Mediapart a donné la parole hier, comme invité, à un contradicteur de François de Rugy, qui avait annoncé peu avant son intention de déposer une proposition de loi visant à rendre le vote obligatoire.
Le député écologiste explique que la République, « c’est des droits et des devoirs ». Au nombre des devoirs il met le vote, « engagement civique ». Et rendre le vote obligatoire est à ses yeux possible depuis que le vote blanc a été reconnu comme expression possible.
Ouvrir le débat, C’était l’occasion de poser la question primordiale de l’éloignement des citoyens de la politique au moment de voter. De chercher à comprendre pourquoi ils se saisissent de moins en moins de cette possibilité que leur offre la constitution de contrôler gouvernements et hommes politiques. D’analyser bien entendu derrière cela le divorce devenu abyssal entre une part importante de la population et ses représentants.
Sauf que le contradicteur invité n’a dépassé qu’en de rare moments le dénigrement pur et simple d’une idée qui méritait davantage.
Son argumentation est des plus courtes. D’ailleurs, ses premiers mots en forme de petite blague à la sauce Hollandaise sur le jogging, quand bien même ce serait le grand constitutionaliste Guy Carcassonne qui l’aurait prononcée, ne méritais pas un sourire. « Si j’apprécie la liberté de faire du jogging le dimanche matin, je chérie plus encore celle qui consiste à ne pas l’exercer »*.
N’avoir rien dit de l’expérience d’une quinzaine de pays dans le monde où ce vote obligatoire est pratiqué, est-ce avoir cherché à élever le débat ? Peut on vraiment imaginer convaincre dans cette ignorance ?
Et donc, la contradiction ne peut qu’être des plus rétrécies. Du genre : Cette proposition est une « Fausse bonne idée par excellence, elle vise le symptôme sans s’attaquer au mal au risque d’aggraver sérieusement celui-ci ».
La bonne idée étant peut être de ne viser ni le symptôme ni le mal ? Surtout que rien ne bouge !
Et puisque l’objectif n’est pas de convoquer des arguments mais de mettre au tapis De Rugy, les arguments disparaissent sous le procédé. On utilise celui qui consiste à dire que son chien a la rage pour le noyer. On feint de mettre entre les mains du défenseur du vote obligatoire une « baguette législative », supposée « magique ». On lui prête la volonté de vouloir « cacher ces chiffres que je ne saurais voir ! », de transformer les abstentionnistes en « citoyens responsables », et qu’ainsi « tout irait alors pour le mieux dans le meilleur des mondes démocratiques ».
Et on enfile argument bateau : « La fièvre cesserait-elle de grimper pour cette seule raison que le thermomètre a été cassé ? », sur argument fallacieux : « l’abstention est un véritable mode d’expression politique qui est parfaitement légitime dans une société démocratique ».
J’aurais eu tendance à croire que si on ne votait pas, c’était par dégout d’un jeu soi disant démocratique, par rejet d’hommes qui se sont déconsidérés, par refus d’un système dévoyé. J’ai du sortir un thermomètre cassé. Mille excuses.
Pas un argument n’est étayé dans ce papier par la moindre approche sociologique, la moindre référence à une étude du sujet. On enfile des perles.
Pour conclure qu’en cas de vote obligatoire : « notre classe politique n’aurait plus à faire l’effort collectif d’insuffler l’envie ( à travers la qualité des débats!) non pas seulement d’aller voter pour eux, mais tout simplement de participer ».
Lorsqu’on connait l’opinion des français sur les hommes politiques, on se demande à quelle « qualité des débats » il est fait référence ? A quelle « classe politique » il est fait allusion. Des enquêtes régulières nous informent de ce que pensent les français des hommes politiques. L’auteur les passe par pertes et profits.
Qui a tenu la plume de ce texte, puits d’ignorance ou puits de mauvaise foi ?
Je n’ose croire qu’il soit docteur en droit et enseignant à Sciences-Po. Si, il l’est. Son nom, Vito Marinese.
Ne pourrait on penser que le vote obligatoire, contrairement à ce que dit Marinese, serait une façon de rendre leur dignité perdue, et aux citoyens, et aux hommes politiques. De contraindre le politique a plus de rigueur, pour ne pas dire d’honnêteté, le vote blanc devenant une sanction plus forte que l’abstention, dont il n’a rien à faire aujourd’hui. Ce qui par voie de conséquence serait redonner de la considération à un électorat qui se sent présentement méprisé, tenu pour peu de chose, en un mot indigne.
Au lieu de quoi celui qui professe on ne sait quoi à notre jeunesse, (sur la foi de cet article dans Mediapart), se permet d’écrire : « Source d’inégalité, l’obligation de voter supposerait en outre d’instaurer une sanction sous la forme d’une amende, ce qui aboutirait à établir deux classes de citoyens : ceux qui pourraient s’offrir le luxe de l’abstention et ceux qui, faute d’avoir 35 euros à sacrifier sur l’autel de leurs convictions, seraient contraints de se rendre aux urnes ».
Ce n’est pas à Sciences-Po qu’il enseigne, c’est dans un collège de jésuites. Car on est là devant un merveilleux renversement de sens. Rendre le vote obligatoire serait créer de l’inégalité. On devrait préférer « l' égalité dans l’abstention », nouveau concept démocratique. Car pour notre homme: « Victime directe d’une telle solution, la démocratie déjà mal-aimée se verrait associer à la contrainte, à l’obligation et à la punition ».
On aurait pu imaginer qu’un professeur de droit aurait apprécié que mettre le politique et le citoyen dans une dynamique de reconnaissance réciproque permettant de reconstruire une altérité depuis longtemps perdue, aurait reconnu que, en quelque sorte, c’était redonner son sérieux au législateur et du sens à son travail, dont il a à rendre compte en fin de législature. Non, il n’en est rien. Comme son titre l’annonce en début de page, « le vote obligatoire » est « un danger démocratique ». Rien de moins.
Encore un débat de perdu.
Ne dites pas à la mère de Vito Marinese qu’il est professeur de jogging, elle croit qu’il est professeur de droit.