Il faut en finir avec la légende d’un Macron philosophe, d’un Macron fils putatif de Ricoeur, d’un Macron statufié. Le recours à une légende ressort de la volonté d’enchanter l’homme derrière la banalité de sa conduite balzacienne. Il faut savoir résister au mythe qui se construit sur la base d’un questionnement approprié : Comment faire d’un jeune doué pour l’ascension, le retour de l’image du « Roi » ; comment faire émerger « Jupiter » sous le costume trois pièces d’un jeune banquier très sarkosien ?
Une légende arrive en principe après coup, construction mémorielle autour de ce qui, ou de qui, la mérite. Œuvre de proches, de disciples, d’héritiers.
Avec Macron il en va autrement. Il est lui même en premier lieu, le scénariste et le metteur en scène de sa légende, à travers interviews, dans le 1, France Culture, Le Monde ou Le Figaro, etc. ; dans des livres écrits de sa main, « Révolution » par exemple, et enfin au travers d’un réseau constitué d’amis, comme François Dosse, philosophe, mais aussi, de professionnels de la recherche d’ouvrages à succès, type Anne Fulda (Macron un jeune homme si parfait) ou Laurent Bigorgne, directeur du très libéral Institut Montaigne, parrain de la première heure de Macron qui a eu le siège de son mouvement déposé chez ce dernier, (Macron et en Même Temps), enfin de journalistes de cour, oeuvrant pour la plupart dans des médias aux mains de la finance d’affaires.
Avoir un diplôme de philosophie ne fait pas de vous un philosophe, comme un diplôme de médecine ne fait de vous un grand praticien. Qui a vu dans l’ascension de Macron l’ascension d’un philosophe ? Je n’y ai vu que l’ascension d’un énarque, certes plus doué que la moyenne des énarques, mais on a vu d’autres ; d’un banquier d’affaire habile et vite enrichi ; d’un jeune homme patronné par les « Padrone » de la finance, de type Jouyet. Et je défis quiconque de trouver dans les décisions politiques de Macron l’ombre d’une lumière philosophique.
Certes, Macron cherche à faire illusion. Il aime truffer ses discours d’allusions, cite les philosophes, ainsi Alain dont il lit un texte lors de son discours de Clermont-Ferrand : « Je vous souhaite de penser printemps » ; reprend une phrase de Ricoeur dans son discours de Bobigny : « Tout faire pour rendre l’homme capable »… etc.
Tout comme d’autres, et notamment Sarkozy, il va chercher quelques grandes figures de la vieille démocratie pour s’oindre de leur réputation, Jaurès bien entendu, ce qui cadre mal avec son affirmation « je ne suis ni de droite ni de gauche », sauf qu’en 2006 Macron avait sa carte au PS, Mendès-France, ensuite, Michel Rocard, enfin.
En fait, Macron, loin d’être un politique éclairé par la philosophie, est l’illustration parfaite du délitement du monde des idées en France. Comme en a témoigné les dérives de la revue Esprit, dans laquelle Macron s’est exprimé pour théoriser en 2011 le droit au non respect des promesses politiques, revue Esprit que je n’aurais jamais imaginé dans ma jeunesse soutenir, par une pétition en 1995, Alain Juppé. L’humanisme « chrétien de gauche » d’Esprit a perdu de ses couleurs, difficulté financière et mondialisation oblige.
Plus d’un s’est donc cru obligé de dénoncer l’instrumentalisation de la pensée de Ricoeur par Macron. Dont la philosophe Myriam Revaut: "Ou bien Macron se prévaut d'être lui-même philosophe, ou bien c'est son entourage qui fait circuler cette information... Il est indéniable qu'il ait une culture philosophique, c'est évident, mais de toute façon ce n'est pas parce qu'on a fait de la philo qu'on est un bon politique".(sur France Inter).
François Dosse, auteur d’une biographie incontournable de Paul Ricoeur, qui avait présenté Macron à celui-ci, pour un rôle d’assistant éditorial dans la préparation de son dernier ouvrage phare, qui paraitra en 2000, « La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli », s’est cru obligé de prendre la défense du président, dans un livre qui vient de sortir « Le philosophe et le président ». Il s’y livre à un exercice de voltige intéressant mais non concluant pour qui a cherché à s’informer. Ceux qui ne connaissent pas Ricoeur y trouveront une excellente introduction à sa pensée. Ceux qui cherchent à comprendre comment nait un mythe ou une légende, s’y amuseront. Ceux qui ne demandent qu’à croire que Jupiter les sauvera du péché originel du néocapitalisme, grâce à une pensée éclairée par la philosophie, pourront chausser les lunettes de la foi, avant de rejoindre un jour à venir bientôt les déçus de la caverne philosophique.
Laissons le mot de la fin à Olivier Mongin, ancien directeur de la revue Esprit, qui dans un long article dans Le Monde du 25 mai 2017 titré « Le macronisme n’existe pas » expliquait : « Faut-il conclure hâtivement qu’Emmanuel Macron est un disciple de Paul Ricœur, voir un « ricœurien » ? Cela ne veut pas dire grand-chose tant la pensée de Ricœur, qualifiée par lui-même d’aporétique, puise dans des registres divers ».
Et laissons là la philosophie. Tenons nous en à la politique. Mongin écrivait en mai : « Le déficit intellectuel est également un constat guère agréable à faire. Aux intellectuels critiques (ce n’est le privilège de personne) de ne pas caricaturer ce qui peut advenir et surgir pour mieux entraver le cours d’une histoire bloquée ». Cinq mois ont passé. On n’a pas l’impression que Macron ait commencé à débloquer l’histoire, ni qu’il ait comblé le déficit intellectuel et politique du pays.
Quant au philosophe ? Gageons qu’il attendra que le politique soit à la retraite.
Que ceux qui cherchent une bonne et trop courte analyse critique du livre de François Dosse aillent lire l’article de Jean-Claude Monod dans Libération du 24 octobre :
http://www.liberation.fr/liseuse/publication/24-10-2017/1/#1605122