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Billet de blog 20 octobre 2015

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Castagne entre intellectuels. Mediapart s’égare un peu.

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Là où on aimerait que Mediapart intervienne sans à priori dans une polémique dont la construction artificielle ne suffit pas à masquer les partis pris, on est surpris de tomber sur un long papier de Christian Salmon* qui, y participant de grand cœur, va jusqu’à condamner dans sa conclusion le meeting qui aura lieu ce soir à la Mutualité. Un meeting organisé par Marianne qui a pour but de sortir de cette triste impasse, en invitant sur le thème : Peut on débattre en France ?

Au contenu de l’article de Salmon on comprend que le débat n’aura pas lieu avec lui, car il nous embarque dans un soliloque aux allures ‘’années cinquante’’ caractérisées par ces affrontements du paradis contre l’enfer, dans lesquels se sont illustrés les intellectuels de cette époque. Lire Michael Winock, ou Ingrid Galster, entre autres, à ce sujet. Mais le débat est il possible à Mediapart ?

Mediapart, dont les combats sont si souvent salutaires contre les pouvoirs aveugles, de l’Europe, de l’argent, des transnationales, aurait pu chercher à dégager de la polémique en cours quelque lumière plutôt que de raccourcir la pensée à un dualisme primaire d’un autre âge. A l’heure on le débat nature et culture montre en anthropologie ce que peut donner une science qui se questionne, on aurait pensé que Mediapart aurait trouvé plus que ce que Salmon nous donne, et encouragé, et les philosophes, et les intellectuels, et les journalistes, à se remettre en question.

Car, au final, il ne s’agit plus de défendre ou de condamner ceux qui sont ou non tombés dans la réac-académy, versus ceux du troupeau de la bienpensance, comme dit Libération, mais de savoir si nous laissons ce monde que nous chevauchons, aller ou non droit dans un mur qui se rapproche. L’intelligence humaine, ou ce qui en reste, est-elle capable de quitter son préau d’école à castagnes pour se consacrer à sauver ce qui est possible.

Sauf que Salmon tient plus à se faire plaisir en formulant des expressions tordues qu’à nous  expliquer pourquoi certains auraient tord et d’autres auraient raison.

Il y a donc pour lui « des intellectuels de souche », « Finkielkraut, Zemmour, Onfray… », (Admirez les points de suspension, porte ouverte à notre imagination. Sauf qu’il n’a pas osé dire Debray comme d’autres l’on fait), « rebelles de papier au service des pouvoirs ». Quels pouvoirs ? A nous de décider. Car le mot est facile. Mais pouvoir de gauche ? Pouvoir de droite ? Pouvoir de qui ?

« Avec eux, les médias sont devenus le lieu du blanchiment des pires préjugés racistes, le paradis fiscal où se recycle l’argent sale du commerce xénophobe », nous dit-il. Salmon, lui, recycle les formules, réécrit au goût du jour les excommunications anciennes. D’autres, dans d’autres medias, n’ont pas pris cette peine et parlent plus crument à l’aide des vielles formules staliniennes. Mais c’est du pareil au même.

Bon dans sa critique des médias, et leur façon de fonctionner, s’appuyant au passage sur Barthes, Salmon devient mauvais dans l’amalgame, une vielle recette des temps anciens, lorsqu’il juge approprié de piquer Nadine Morano sur la brochette. Laquelle (Morano) a du se sentir flattée de se retrouver sur le même banc de torture que nos philosophes apostrophés.

Le problème, lorsqu’on veut faire sérieux, c’est qu’on charge la barque, ce qui ne manque pas de couler celle de Christian Salmon. Qui accumule les effets du verbe : «  la vertu du catch » et le « ring du talk show », le « pétainisme remastérisé » et « la nouvelle philosophie », signe d’une mue d’où serait sorti « l’intellectuel médiatique », pour en arriver au final à « un monde nouveau qui est en train de naître et une fraction de l’intelligentsia française qui ne semble pas prête à l’accueillir ».

Oubliant au passage que son « intellectuel médiatique », « désorienté face à ces enjeux nouveaux », n’est peut être que le reflet verbalisé de la désorientation des citoyens face à ce fait culturel que jacques Julliard pointe dans Marianne : « La gauche morale, la gauche des droits de l’homme, à pris le pouvoir dans les élites et les médias, tandis que la droite populaire, celle de la décence ordinaire – la common decency d’Orwell -  s’est emparée du peuple. A la première l’opinion, à la seconde les élections, comme on le verra en décembre ». Il faut dire que Terra Nova avait laissé entendre que la classe ouvrière avait disparue du radar de la gauche et qu’il valait mieux se préoccuper d’autres catégories sociales. Comme dit Julliard, on voit le résultat dans les élections.

