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Billet de blog 19 novembre 2015

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Art visionnaire. La galerie Michèle Broutta ouvre ses réserves.

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Tout comme la philosophie, l’art est un questionnement du monde tout aussi infiniment inépuisable. Et tout spécialement peut être cette branche de l’art que sont les arts plastiques. Et tout particulièrement au sein des arts plastiques, la gravure. C’est la réflexion que je me faisais hier soir en quittant la galerie Michèle Broutta, qui vient d’ouvrir, en un accrochage de toute beauté, ses réserves.

Michèle Broutta défend depuis 45 ans la gravure française, et en particulier la gravure dite « visionnaire », dans un lieu un peu magique et retiré des grands courants, sis au 31 rue des Bergers à Paris 15è.

Je pensais aussi que cette exposition aurait pu être préfacée par Max Milner dont l’ouvrage « L’envers du visible » résonne en correspondance avec cet art visionnaire dont Gerd Lindner a écrit qu’il était, « tournant le dos à tout regard simpliste et superficiel porté sur la réalité, une conception de l’art figurative au sens le plus large du terme».

Avec des ancêtres lointains connus de tous, tels Hieronymus Bosch, William Blake ou Gustave Moreau, l’art visionnaire moderne, s’il prend sa source dans le surréalisme, s’en différencie par sa dimension existentielle qu’on pourrait relier à ce qu’a écrit Milner des images : « non pas ce que je voit, mais ce que mon œil construit, découpe dans le réel ». Rajoutant une question plus radicale, bien en accord aves la gravure visionnaire : « Que devient le regard quand la lumière s’absente ? Que voit-on dans l’ombre ? De quelle manière, avec quels résultats matériels ? ».

Noir et blanc, lumière et ombre, surface et profondeur, dehors et dedans, visibilité et invisibilité, la gravure visionnaire est tout cela à la fois. C’est pourquoi ceux qui l’ont regardée une seule fois ne peuvent s’empêcher d’y revenir, et deviennent très vite inconditionnels amateurs et souvent  avisés collectionneurs.

D’autant plus que ces artistes et graveurs, dont certains pratiquent aussi la peinture, ont souvent illustré des éditions rares de livres d’auteurs anciens ou contemporains. Ainsi de François Lunven, mort trop tôt, à trente ans, qui illustra le roman à scandale de Bernard Noël, « Le château de Cène », ou celui de Julien Gracq, « Au château d’Argol ».  

On croise, en déambulant devant les murs de la galerie Michèle Broutta, des artistes remarquables, comme Jean-Pierre Velly, ancien résident de la Villa Médicis à Rome, dont Pierre Higonnet a dit de son œuvre qu’elle « oscille entre l’ombre et la lumière, entre le coucher et le lever du soleil ». Rappelant ces paroles de Velly qui montrent à quel point les artistes questionnent l’homme et le monde : « L’homme n’est peut être pas, comme on l’a toujours cru, le centre de la création, le summum… le maitre du monde », dénonçant « cette suprématie de l’homme sur la nature, sur les objets, sur les choses ». Une pensée que partagent les plus grands anthropologues contemporains comme Descola ou Ingold.

Ou encore Yves Doaré, dont les gravures ont inspiré au grand écrivain Marcel Moreau, lui-même auteur d’une œuvre considérable, ces mots, qui résonnent dans notre actualité sanglante comme prémonitoires: « Ce lyrisme monstrueux enchevêtre fidèlement la mémoire des dislocations antiques et la divination des ruines pour demain ».

Car La gravure est souvent conçue « dans un spasme de douleur », pour reprendre les paroles célèbres d’Higelin. C’est la technique qui le veut. Doaré le dit lui même, c’est « dans un cuivre bouleversé », que nait la gravure, et il rajoute, évoquant la manière noire, qui est une des techniques qu'il utilise parfois, que son incomparable velouté prend son origine « dans un cuivre haché par des milliers de morsures d’un berceau d’acier ».

C’est bien pourquoi la gravure ne s’adresse pas à ceux qui recherchent dans l’art l’image donnée. Elle est pour ceux qui cherchent dans la fréquentation des œuvres la force de l’étonnement qui n’agit que lorsqu’ont été levées dans le processus de création les barrières de l’espace et du temps.

C’est pourquoi tout graveur est un être singulier, et c’est cette singularité là qui fait que tout « amateur d’art lambda », oserai-je dire, se tient souvent à distance de l’œuvre gravée.  Il n’y retrouve pas ce « sensible » que le passé de leur culture leur a légué et qui fait le succès de tant de rétrospectives.

Tous les artistes exposés sur les murs de la galerie Michèle Broutta, mais aussi les nombreux autres qu’on trouve dans les cartons, je pense à mon ami Georges Rubel, dont les gravures révèlent sous la loupe parfois, il ne s’en cache pas, « des bonheurs ou des malheurs d’ordre intime », vous ouvrent les portes d’un monde qui mérite d’être exploré.

Ces graveurs, qui sont considérés nous dit Maxime Préaud, « comme un groupe informel, d’une sorte d’école aléatoire », qu’il préfèrerait  voir qualifier de « voyant » plutôt que « visionnaire », mais pourquoi pas, je suis certain qu’ils vous accompagneront bien au delà du moment de votre visite.

Galerie Michèle Broutta, 31 rue des bergers, 75015, Paris.

Ouvert du mardi au vendredi de 11h à 19h.

Le samedi sur rendez-vous.

Artistes exposés : Batbebat, Béalu, Dali, Léonor Fini, Fuchs, Fred Deux

Doaré, Doméla, Fossier, Grall, Hernandez, Houtin

Leppien, Moretti, Muron, Penalba, Cécile Reims

Seuphor, Trémois, Trignac, Watanabé

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