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Billet de blog 15 septembre 2015

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Jeremy Corbyn, un caillou dans la chaussure socialiste

Alain Bergounioux a dit un jour : « Pour l’historien que je suis, il est déjà dur de prévoir le passé ! L’avenir est encore plus difficile ». Dommage qu’il oublie si souvent ses propres paroles.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Alain Bergounioux a dit un jour : « Pour l’historien que je suis, il est déjà dur de prévoir le passé ! L’avenir est encore plus difficile ». Dommage qu’il oublie si souvent ses propres paroles. Et qu’il oublie également avoir écrit, mais c’était en 2009, dans Mediapart : « La décision de Gordon Brown et de José Luis Zapatero de ne pas s’opposer à la reconduction de Barroso a fait plus que de jeter un doute sur la capacité des socialistes européens de porter une politique différente de celles menées jusque-là ».

Passé, futur, les trébuchements de l’historien

Comme il oublie vraisemblablement avoir aussi écrit, dans le même article: « Il a été remarqué à de nombreuses reprises que la crise économique actuelle appelle des solutions et des mesures de nature social-démocrate, pour mettre en oeuvre les moyens d’une régulation financière et de contrôle, pour définir des mesures sociales et environnementales, pour intervenir dans les politiques industrielles, etc… C’est si vrai que des gouvernements de droite le revendique aujourd’hui pour eux-mêmes dans leurs discours et, partiellement, dans les actes (au moins à titre provisoire) ».

Des propos que ne renieraient pas les frondeurs du PS aujourd’hui.

Six ans plus tard, nous avons vu Sarkozy ne rien faire de ce qu’il avait dit dans ses discours post crise, et vu Hollande ne rien entreprendre de ce qu’il avait annoncé. Des annonces de campagne qu’Alain Bergounioux n’aurait pas reniées pourtant.

Six ans plus tard, l’heure n’est plus aux mesures que Bergounioux pensait qu’il fallait prendre. Hollande, Valls, Macron, sont passés par là.

Jeremy Corbyn, nouveau cauchemar des socialistes

Six ans plus tard, Alain Bergounioux a donc changé de prose et croit pouvoir, pour défendre l’équipe Hollande, Valls, Macron, gloser sur Jeremy Corbyn, qui vient de gagner son élection à la tête du Labour Party en Grande Bretagne, en disant de lui qu’il représente « la vieille gauche ».

Bergounioux, 10 ans de moins que Corbyn, doit sans doute avoir besoin de se sentir jeune, de peur de paraître « vieille gauche », en se souvenant de ses écrits anciens.

Le voilà donc effrayé d’un Corbyn vainqueur, qu’il trouve trop à gauche, et que le journal Le Monde, qui accueille la prose de Bergounioux, qualifie de minoritaire, via la plume de Philippe Bernard : « La ligne pacifiste et radicale du nouveau chef travailliste est minoritaire parmi les élus du parti ».

Que doit-il penser de Valls qui, premier ministre aujourd’hui avait récolté moins de 6% lors des primaires socialistes de 2011.

Philippe Bernard, qui doit écrire trop rapidement, écrit quelques lignes plus loin : « La première tâche du nouveau patron du Parti travailliste consistait à former son cabinet fantôme, réplique du gouvernement en place capable de riposter sur tous les sujets. Jeremy Corbyn y est parvenu dans la soirée de dimanche ». Pas si mal pour un supposé minoritaire !

Mais revenons-en à Bergounioux. Pour apprendre dans son analyse de Jeremy Corbyn que : « ici, il ne s’agit pas de mouvements alternatifs aux partis sociaux démocrates – comme en Grèce avec Syriza ou en Espagne avec Podemos, ou hier Die Linke en Allemagne – mais d’une poussée radicale conte les élites partisanes qui ont mené le parti travailliste depuis les années 1990 ».

Faut il en conclure qu’il y a derrière cette victoire un ouverture pour une politique différente à gauche ? Pas du tout, car il y a derrière celle ci nous dit l’historien  « un prix, un effacement provisoire du raisonnement en termes de possibilités de gouvernement ».

Et ceci vaut comme un avertissement lancé aux frondeurs du PS français. «Le risque pris, alors, en privilégiant seulement ce que l'on veut, c'est le divorce entre l'idéal et la réalité ».

Réalité, réalité, «Est ce que j’ai une gueule de réalité » lui répondront plus d’un.

Mais c’est ainsi. Dans le monde économique néoclassique gouverné par l’oligarchie bancaire qui est le notre, il n’y a pas d’autre chemin que cette fameuse réalité qui ne veut d’aucun changement. On l’a vu lorsque Hollande s’est couché devant Merkel dès son arrivée au pouvoir. On aurait pu s’en douter si on avait su que son trésorier de campagne en 2012 était actionnaire de sociétés offshore dans les iles caïmans. (Lire Antoine Peillon « Corruption » page 82). Mais qui savait ?

La grande guerre des classes

Car, si aucun changement n’est possible en Europe, ce n’est pas à ce jour de la faute de « la vieille gauche », mais bien de cette « incapacité des socialistes européens de porter une politique différente de celles menées jusque-là ».

Européens de cette l’Europe politique qui a eu si peur de sombrer sous l’expression populaire d’un de ses plus petits Etats, la Grèce, et qui pourrait bien se déliter encore plus dans le drame actuel des réfugiés. Un drame qui met en lumière le manque de vision, la nullité, l’irresponsabilité de ceux qui gouvernent les 28 Etats de l’UE.

Européens de cette Europe économique néoclassique qui risque de montrer très vite le vrai visage de ceux qui la gouvernent, les puissances de l’argent, des transnationales, des corrupteurs et des corrompus. Le visage de ceux qui, comme à chaque fois que ceux d’en bas ont eu tendance à se révolter contre ceux d’en haut, ont mis en place les outils du dénigrement, (Corbyn le dinosaure), qui précédent ceux de la violence, ultime possibilité pour eux de mettre à bas des idées de progrès et d’indépendance susceptibles de réduire leur pouvoir. Ce pouvoir qui a toujours agi de la pire façon, depuis plus de deux siècles, dans ces périodes ou la souffrance tentait d’ouvrir le chemin des réformes radicales. (Lire à ce sujet les ouvrages de Jacques R Pauwels, (Voir*), de François Gayraud,  Antoine Peillon, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, etc.).

Bergounioux a pris pour titre de sa tribune dans le monde daté du 15 septembre: « Le risque est grand pour le Labour de n'être plus un parti de gouvernement ». S’est-il jamais posé la question que se posent les électeurs, sur le risque que le PS fait prendre à la démocratie en  portant une politique qui ne semble pas être différente de celles menées jusque-là. Le Bergounioux de 2009 se la posait pourtant. Du présent au passé pour trouver le futur, c’est la fin des certitudes pour un historien. La flèche du temps est difficile a écrit Ilya Prigogine. 

*  http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-pierre-anselme/101114/1914-1918-les-vraies-raisons-de-la-boucherie

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