Mais Salmon trouve mieux de nous inventer un complot de ces intellectuels médiatiques. « Au-delà des rivalités éditoriales qui les opposent, les intellectuels médiatiques… savent à l’occasion se répartir le travail ». Une entente ? Un complot vous dis-je. Mieux encore, « Quand les uns inspirent la politique étrangère de la France, les autres en gèrent les retombées sur la politique intérieure, la crise migratoire, les réfugiés… Les uns au Quai d’Orsay, les autres place Beauvau ». Salmon ne doit pas être privé de moquette. Et ça doit être de la bonne !

Dans ce voyage, tout au long de cet article, on rencontre du beau monde. Face « aux faiseurs de guerre », un pluriel qui étonne, Salmon visant BHL, qu’il nomme, il en appelle à la figure tutélaire de Sartre: « Nous sommes bien loin d’un Sartre soutenant les ouvriers en grève (français et immigrés) de chez Renault ».

Tutélaire de son vivant c’est vrai, mais avec une image désormais revue par les archives, laissant place au Sartre un peu trop tranquille sous l’occupation, à celui terni par son soutien à l’URSS et à Staline, ou encore par les conditions de sa prise de poste de prof de philo au lycée Condorcet. Lire en plus de Ingrid Galster, Tony Jude dans « Un passé imparfait. Les intellectuels en France 1944-1956 ».  Un Sartre pour qui «  La liberté de critique est totale en URSS ». (Page 189). C’est peut être pourquoi Salmon se lâche. Après ça, on peut tout se permettre.

« Plus le contenu de pensée est faible, plus le « penseur » se dépense », nous dit Salmon. C’est pourquoi, tout au long de son article, il met à contribution des noms prestigieux (George Steiner, François Cusset, Deleuze, Camus, Foucauld, et Zigmunt Bauman). Sans pour autant fortifier sa démonstration claudicante.

Prenons Bauman. Sociologue contraint d’émigrer de sa Pologne après que le gouvernement lui ait retiré en 1968 sa chaire d’université de Varsovie, pour avoir été critique du communisme, il est célèbre pour son concept de « modernité liquide ». Mais il est une facilité dont il faut se méfier. Car Baumann produit une œuvre originale et riche, donc diverse. Dès lors, il peut être facile de trouver chez lui des citations pour étayer un raisonnement. Son concept peut éclairer d’une certaine lumière la polémique de ces temps ci. Mais on peut aussi bien y trouver matière à critiquer la pratique actuelle des politiques, ces ombres absentes du débat actuel, incapables de gérer leurs décisions et leurs conséquences : Ecoutons : « Le pouvoir – l’efficacité d’action dont jouissait auparavant l’Etat moderne – se disperse actuellement dans l’espace politiquement incontrôlé  (et souvent extraterritorial), tandis que la politique – la faculté d’imposer à l’action une orientation et un objectif – ne peut opérer efficacement au niveau planétaire puisqu’elle reste, comme autrefois, locale ». Beau sujet à développer après ce week-end de référendum tactique sur les marchés.

Tout cet article n’a donc été écrit que dans un seul but, réduire les intellectuels qu’on honnit à une fiction. Pour mieux éviter de débattre on assassine. Car débattre ce serait chercher des vérités et des mensonges. Et il y en a dans les deux camps qui s’expriment dans les médias depuis deux semaines. Donc ces intellos, Ils n’existeraient pas, tout simplement. Salmon nous le dit : « Les intellectuels médiatiques ne sont que les porte-parole des médias » qui « formatent leur message ».

On l’aura compris. Devant l’impuissance générale à imaginer une porte de sortie de cette crise générale qui nous noie, on est parti, en France surtout, pour des temps incertains, voire cycloniques. Le FN a de beaux jours devant lui si ceux qui s’y opposent justement ne frappent pas plus loin que sur de supposées marionnettes médiatiques. Ils sont dans leur caverne et ne voient que des ombres avec lesquelles on n’échange pas. Des ombres à excommunier.

Pour conclure utilisons la méthode Salmon. Citons un intellectuel reconnu. « D’ici là il faut lutter. Mais en sachant que la tyrannie totalitaire ne s’édifie pas sur les vertus des totalitaires. Elle s’édifie sur les fautes des libéraux… C’est cela, justement, que je ne puis pardonner à la société politique contemporaine : qu’elle soit une machine à désespérer les hommes ». Albert Camus, 25 novembre 1948.

* Article de salmon:   http://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/171015/dans-le-tombeau-de-l-intellectuel-francais-de-souche

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