Non, le ministère ne pratique pas l’évasion, il la combat. Mieux aujourd’hui qu’hier, et, il faut l’espérer, mieux demain qu’aujourd’hui. Reste qu’on se demande pourquoi ce qui était impossible hier est devenu possible. Et on espère que ce qui est impossible aujourd’hui ne le sera plus demain.
En tout cas, le ministère n’évite pas d’en parler, comme récemment, dans le cadre des « Rencontres économiques » organisées par l’IGPDE, son Institution de la gestion publique.
Etat. Peut mieux faire…
Mais le Conseil Contitutionnel défend le secret quand Bruxelles souhaite le lever.
Ironie de la conjoncture, ces rencontres se sont tenues au moment où sortait le rapport sur la présence des banques françaises dans les paradis fiscaux, publié par CCFD-Terre solidaire, Oxfam et le Secours catholique-Caritas, et quelques jours après que le ministre des finances Michel Sapin ait annoncé 21 milliards d’euros d’amendes réclamés et 12 milliards récupérés en 2015. Cela a permis de récolter 2,65 milliards d’euros de recettes fiscales, dont 900 millions d’euros d’amendes et de pénalités. Mystère de l’interprétation des chiffres. Ce qui, seconde ironie, ou franc éclat de rire, a fait dire au quotidien suisse Le Temps, que : « Le quinquennat de François Hollande est décidément toujours placé sous le signe de la lutte contre cet « adversaire » qu’est la finance ». Qu’a-t-on appris à ces rencontres ?
Olivier Sivieude, Chef du service du Contrôle fiscal, s’est tout d’abord attaché à nous décrire le contexte. Depuis 2008 et l’entrée dans la crise, les États appelés à la rescousse pour soutenir l’activité économique ont pris conscience de l’ampleur des recettes fiscales manquantes du fait de stratégies plus ou moins légales de contournement de l’impôt. Le G20 et l’OCDE se sont attaqués au problème et ont lancé des dispositions sans précèdent, comme l’accord entre 62 États pour lutter contre l’évasion fiscale pratiquée par de grandes multinationales. Pour autant, rajoute Monsieur Sivieude, beaucoup reste à faire pour permettre aux pouvoirs publics de garantir dans chaque pays l’efficacité du système de prélèvements et l’égalité devant l’impôt. Le phénomène est complexe, car les stratégies mises en œuvre par les agents pour réduire leur imposition peuvent exploiter des moyens légaux (optimisation) ou illégaux (fraude), et comporter une dimension internationale en domiciliant des revenus ou patrimoines là où ils sont moins prélevés (évasion).
Doit-on s’attendre à ce que les banques françaises soient amenées à rendre des comptes, suite aux révélations du 16 mars ? On peut en douter, car, d’une part, la mode au sommet de l’Etat n’’est pas à la lutte contre l’évasion fiscale, comme le Conseil Constitutionnel en a donné récemment l’illustration. Voir l’article de Dan Israël dans Mediapart* qui nous révèle que : « dans une décision de décembre passée inaperçue, le Conseil fait savoir qu’il estimait que « les informations transmises (par les entreprises dans leur Reporting) ne peuvent être rendues publiques, et qu’il voyait donc d’un mauvais œil le reporting public pays par pays », concluant : « Les ONG françaises n’auront peut-être encore durant de longues années que les données des banques à se mettre sous la dent ».
Ce qui n’empêche pas Olivier Sivieude de montrer un optimisme de façade. Pour lui, tout va du mieux possible, et lorsqu’on aborde la question du fameux « Verrou de Bercy », il regarde ses papiers sans rien dire. Devoir de réserve oblige. Ce qui montre bien qu’il faudrait également abroger, outre le secret fiscal, cette fameuse réserve qui rend muet tout fonctionnaire.
Les magistrats sont entravés au quotidien.
Il est vrai que des progrès ont été effectués sur les échanges d’information entre pays. Même la Suisse serait devenue coopérante et n’aurait plus de secret. Enfin presque, tempère Charles Duchaine, magistrat et directeur général de l’AGRASC (Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués). Car la Suisse et, de façon bien plus scandaleuse, le Luxembourg, peu coopératif, savent trainer des pieds. Arrivé à un certain niveau, ils n’hésitent pas à faire barrage à la transparence.
