On les croyait enterrés. L’un dans un hôtel de luxe du Qatar. L’autre dans les douves du château d’’Henry IV. Mais il y des jours où les tombes perdent de leur étanchéité. Des fantômes se réveillent alors, pour la grande joie des médias. On vient de le vivre ces jours ci avec le retour de Sarkozy et de Bayrou.
Si les journalistes piaffent, les citoyens et les militants qui ont suivi dans la confiance, puis dans le doute, ces anciens leaders et leurs partis, avant de les suivre avec suspicion, puis avec recul, sont dans l’expectative
Trahis à de multiples occasions au cours des 20 dernières années, (la fracture sociale de Chirac vite oubliée ; le vote des citoyens contre le traité européen effacé par Sarkozy, son gouvernement, les députés et les sénateurs ; le soutien de la direction du Modem à André Santini lors des dernières municipales ; enfin, les promesses de Hollande qui n’ont jamais franchi les marches de l’Elysée)…
Révulsés par les scandales à répétition, qui ont tous pour origine l’argent, quand ce n’est pas la corruption…
Les militants et les citoyens désertent désormais les partis, à droite, au centre et à gauche.
Ils ne participent plus, ou bien se mobilisent ailleurs, et selon l’occasion, pour des causes particulières ou générales ; locales, nationales ou mondiales. Sous un bonnet rouge, pour la défense du climat, une violente jacquerie, ou un engagement local associatif.
Les analystes politiques et les sociologues pointent en permanence les fractures ignorées par les élites de pouvoir. Fractures que quelques personnalités d’exception, comme le député Jean Lassalle ou le généticien Axel Kahn sont allés toucher du doigt dans leurs longues marches à travers la France et l’Europe.
On sait en conséquence ce qui ne va pas. On a quelques idées où porter la médecine. Même si les solutions ne sont pas faciles ni surtout à proposer dans l’improvisation.
On imagine donc que l’opposition, que les oppositions, que les hommes qui les composent, travaillent à des contenus programmatiques à venir, planchent sur les réformes qui sont à faire, eux qui ne sont pas ou plus dans l’urgence des décisions à prendre, ni sous la pression des événements qui surgissent au quotidien pour un gouvernement.
On imagine aussi qu’à cette occasion de nouvelles compétences s’expriment, que de nouvelles têtes apparaissent, qu’une relève se fait jour.
Et à quoi assistons nous aujourd’hui ? Au retour d’un Sarkozy. A la pénultième réapparition d’un Bayrou.
Ils étaient finis. Mais Sarkozy, fossoyeur de la droite, revient. Car ses lieutenants ont repris la pelle et creusé profond la tombe de l’UMP.
Ils étaient finis. Mais Bayrou, le disparu de Saint-Babil, revient. Car le retrait de Borloo de l’UDI lui laisse à penser qu’il peut être à nouveau l’étoile du berger d’un centre qu’il ne définit plus comme central.
Et on se dit que c’est impossible. Qu’on ne peut l’accepter. Qu’on ne peut se laisser aller à jouer le rôle des personnages dépressifs de Michel Houellebecq dans « L’extension du domaine de la lutte ».
On se dit qu’il faut réagir, qu’il nous faut faire appel à une équipe de Ghostbusters pour nous débarrasser de nos deux spectres revigorés, dire leur fait à ces deux roitelets de jeux de cartes.
Sarkozy sans barbe. Comme un sou neuf.
Pour Sarkozy, c’est facile. Tout le monde le connaît bien. Et ce n’est pas parce qu’un quotidien du soir voit en lui « Le retour de l’homme neuf », qu’il ira très loin. Une France toujours psychologiquement fatiguée par 5 ans de son règne lui dit à l’occasion d’un sondage quelle ne l’attend pas. Elle n’a sans doute pas envie de retomber dans cet état de stress permanent qu’il lui a fait vivre. On ne fait pas du neuf avec du vieux dit-on. Et les paroles sur Facebook du président déchu n’annoncent rien de nouveau. Il dit avoir pu prendre le recul indispensable pour analyser le déroulement de son mandat, en tirer les leçons, mesurer la vanité de certains sentiments, écarter tout esprit de revanche ou d’affrontement. Mais ne dit rien de ce que ce recul lui inspire comme bilan critique de son mandat, de ce qu’il lui inspire pour l’avenir qui serait un changement. Il ne voit pas que ce qu’il pointe dans le République de Hollande, « ce désarroi » que vivent les français, « ce rejet à l’endroit du pouvoir» qu’ils en éprouvent, il les ont déjà connus avec lui. Il feint de croire en proposant aux Français « un nouveau choix politique », que la solution peut venir de celui qui a été durant 5 ans le problème. Il se voit en sauveur. Et il est vrai qu’on dit que les français aiment les sauveurs. Mais il y a de vrais sauveurs et il y en a de faux. De Gaulle était des premiers. Pétain était des seconds. Sarkozy ne peut être que des seconds. Partie prenante dans une dizaine d’affaires en cours d’instruction il ne peut être que des seconds. Espérons que la justice ne soit pas trop lente.
Bayrou refait son cinéma. Mais certains connaissent bien le film.
Si les Français connaissent bien Sarkozy, ils connaissent moins bien Bayrou. Sauf pour certains d’entre eux. Ceux qui l’ont accompagné au cours de sa longue carrière politique, ou plus récemment les militants du Mouvement Démocrate.
