Antoine Peillon, considérant que la menace principale était davantage au sommet de la hiérarchie sociale et non pas des masses, avait clos son « Corruption », paru en 2014, par un chapitre intitulé « pour un révolte civique ». Son nouvel opus, « Résistance ! », pousse l’idée d’une « nouvelle forme d’expression citoyenne » plus loin et la met en scène d’une façon documentée et convaincante, notamment dans un chapitre qu’il appelle « Les désobéissants », altermondialistes, indignés, forums sociaux, réfractaires à l’état d’urgence et à la guerre civile, Zadistes, faucheurs de chaises, etc.
Ce « Résistance ! », qui s’inscrit dans une lignée d’ouvrages récents*, révèle les asservissements, les silences, la corruption d’une époque, qui sont autant d’encouragements pour chaque citoyen à se lever pour faire l’histoire qu’on leur a confisquée.
Car nous en sommes là. Soit les citoyens assistent sans rien faire à la « défragmentation de leur monde** » et à son effondrement, laissent une minorité imposer sa loi à une majorité, soit ils s’insurgent, dans la lignée de ce qui a été tracé à l’orée de ce siècle par les altermondialistes, en prenant « ces pistes suivies par les mouvements de désobéissance civique et de résistance civile ».
Peillon, qui ne prône pas une révolution violente précise : « La résistance n’est pas – elle n’a jamais été – principalement contre. La résistance est aujourd’hui, comme elle l’était dans les années les plus sombres de l’occupation, unanimement pour la révolution, la liberté, l’égalité, la fraternité, le bien-vivre (Buen vivir), la dignité humaine et la durabilité du monde, la république, le bien commun et la démocratie, en bref, pour « les jours heureux ». Ceux de l’appel lancé par la résistance, qu’un vice-président du Medef a dit vouloir déconstruire pièce par pièce.
« Créer, c’est résister. Résister, c’est créer », ont écrit les résistants du CNR. Peillon reprend, avant de poursuivre : « En cette époque d’effondrement démocratique et républicain, de « politique au crépuscule », un premier chantier s‘impose à nous : « Réinventer la république… ressusciter une authentique « constitution morale », ce que l’historien Vincent Duclert présente par ailleurs « comme un contre-pouvoir à la politique institutionnelle ou professionnelle ».
Car vous l’aurez compris, c’est à renverser le matérialisme effréné de notre époque que Peillon nous convie, avec tous ceux auprès de qui il se sent en compagnie, et nous avec, les Arendt, Camus, Orwell, Ellul, Habermas, Castoriadis, porteurs de philosophies qui rejettent obstinément l’idéologie libérale qui veut que l’être humain ne se résume qu’à un homo aeconomicus », les Tony Judt, dénonçant dans son dernier livre, en 2015, « Contre le vide moral », « l’esprit commercial de notre temps », les Thoreau rédigeant en 1837 « un texte sur l’esprit commercial des temps modernes… dans lequel il appelait expressément à la résistance contre l’affairisme ambiant ».
Comment définir une résistance positive aujourd’hui, lance Peillon ? Grand reporter à la croix, il s’appuie sur Durkheim qui soutenait qu’il ne peut y avoir de solidarité sociale qui ne se fonde sur une véritable religion de l’Humanité, plus précisément sur un culte voué à la dignité de l’individu ». On pourrait lui chipoter le terme religion, qui n’est pas indispensable. Mais on l’acceptera s’il n’est pas l’occasion de mettre en place une morale de groupe.
L’ouvrage de Peillon fait donc réfléchir, mais il n’est pas qu’un ouvrage d’idées. Il est aussi profondément inscrit dans la réalité, nous entrainant à faire le lien entre la question du terrorisme, de son financement, et donc de la détermination ou non des banques et des Etats à coopérer, de l’efficacité de nos polices et de la destruction du renseignement, du big business sécuritaire, de nos relations avec les pays du golf, du rôle des Etats Unis et de leur influence sur notre politique extérieure, d’un Parlement godillot, de l’urgence climatique, de la pauvreté et de l’instabilité sociale, de la haine des causes du premier ministre. En gros tout ce qui nous mène du mensonge à la violence.
Peillon conclut son chapitre dans ces termes à méditer : « Il se pourrait bien que soit venu le temps de la rébellion et de la révolte. Celles ci prendront la forme de la guerre civile annoncée, ou plutôt de la résistance espérée par beaucoup ? A cette question cruciale, il faut répondre par un clair appel à la résistance. « Résistance ! » est plus que jamais à l’ordre du jour.
« Résistance ! » Un livre indispensable pour nous aider « A dire non », pour reprendre le titre d’un livre d’Edwy Plenel, qui, tout comme Antoine Peillon, mais aussi Michel Onfray dans « Le miroir aux alouettes » qui vient de sortir, fait de La Boétie le premier rebelle contre la sujétion, par son invitation à sortir de la servitude volontaire. « Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libre » écrivait La Boétie, jeune homme de 18 ans.
Qu’attendons nous ?
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« Résistance ! » de Antoine Peillon. Seuil.
« Pourquoi désobéir en démocratie ? » de Albert Ogien et Sandra Laugier. La Découverte.
« De quoi l’effondrement est-il le nom » de Renaud Duterme. Utopia.
« Dire non » de Edwy Plenel. Don Quichotte.
« Réinventer la politique, avec Hannah Arendt » de Thierry Ternisien. Utopia.
« Le miroir aux alouettes » de Michel Onfray. Plon.
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Crise ou effondrement :