Quoi qu’on dise, tout ce qui se dit et s’écrit aujourd’hui sous nos latitudes à a voir avec la questions de la démocratie et de la perte des repères qui la balisaient. Et tous ceux, analystes, intellectuels, journalistes, politiques, sur qui jusque là nous comptions pour nous aider à réfléchir et à comprendre, sont emportés par une radicalisation dont l’histoire nous a montré qu’elle est mauvaise conseillère.
Là où il faudrait de l’écoute, on trouve de l’ostracisme, là où il faudrait un effort de compréhension on trouve l’absence de recherche, là où il faudrait de l'ouverture, un enfermement dans un dualisme y règne, celui là même que John Dewey décrivait ainsi : « tentations dogmatiques de l’être humain, propension de celui-ci à se ruer sur les premières certitudes susceptibles de l’apaiser face aux périls, réels ou supposés, qui le guettent ». (Patrick Savidan dans son introduction à « La quête de certitude » de Dewey, publié chez Gallimard en 2014).
Pour paraphraser Denis Kessler, ancien vice-président du Medef, qui voulait défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance, on dirait que désormais tout un chacun a plus ou moins, consciemment ou inconsciemment, le même objectif de déconstruire ce qui jusqu’à ce jour a toujours fini par relever notre nation en péril, « une éthique de la vie sociale, une primauté accordée à l’intérêt général, un renforcement des droits de l’homme ». (Serge Ravanel, L’Esprit de la résistance, Seuil, 1995, cité dans l’introduction de J.L. Porquet au programme du CNR, « Les jours heureux », réédité à La Découverte.
C’est ainsi qu'est remis en cause chaque jour dans les médias, via éditoriaux, chroniques et opinions libres, ou encore dans nombre d’ouvrages, au nom d’un esprit d’époque, ou dans la recherche de l’immuable, ce qui avait cimenté notre vivre ensemble, l’idée des valeurs de la République, de la laïcité, le refus des discriminations, le droit à l’éducation, l’égalité des chances, le respect de l’autre, etc. Je ne fais même pas allusion aux notions des droits et des devoirs. Les dernières semaines l’ont montré, avec ces engueulades publiques entre intellectuels. Mes derniers billets ont abordé la question.
Mais est également perverti le débat et le combat politique.
Un seul exemple suffira à montrer à quel point fait florès la simplification des idées et surtout la façon de les présenter. Celui du long extrait dans Le Monde daté du 24 janvier du livre de Jean Birnbaum, responsable du Monde des livres dans le quotidien, « Un silence religieux ».
Sa thèse est simple et tient en quelques mots, quand bien même elle est développée sur une page entière, et vraisemblablement dans son livre entier (Que je n’ai pas lu).
Birnbaum traite dans ces bonnes feuilles publiées, de l’importance de la religion dans le phénomène djihadiste, ce en quoi on ne saurait le contredire: « Le djihadisme constitue le raidissement sanglant de l’islam ». Rajoutant, avec à propos: « cela implique à la fois qu’il défigure l’islam et qu’il na rien à voir avec lui ». Et fort justement, il précise plus loin que: « le phénomène fondamentaliste existe aussi chez les chrétiens, les juifs, les bouddhistes, mais qu’il demeure que l’islam constitue à l’heure actuelle, la religion dont l’effervescence fondamentaliste et la réaffirmation politique sont les plus manifestes ».
Tout ceci serait intéressant et donnerait envie de lire son livre, sauf que son objectif est tout autre. En fait, il n’a de cesse que d’accabler la gauche, qui l’est déjà pour bien d’autres raisons par ailleurs, sur un point précis que résume bien le texte d’introduction aux bonnes feuilles. Il y aurait à gauche « un silence religieux face au djihadisme », Birnbaum constatant « l’incapacité de la gauche à appréhender l’islamisme, tentant de le ramener à sa seule dimension sociale. En évacuant la religion de son mode de pensée, elle se condamne à ne rien comprendre de ce qui se joue ».
Ce qui lui permet quelques perles du genre : « L’islam apparaît désormais comme la seule puissance spirituelle dont l’universalisme surclasse l’internationalisme de la gauche sociale et défie l’hégémonie du capitalisme mondial ». Quel raccourcit ! Et que « C’est d’abord au miroir de l’islamisme, au péril du djihadisme que nous découvrons, sonnés, notre propre désarroi ».
Mais de quelle hibernation sort Birnbaum ? Lui qui dirige le Monde des livres, que lit-il depuis dix ans ? Depuis dix ans, depuis vingt ans, depuis trente ans, la France ressort sonnée de chaque élection, par la montée de l’abstention, par les progrès du Front National, par le yo-yo droite-gauche, par l’impossibilité des deux partis de gouvernement à résoudre le problème du chômage qui de cesse de s’amplifier. Et ce sont les attentats de 2015 qui nous auraient fait découvrir notre désarroi ?
Voilà où conduit le désir de vendre sa pâtée ! A la réduire en produit marchand simplifié. Une idée, un livre. Est-ce participer à l’effort de compréhension nécessaire ? Nous ne le pensons pas.
Comment finir par récrire : « Partout où il y a de la religion, la gauche ne voit pas trace de politique. Dés que la politique surgit, elle affirme que cela n’a « rien à voir » avec la religion ». Pourquoi ces guillemets ? On attend la citation entre guillemets qui justifie l’assertion. Rien ne vient.
Alors, allons chercher quelques citations, histoire de mettre des guillemets, non autour des paroles qu’on prête aux autres, mai autour des paroles qu’ils ont effectivement prononcées.
François Hollande, à l’Institut du monde arabe : «Ce sont les musulmans qui sont les premières victimes du fanatisme, du fondamentalisme, de l’intolérance». On souligne : « Fondamentalisme ».
Manuel Valls : « Le Premier ministre a aussi fermement attaqué "l'idéologie totalitaire qu'est l'islam radical" qui " accapare les esprits" », rapporte Libération après le passage du Premier ministre sur le plateau du Petit Journal.
Jean Christophe Cambadélis, pas toujours habile dans ses fréquentations gérées souvent de façon clientélistes, n’en a pourtant pas moins affirmé dans son discours de clôture du 77e congrès du PS : « Dévoyant l’Islam, les terroristes d’un Islam fanatisé, ont déclaré la guerre aux mécréants ».
Dans le genre, je cherche des votes et il n’y a pas de problème, il y a bien sur Bartolone, mais celui ci se fait retoquer par ses amis du PS jusqu’au sein de l’Assemblée, lors du forum ‘’République et islam’’ en juin 2015, comme le rapporte Marianne. Mais « le sujet de l’islam et des dérives de l’intégrisme aura finalement été abordé sans mièvrerie, sans tabou, ni angélisme. Et publiquement surtout ».
J’ai arrêté là ma recherche sur Internet, estimant que c’était suffisant pour montrer à quel point Birnbaum était léger, à quel point il était bien dans l’air du temps, faisant partie du nombre de ces journalistes, du nombre de ces causeurs, du nombre de ces politiques, dont on apprendra avec plaisir à se passer lorsque toutes les initiatives citoyennes actuelles, en recherche d’alternative, auront débouché sur un nouveau projet de société, une nouvelle République, un retour à la démocratie qu’a dissoute une mondialisation et une économie néoclassique qui ont fini par corrompre ses gardiens, comme va nous le montrer le procès Cahuzac dans quelques jours.