Après la « manif pour tous », Atlantico nous offre le « Cameron pour tous ». Le Premier ministre anglais n’a-t-il pas dénoncé récemment les « non-croyants qui sous-estiment le rôle de la religion nécessaire pour élaborer un code moral ». La base d’une nouvelle Bible religieuse et libérale, qui a déjà deux moines soldats en France, interviewés par le magazine de l’internet. Michel Maffesoli et Christophe Geffroy.
Mais la parole de David Cameron ne peut être écoutée qu’avec un grand recul. Car toute parole politique émanant d’un chef de parti n’est qu’un procédé de pouvoir et ne ressort jamais à la morale, comme l’a écrit au début des années 40 la philosophe Simone Weil.
Et, s’il n’est pas question de retirer au christianisme l’idée de dignité, il faut bien voir qu’on parle alors de la dignité de chaque être humain, et que celle ci peut être appelée à remettre en cause toute structure défaillante. Lire le commentaire de Chantal Delsol, philosophe pourtant pas toujours facile à suivre, sur les derniers écrits de Simone Weil, morte à Londres, en 1943 : « Rien de construit – institution, patrie, doctrine ou théorie -, ne doit être sacralisé ; tout doit pouvoir être remis en cause à n’importe quel moment, au regard de la hauteur de la conscience ».
Les paroles du premier ministre anglais ne sont tout simplement pas audibles, car leur but est d’instrumentaliser la religion. Méthode suspecte.
Ceci ne se pratique pas qu’en Angleterre, mais également chez nous. Voir l’entretien accordé au Monde, paru la veille de pâques, par Mgr Pontier, président de la Conférence des évêques. Il y affirme, comme en réponse à Davis Cameron, ceci : « L'autorité ecclésiale et les évêques ne sont plus considérés comme une source de réflexion, de dialogue et d'écoute, mais comme une force que l'on requiert pour en faire un chef de clan. Dans le même temps, nous devons nous-mêmes prendre garde à ne pas instrumentaliser et installer l'Eglise dans un rapport de forces ».
Il est donc étonnant (ou pas) de voir les propos de Cameron repris et commentés sur le site Atlantico par le sociologue Maffesoli et le journaliste Christophe Geffroy. C’est donner aux propos de Cameron une importance qu’ils n’ont pas, ou se chercher un mentor pour dévoiler sa propre pensée en besoin de référents.
Ils vont d’ailleurs chercher l’autorité de Chantal Delsol, éditorialiste au Figaro et à Valeurs actuelles, comme autre point d’appui. La famille libérale rame dans le même bateau des idées toutes faites depuis longtemps, celles qui en restent à opposer libéralisme et progressisme, celles pour qui la société se tient par l’autorité et la famille, assise sur des préjugés dont se méfie même Mgr Pontier, pourtant attaché aux mêmes notions. Mais pour lui, elles se situent sur les valeurs, alors que chez nos libéraux elles sont avant des arguments de lutte politique. Sinon, pourquoi aller chercher David Cameron sur la question de l’héritage judéo-chrétien ?
Mgr Pontier n’a donc pas tort de dire : « Il devient difficile de faire prendre du recul aux chrétiens, de les amener à se confronter au dialogue avec d'autres, de leur faire accepter que l'on n'a pas toute la vérité, de leur faire comprendre que, par soi-même, on n'atteint pas la pleine compréhension de toutes choses ».
Alors, nous voici embarqués par Geffroy et Maffesoli sur le radeau de la religion comme source de l’idée de dignité. Mais l’idée de dignité humaine ne doit elle qu’au seul christianisme ?
Et ceux qui le prétendent ne font ils rien d’autre que pratiquer un ethnocentrisme qui les rassure ? Car prétendre « qu’en rejetant le christianisme » « on ne sait plus ce qui fonde la dignité», n’est ce pas tenter d’exercer sur la société la pression d’une pensée qui se veut supérieure, interdire la liberté de l’esprit en dehors du dogme religieux, supposer qu'aucune autre religion ni culture n'est capable de vivre la dignité ?
Il est merveilleux de lire sous la plume de CH. Geffroy ceci : « l’égalité fondamentale des hommes devant Dieu postulée par le christianisme a permis à l’homme de s’émanciper des contraintes du groupe et a donc permis les conditions de la liberté individuelle qui est le terreau indispensable de la démocratie ». Cela vous donne l’envie de lui faire avaler les 35 volumes de l’encyclopédie de Diderot. Les deux premiers sutout, un moment interdits.
Quant à Maffesoli c’est le pompon ! D’entrée de jeu il nous invite comme témoin le président Sarkozy, dont tout un chacun connaît la haute culture, au prétexte du fameux discours de Latran. Souvenez vous. Le curé contre l’instituteur.
Pour nous entrainer ensuite vers une série de concepts délivrés à la mitraillette, celui de « l’économie du salut » qui « a été le fondement du marxisme », celui de « l’écosophie », de « la réduction à l’un », de « la tribu », pour en arriver à ceci : « Il est clair qu’une partie de ce qu’actuellement on appelle “crise” est avant tout une crise spirituelle ou plutôt la recherche dans la société actuelle de nouvelles formes de sacré ». Malraux est ressuscité, alléluia !
D’ailleurs nous dit Geffroy : « l’époque actuelle voit un réveil du christianisme dans nos vieux pays européens », et « beaucoup attendent de l’Eglise le message qui est le sien, précisément parce qu’il est exigeant mais non irréalisable, alors que nous avons tout lâché et que cela ne génère que tristesse et malheur ».
N’est il pas étonnant qu’on en soit encore à tenter de nous rendre subordonnés à des prêches de protection religieuse, à des patrimoines dévalorisés qu’on voudrait remettre à la mode, à des hérédités déjà bien mises à mal par le délitement de ses filiations.
Alors, braves gens, espérez ! Demain, la politique de la religion vous guidera hors de la crise. C’est Cameron, Sarkozy, Geoffroy et Maffesoli, qui vous chantent la messe.