant au passage à Arnaud Montebourg de mettre « beaucoup d’énergie à tenter de sauver des entreprises anciennes »), de flexibilité « toujours considérée comme un gros mot à gauche », pas un mot sur les conséquences de la gestion européenne de la crise, de la dette, des déficits, pas un mot sur l’austérité issue de cette politique et sur ses conséquences dramatiques, en coût social, en souffrances humaines, en précarité accrue.
Est-il socialiste, est-il humaniste, ce « récit » qui ne se préoccupe pas du social au prétexte qu’il faut s’occuper de l’économie des entreprises ?
J’ose croire que ce n’est qu’un simple oubli, mais il est regrettable. Car Gérard Collomb a dans le passé semblé plus humaniste qu’il n’apparaît dans cette interview. N’est-il pas à l’origine de ces « dialogues en humanité » lancés en 2001 avec le soutien de Stéphane Hessel ?
Si un maire, un sénateur, un homme politique, un ministre du gouvernement, un premier ministre lui-même, en sont à choisir l’économie contre le peuple, la compétitivité contre les salaires, une politique de l’offre contre une stimulation de la demande, le Ying contre le yang, au lieu de les associer, s’imaginent-t-ils être en train de nous construire le récit attendu par les citoyens ? Le récit qui va leur permettre de se présenter aux élections municipales et régionales l’année prochaine avec succès ?
Gérard Collomb se montre plutôt optimiste. Mais s’il peut l’être pour lui-même à Lyon, il n’est pas certain qu’il puisse l’être pour son parti au niveau national. Et lorsqu’il conclut ne pas sentir monter la menace d’une vague populiste il semble bien faire la différence entre sa ville et ce niveau national.
Une dernière question à Gérard Collomb. Trouve-t-il insuffisants les 20 milliards dégagés par le gouvernement pour relancer la compétitivité des entreprises ? 20 milliards accordés sans contrepartie et indistinctement en faveur des entreprises qui exportent et celles qui n’exportent pas. Et si sa réponse est oui, avec quel argent financerait-il les mesures qu’il propose ? Celui de l’évasion fiscale privée qu’on aurait enfin prise au sérieux. Celui des fortes amendes imposées aux banques complices et racoleuses ? Celui récupéré après un contrôle serré des prix de transfert pratiqués par les grands groupes ? Ou en trouvant de nouvelles taxes et impôts ?
Derrière les idées lâchées dans une interview il y a des hypothèses, et écrivait Gramsci en 1917 : « Si un homme politique se trompe dans ses hypothèses, c’est la vie des hommes qui est en danger ».