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Billet de blog 15 octobre 2015

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Une journée sans bien-pensants. On y voit plus clair.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Une journée sans débat hystérisé sur les réacs et les bien-pensants fait soudain émaner de la lecture de nos quotidiens comme une bouffée d’air frais. Ils reviennent à ce pour quoi ils sont faits, l’information. Et soudain, l’évidence éclate. Cette orchestration d’une impossibilité à débattre, sauf sur le mode années 50, n’est-elle mise en scène que pour nous  distraire du seul problème important, père de tous les autres, celui de la crise du capitalisme, dont pas un pouvoir n’ignore qu’il est en phase finale.

Preuve en est la lecture du Monde daté du 14 octobre. Y apparait à chaque page les signes de la fin d’un cycle. De la fin des repères dans tous les milieux : de la banque, de l’économie, de l’industrie, de la politique.

Capitalisme sans morale, sans honneur, sans utilité sociale.

On y lit que le tribunal de Southwark, à Londres, est celui « où échouent les courtiers véreux » depuis la crise de 2008, ceux qui « doivent répondre à l’accusation d’avoir manipulé le Libor, ce taux d’intérêt de référence essentiel au bon fonctionnement du marché », dont l’entente impliquait 10 banques  et maisons de courtage. On avait déjà lu « Le livre noir des banques » de Attac et Basta, ou « L’oligopole bancaire » de François Morin. Mais on est heureux que la presse mette le projecteur sur l’immoralité criminelle qui prévaut dans ces grandes banques oligopolistiques. La crise de 2008 « a servi de révélateur aux pratiques de voyous qui régnaient sur certains marchés » nous dit depuis Londres Eric Albert. Et il est gentil. Le livre de François Morin va bien plus loin, et on en ressort persuadé que Hollande à failli en ne séparant pas banques de dépôts et banques d’affaires. Comme a failli Sapin, en s’opposant à une taxe élargie sur les transactions financières, première source de spéculation. Voir : http://www.mediapart.fr/journal/international/131015/bercy-contre-lelargissement-de-la-taxe-sur-les-transactions-financieres

Alors, ce capitalisme sans morale, va-t-il être porté ou combattu par un candidat aux prochaines présidentielles ?

On y lit que le repli des transnationales sur les pays développés « est favorisé par le niveau historiquement bas des taux d’intérêt » favorables à « la consolidation du système productif par une fuite en avant des fusions acquisitions » pour, nous disent Laurent Faibis et Olivier Passet, de Xerfi, « accorder la priorité à la domination des marchés plutôt qu’au renforcement de l’investissement productif », en s’accommodant « de la faiblesse des débouchés et des pressions déflationnistes, voire de les renforcer ». Une lecture un peu différente de celle du Medef, et par voie de conséquences de celle de Valls, voire celle de Hollande. Les deux pourraient se préoccuper du point sur lequel appuient les auteurs de la tribune : « Les groupes américains mais aussi chinois, en pleines désillusion sur les promesses des émergeants, trouvent, dans la zone euro, des entreprises relativement bon marché ». Ou encore de méditer sur cette remarque : « Se profile un grand mouvement de relève de l’homme par la machine, qui pourrait prendre les allures d’un tsunami dévastateur sur l’emploi ». Hollande, ça te gratouille ou ça te chatouille ?

Alors, ce capitalisme sans utilité sociale, va-t-il être porté ou combattu par un candidat aux prochaines présidentielles ?

On y lit également un éclairage de Armand Hatchuel, professeur à Mines Paris Tech, dans une tribune : « L’honneur perdu des ingénieurs de Volkswagen ». Dans laquelle il formalise ce qui a été mis directement en cause dans l’affaire du constructeur automobile allemand : « L’identité même de la profession d’ingénieur ». Précisant : « Où serait l’industrie si, depuis deux siècles, des générations d’ingénieurs n’avaient pas conquis la confiance collective par leurs efforts de scientificité, de vérification et de contrôle ». Et de nous expliquer que l’affaire allemande est due à un double processus, « une exacerbation irraisonnée des objectifs de coûts et de rentabilité, induits par la fragmentation des équipes et leur isolement ».

Comment ne pas approuver l’analyse. Mais c’est ainsi que le capitalisme moderne, l’économie moderne, l’industrie moderne, fonctionnent. Priorité à l’actionnaire, au court terme, et peu importe le chemin qu’il faut prendre. «  La performance industrielle n’est qu’une affaire d’incitation financière » nous dit Hatchuel.

Volkswagen ou l’honneur perdu de l’industrie. Mais qui doutait encore ? Le scandale du lobbying n’est il pas dénoncé à longueur d’années. Et ça peut continuer longtemps ?

Non, apprend on dans une autre page du Monde. « Dix neuf grands investisseurs, qui gèrent un portefeuille total de 850 milliards d’euros » viennent d’écrire à neuf constructeurs d’automobiles » pour savoir « comment chacun d’entre eux se prépare aux nouvelles régulations d’émissions de gaz à effet de serre eu Europe et aux USA ».

S’appuyant sur le travail  mené par l’association Influence Map sur le lobbying des grandes entreprises, on apprend de la bouche de ces investisseurs que Volkswagen a dépensé à Bruxelles 3,3 millions d’euros en lobbying avec dix huit employés à temps plein, quand Renault n’a dépensé que 400 000 euros avec, dans la capitale européenne, deux employés seulement. Information transmise encore par Eric Albert depuis Londres.