Longtemps magistrat à Marseille (c’est lui qui a mis en examen Jean-Noël Guérini), et à Monaco, un temps protégé par des officiers de sécurité, notamment par celui qui a perdu la vie en janvier 2015 en protégeant Charb à Charlie Hebdo, Charles Duchaine ne pratique pas la langue de bois.
Il nous fait part de son scepticisme sur la capacité à coopérer de Monaco, « dont les avoirs bancaires sont aussi importants que ceux de la France » ; constate qu’on s’attaque davantage à la fraude des petites entreprises qu’à celle des grandes. « La fraude fiscale, c’est celle des grandes entreprises, dont le but est de trouver les moyens de corrompre les Etats et les hommes politiques », dit-il. En Afrique, par exemple. Où sont les grandes entreprises françaises, croit-on deviner. Il regrette que l’article 40 qui stipule que : « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs », soit si peu appliqué. Et très peu au ministère des finances pourrait-on rajouter. Pour conclure ses propos on retiendra ceci : « Toutes les nouveautés, c’est bien. Faut-il encore que l’action publique soit mise en œuvre ».
Banques françaises financées par le shadow banking américains.
Avant lui était intervenu Christian Chavagneux, économiste et éditorialiste à Alternatives Economiques et AlterPlus. Auteur de plusieurs livres sur l’évasion fiscale, il est connu de ceux qui s’intéressent à cette question et à celle des paradis fiscaux.
D’entrée de jeu, il nous donne l’ambiance de son intervention grâce à une diapo : « Les paradis fiscaux ne connaissent pas la crise ».
Explication indirecte : « 26 000 milliards de dollars sont détenus par 0,14% de la population mondiale ». Pas que par des gros, nous dit il, mais aussi par des patrons de PME, des cadres supérieurs, des petits commerçants, des professions libérales, des consultants et même par des hommes d’église.
Autre illustration. La part des stocks d’investissement direct à l’étranger, (IDE), des multinationales américaines est de 15,3% aux Pays Bas, 12,9 au Royaume-Uni, 9,5 au Luxembourg, 6,3 en Irlande, 5,8 aux Caraïbes britanniques, 5,6 aux Bermudes, 3,7 à Singapour et 3,1 en Suisse. Comprenez : tous des lieux par où passent les possibilités d’organiser l’évasion fiscale.
Que le Luxembourg se révèle une puissance économique insoupçonnée est aussi en soi un problème. En 2010, il affiche des IDE entrants de 1 451 milliards d’euros, et d’IDE sortants de 1496 milliards, ce qui le place en 3è position derrière les Pays bas et les Etats-Unis. Seuls 8% des investissements à l’étranger du Luxembourg et 5% des investissements reçus correspondent à une activité économique réelle, précise Chavagneux. Vous avez dit Juncker ?
Quant aux banques dans les paradis fiscaux, je vous renvoie à la lecture de Mediapart, ou à l’article de Chavagneux sur Alteréco**. Des banques qui dans les paradis fiscaux sont au cœur de l’instabilité financière internationale et sont oubliées pourtant par le G20. Pire encore, Chavagneux nous révèle que les banques françaises sont financées par le Shadow banking américain passant par les iles Caïmans. Un risque énorme en cas de crise.
Les contributions des intervenants à ces Rencontres du ministère de l’économie devaient permettre de dresser un état des lieux en France des pratiques - de l’optimisation à la fraude fiscale - et des dispositions juridiques, ainsi que des actions menées au niveau international.
En fait, on n’attend plus que les réactions de la puissance publique sur tout ce qui a été soulevé. Et on aimerait voir le gouvernement s’attaquer à ce genre de problèmes – évasion fiscale, fraude, optimisation, pratiques abusives des grandes entreprises - plutôt que de déstabiliser la nation avec des histoires de lois sécuritaires qui ne sécurisent rien, ou de code du travail, dont la mise à mal n’est qu’une manière de satisfaire le Medef, sans améliorer l’emploi, tout en aggravant la soumission à laquelle sont contraints les salariés.
* https://www.mediapart.fr/journal/economie/160316/paradis-fiscaux-le-jackpot-des-banques-francaises