Vous croyez vous rendre à un colloque fort technique à l’Association des Maires de France, et, derrière un sujet qui le reste, celui de la réforme territoriale, vous retrouvez tout ce qui illustre l’effondrement du système cinquième République.
Il s’agissait de voir en quoi cette réforme allait impacter l’organisation des services de l’eau, de l’assainissement, des déchets. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il faut de suite noter l’opposition unanime des intervenants, en dehors de ceux de l’administration, aux lois votées par les parlementaires après leur sortie des mains des technocrates ministériels.
Ces lois, plus ou moins récentes, de décentralisation, illustrent à elles seules le cercle infernal de notre décadence, qui est à la fois constitutionnelle, politique, technocratique.
Technocratique d’abord, dans la mesure où ces lois sont préparées au sein d’administrations et surtout celle de Bercy, dont les responsables, technocrates de hauts rangs, ne connaissent généralement rien au terrain impacté par leurs cogitations.
Avec, souvent d’ailleurs, d’autres motivations plus troubles, consistant à édicter des mesures leur permettant, en ces temps d’Etat amaigri, de mettre la main sur des ressources existantes, piquées aux organismes de gestion territoriale de services d’intérêt général dans différents domaines, quand ce n’est pas la volonté de créer pour les partis qu’ils servent des places nouvelles à distribuer.
Bercy pompe dans les recettes.
Bercy pompe dans les recettes des agences de l’eau a écrit par exemple le député Jean-Marie Tétart le 9 janvier 2016. « A la recherche d’argent pour réduire le déficit de l’Etat, et faute de faire les réformes structurelles nécessaires, le gouvernement sous l’impulsion de Bercy vient prélever dans le produit des redevances sur l’eau. C’est en quelque sorte un détournement d’une redevance qui n’a pas été créée pour alimenter le budget de l’Etat mais pour établir une solidarité entre les usagers de l’eau pour répondre au défi de l’alimentation en eau et de la lutte contre la pollution. C’est le modèle de l’eau qui est en danger ». Un modèle copié à l'étranger par de nombreux pays, et que la dernière loi de réforme territoriale risque de détruire.
Un propos sur un comportement de l’Etat qui n’est pas nouveau et qui a été repris largement dans l’enceinte de ce colloque à l’AMF.
L’Express écrivait déjà le 19 novembre 1998 ceci : « le gouvernement entend fixer lui-même les montants et les modalités d'application d'une taxe générale sur l'eau. Un rêve pour le ministère des Finances, qui, depuis des années, lorgne sur le pactole fiscal des agences ».
Le cauchemar des lois de décentralisation.
Un rêve qui tourne au cauchemar avec les lois Maptam et NOTRe qui impliquent le transfert des compétences en matière d'eau, d'assainissement, de collecte et de traitement des déchets ménagers et assimilés aux communautés de communes et aux communautés d'agglomération. Cette redistribution des compétences, opérée quasi simultanément à la redéfinition des périmètres de ces communautés, entraîne des changements importants dans l'organisation administrative des territoires et bouleverse l'organisation des services.
De fait, de nombreux syndicats intercommunaux qui, pour beaucoup, gèrent de façon satisfaisante aujourd’hui les compétences ci dessus évoquées, risquent d’être fragilisés. C’est aussi tout un mode de coopération mise en place de façon transpolitique sur les territoires, hors de toute obligation législative, qui risque d’éclater.
Des conséquences et des risques non anticipés par le législateur.
Maitre Azan, du cabinet UWILL, s’étonne que les rédacteurs de ces lois n’en aient pas prévu les conséquences. Notamment celles qui seront entrainées par ces transferts de compétences, porteurs de contentieux, sur la valeur des biens transférés, par exemple sur l’état de ces biens, mais aussi avec ceux qui ont payé par le passé les investissements. D’autres contentieux pourront aussi venir des usagers, à propos de la variation de la qualité des services rendus, qui ne manquera pas dans certains cas d’être moins satisfaisante. Il souligne enfin un risque assuranciel et conseille aux responsables des structures intéressées d’être vigilants.
Autre danger, signalé notamment par Belaïde Bedreddine, président du Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP), le périmètre technique va être remplacé par un périmètre administratif. Ce n’est pas toujours celui des compétences techniques. Il faut relever la pertinence de la remarque car les compétences techniques qui étaient celles de nos administrations ont été souvent déconstruites au cour des 15 dernières années, rigueur oblige, doxa du moins d’Etat, privatisation intéressée.
La légitimité politique de terrain se perdra ainsi au profit de l’administratif. Car ce n’est pas la structure administrative qui possède aujourd’hui les compétences, ce sont les élus de terrains, tous partis confondus. Les redécoupages risquent aussi de créer des conflits politiques là où il n’y en avait pas. Un luxe à repousser en ces temps de crise généralisée de la parole et de la représentation.
Manque de concertation. Etat malade.
Il n’y a pas un jour où nos gouvernants, qui n’ont que le mot dialogue à la bouche, ne nous montrent qu’au delà de cet élément de langage la règle est d’imposer ce qui a été cogité au sommet de l’Etat. La loi El Khomri en est le dernier exemple.
Les lois de décentralisation en sont un autre. L’AMF a pu écrire : « La loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles a créé une compétence « gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations » (GEMAPI) qui a été attribuée aux intercommunalités, sans concertation préalable avec les associations d’élus… or, les conditions ne sont pas réunies aujourd’hui pour imposer l’exercice de cette nouvelle compétence ».
L’AMF a donc demandé au Premier ministre le réexamen complet de cette compétence, souhaitant que l’État revienne au premier rang de la responsabilité dans ce domaine.
Sur proposition de l’AMF, l’instance de Dialogue national des territoires (DNT) a acté, le 10 février dernier, et c’est une première, la mise en place d’un groupe de travail entre les collectivités et les services de l’Etat. Les associations d’élus se sont d’ores et déjà attelées à la rédaction d’un texte de loi spécifique sur le contenu et l’exercice de cette compétence.
Ce n’est pas rien. Car les sujets à aborder sont d’importance. Un seul pour s’en rendre compte. Celui de la compétence sur les digues domaniales, leur diagnostic, leur entretien. A l’heure où le réchauffement climatique provoque les surprises qu’on a eu à affronter en 2015 dans nos départements du sud, on ne peut qu’approuver l’AMF d’être exigeante.
En conclusion, ce colloque, organisé par L’Association des Ingénieurs et Techniciens de l’Environnement (AFITE), en partenariat avec l’AMF et FP2E, a té un succès.
Mais au delà, il a mis en évidence la décadence d’un système, celui de la cinquième République, dans lequel la démocratie ne fonctionne plus.
Tout fonctionne sur le schéma d’un cercle infernal sur lequel chacun mord celui qui le précède. Le technocrate pond des lois, l’Assemblée les vote, les élus locaux les contestent avec raison. Mais Bercy rafle la mise. Quand va-t-on en sortir ?
D’autant plus que ces lois qui déplaisent aux élus de terrain, elles ont bien fait l’objet dans leur version définitive d’un accord signé par la commission paritaire Sénat-Assemblée. Deux assemblées que semblent désavouer les élus de terrains, pour la plupart membres des mêmes partis politiques qui siègent à Paris.
Alors, Docteur, quel est le remède ?