Alors, ce capitalisme dans lequel les ingénieurs ont perdu leur honneur, va-t-il être porté ou combattu par un candidat aux prochaines présidentielles ?

Mais il n’y a pas que les ingénieurs qui ont perdu leur honneur dans ce capitalisme en fin de course, qui y ont perdu leurs repères traditionnels, qui ont perdu pied. Il y a aussi trop d’hommes politiques, qui, tel le Président de la Commission européenne, ou encore Wolfgang Schauble, méritent l’opprobre publique. Ils sont d’ailleurs dénoncés, dans un article des correspondantes du Monde à Bruxelles, Sandrine Morel et Cécile Ducourtieux, de pratiquer « deux poids deux mesures concernant le pacte de stabilité et de croissance ». « D’être souple avec le budget 2016 espagnol, après avoir été  intransigeant avec la Grèce ». Ajoutant : « Bruxelles a-t-elle voulu préserver un membre de la grande famille des conservateurs européens ? ».

Mais Juncker, l’homme des milliers d’entreprises échappant à l’impôt grâce à des accords avec le Luxembourg, a-t-il encore un honneur à perdre ? Et peut on considérer aujourd’hui que les tenants de l’économie néoclassique défendent celle-ci dans l’honneur ?

Alors, ce capitalisme dans lequel les politiques ont perdu leur honneur, va-t-il être porté ou combattu par un candidat aux prochaines présidentielles ?

Nous en doutons. Et chaque page du Monde nous confirme dans nos convictions.

On y voit « Emmanuelle Cosse s’en prendre au référendum du PS ». S’adressant à Cambadélis, l’homme aux diplômes invérifiables, « elle critique un « chantage au rassemblement » qui « crée la division et augmente les chances de victoire de la droite et de l’extrême droite au second tour ». Mais n’est ce pas ce que d’autres reprochent à certains intellectuels jugés trop médiatisés ? Esprit d’époque.

On apprend encore que l’Union européenne « reste divisée sur l’intervention en Syrie » ; que « Merkel « pour réduire les tensions avec la CSU bavaroise, veut des zones de transit aux frontières » ; que « le réacteur suisse de Beznau est percé de mille trous » ; « que les résumés du GIEC pour les décideurs se distinguent par leur faible lisibilité » ; « que les policiers sont dans la rue » et que « c’est bien l’Elysée qui est dans le viseur des syndicats. Une rencontre avec Hollande avait été promise, après les attentats des 7 et 9 janvier, sans suite » ; « Que les communes réduisent leurs investissements », et que « la Cour des comptes s’inquiète de l’accélération de la baisse des concours de l’Etat » ; enfin « que l’Insee bouscule les idées reçues sur l’immigration », et que leur dernière étude « permet de comprendre le faible solde migratoire de l’ensemble de la population en 2013 (+ 33 000 personnes) contre 120 000 en 2006. Tout va très bien, Madame la Marquise.

Un candidat de la société civile en 2017 ?

Mais qui prendra en compte toutes ces informations au moment des présidentielles de 2017 ? On nous parlera sécurité, identité, immigration, réfugiés, ou encore des « réacs » et des « bien-pensants, oubliant que « le véritable débat national qu’il faudrait mener » est  celui « du respect des personnes et des idées » comme l’écrit Jacques Julliard dans Marianne.

Alors, après ce retour en un seul numéro du monde sur le réel de l’actualité, qui pense encore, qui ose penser, qu’on trouvera en 2017 un seul candidat crédible envisageant sérieusement de changer le système, nous proposant autre chose que la prolongation du même dans des promesses de changement ? Qui osera sortir le pays de la domination des banques, de la finance, du Medef, du CAC 40, des transnationales ? Nous libérer des entreprises extractivistes ? Selon l’expression de Nicolas Sersiron, dans son ouvrage « Dette et extractivisme ». (Editions Utopia). Un extractivisme qui est la dépossession des ressources au profit des plus puissants.

Et donc, il nous faut dès aujourd’hui chercher ailleurs. Trouver un candidat susceptible de réunir autour de lui les intellectuels silencieux, les économistes non orthodoxes. Un candidat autour duquel se regrouperait spontanément tout ce que compte la société civile d’associations, de mouvements, d’ONG, de citoyens, de jeunesse, déjà engagés dans ces changements locaux dont on parle si peu, mais que la grande journée d’Alternatiba a permis de montrer partout en France. Un candidat qui « penserait global », qui nous ouvrirait  « la voie », qui « viserait à dépasser l’alternative croissance-décroissance », un candidat capable « d’élaborer une voie nouvelle avec une politique de l’humanité et une politique de la civilisation ». Toutes expressions empruntées à Edgar Morin.

Car pouvons nous continuer ainsi de nous perdre, entrainés de plus en plus bas par ce capitalisme délirant, par ces capitalistes délirants ? Par leur complices de gouvernement ? Qui aura construit des propositions et des engagements sur la conscience « Que le vaisseau spatial Terre, propulsé par quatre moteurs incontrôlés – science, technique, économie, profit – est emporté vers de très probable catastrophes en chaine – le probable ne signifiant pas l’inéluctable et n’excluant pas la possibilité d’un changement de cap ».

Ce candidat ne peut venir que de la société civile.

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