Ce qui a toujours caractérisé François Bayrou, c’est l’élévation de la pensée. Elle a été sa force pendant longtemps. De tous les hommes politiques, il a été celui dont on a écouté les propos avec le plus d’intérêt. Car ils étaient ceux d’une espèce devenue rare dans ce milieu, l’espèce des hommes de culture. Par ailleurs, l’humanisme dont il se revendiquait, les valeurs qu’il affichait, les principes qu’il défendait, il semblait être le seul à les porter. D’où la bonne opinion des français à son égard.
Ceux qui le fréquentaient de plus près, ceux qui le suivaient au plus près, ses vieilles connaissances ou les militants du Modem, ont souvent eu une écoute plus subtile de sa parole. Car avant d’entendre l’homme, ils avaient eu à faire avec le chef de parti. Et la gouvernance du chef de parti déconstruisait singulièrement l’image de l’orateur. D’où ces brouilles au sommet, ces personnalités rompant avec fracas avec « l’homme Bayrou ». D’où ces militants fuyant par vagues successives vers d’autres horizons. D’où cette raréfaction du nombre des adhérents.
Car ce que peu de gens savent, c’est que François Hollande et François Bayrou, outre le prénom qu’ils partagent, ont un autre trait commun, celui d’être autiste à la parole de ceux qui les entourent. Ils Paraissent souvent n’aller chercher qu’au delà du cercle qu’ils ont constitué autour d’eux, les idées qui structurent leurs décisions.
Le plus amusant pour les militants qui ont quitté le Modem a été, ce week-end, le slogan qui a été affiché pour l ‘université de rentrée du parti à Guidel. Réunion annoncée « sous le slogan de bâtisseurs : Reconstruire la France », comme l’a noté Le Figaro.
Car pour eux, qui ont attendu, souvent des années, que François Bayrou veuille bien construire, c’est à dire organiser, le Modem, sans l’obtenir jamais, ils ne l’imaginent pas être apte à faire mieux dans la maison de la nation que dans sa propre maison.
D’autant que les choses ont évolué. Et que Bayrou s’installe désormais dans les effets d’estrade.Un vrai travail de démagogue, comme l’a relevé dans Mediapart Yves Faucoup, à propos du cinéma fait par Bayrou sur la 2 autour du code du travail.
Voir : http://blogs.mediapart.fr/blog/yves-faucoup/200914/code-du-travail-bayrou-demagogue
Son retour ''à droite toute'' l’exige. Il lui faut donner des gages. Et se faire une place dans une famille qu’il ne domine pas, où sont nombreux ceux qui ne lui pardonnent pas « son erreur du deuxième tour à la présidentielle de 2012 », son antisarkozysme passé, et le flou constant de ses orientations.
Des conseillers très libéraux.
Des gages que lui aident à forger ceux qui le cornaquent en matière économique. Et qui ne sont pas du Modem.
- Depuis longtemps, l’ancien banquier Jean Peyrelevade. (Celui qui regrette que « la grande masse des militants partage l’idée que la souveraineté du peuple impose que l’économie ne soit qu’une annexe de la politique ».
- Et depuis moins longtemps les membres du très libéral ‘’Cercle des économistes’’, Jean-Hervé Lorenzi et Jean-Paul Betbèze.
Ce dernier, dont la société conseil a pour slogan: « Quand l’économie sert l’entreprise » est un « intégriste de l’austérité », comme l’écrit l’économiste jean Gadrey.
Adieu à la moralisation.
De toute façon, il ne faut plus attendre grand chose de François Bayrou depuis qu’il a jeté par la fenêtre ses valeurs et ses principes de « moralisation de la vie publique ».
C'était quand le Modem a adressé à André Santini, (dont on attend avec impatience son passage en appel de sa condamnation de 2013), une lettre de soutien aux municipales, en échange de son adoubement de Marielle de Sarnez pour les européennes.
Revenu à la droite par son entente avec Borloo, capable de tractation avec le genre d’homme qu’il condamnait encore en 2012, on ne l’imagine pas pouvoir écrire à nouveau les livres qu’il a publiés chez Plon entre 2007 et 2012.
Mais cela ne l’empêche pas de repartir dans l’ambiguïté qui le caractérise. Un jour centriste de droite, pour se faire réadopter par sa famille d’origine, comme dit Abel Mestre dans Le Monde, puis se rapprochant le lendemain de l’UMP Alain Juppé, pour retomber très vite dans sa vielle chimère d’un centre indépendant et libre. Ce centre qu’il a lui même fait voler en éclat par son yoyo droite/gauche.
Militants déboussolés par l’optimisme des chefs.
Un jeu qui agace encore ses militants, puisque, comme le rapporte l’envoyé du Figaro à Guidel, « François Bayrou a du affronter la liberté de ton de ses supporters qui attendent des solutions centristes pour défendre les idées du mouvement », précisant par ailleurs : « Comme un contre-point à l'optimisme des chefs, un militant prend le micro et ose: «Je suis extrêmement déçu par vos réponses. Vous êtes tous brillants mais donnez-nous des exemples concrets!»
C’est bien tout le problème au Modem où depuis des années aucune commission thématique n’a fonctionné, aucun travail programmatique n’a été effectué.
On s’y exprime brillamment au sommet. Mais rarement de la façon qu’attendent les militants, et au delà, les citoyens. Comme une réplique, en light, de ce que vivent les militants socialistes.
Tout cela n’empêche pas Bayrou de voire sa chance poindre dans l’actualité. Il l’a dit sur France inter.
Il ne reste plus qu’à faire appel aux docteurs Venkman, Stantz et Spengler.