Mediapart est il encore le media d’information novateur qu’il a été à ses débuts, ou est-t-il devenu, pour des raisons qui nous échappent, un média de désinformation idéologique, un média « militant », à l’ancienne ? On peut se poser la question depuis un certain temps, comme lecteur, tant on trouve de plus en plus dans ses colonnes ce que l’affaire du burkini révèle, un forçage de la langue dans lequel disparait la chose traitée
Il faut très certainement remonter, à gauche, à l’époque des médias staliniens, pour y trouver le genre de formules qu’on peut lire aujourd’hui dans Mediapart. Y voir traitée l’actualité comme on l’a toujours traitée aussi dans la presse de l’extrême droite, (Amalgame, fausseté par accumulation brouillonne, mauvaise foi, ostracisation de l’autre, etc.) est inexplicable pour qui se souvient de l’enthousiasme suscité lors du lancement par Plenel de sa formule innovante de presse d’investigation.
Mais lire sur Mediapart que les femmes musulmanes seraient « racisées », qu’elles sont « obligées » par la police « de retirer leur vêtement sur la plage », qu’il y a « violence sur les corps », ce qui susciterait un mouvement « d’exaspération de nombreuses femmes dans le monde entier, provoqué par l’interdiction du « burkini » sur plusieurs plages françaises », sommes nous encore dans de l’information, sommes nous encore dans le commentaire objectif de l’actualité, sommes nous encore dans un rapport sérieux avec le réel ?
Croit-on réussir à imposer en France le modèle Anglo-Saxon de communautarisme ? Les partisans du burkini semblent le croire. La meilleure réponse à leur faire est de reprendre ce qu’a écrit Roseline Letteron (professeure de droit public à l’Université Paris-Sorbonne) :
« Le débat sur le « burkini », on s’en doute, n’est pas seulement vestimentaire. Son enjeu est la conception de la laïcité que l’on souhaite mettre en œuvre dans notre pays. On peut en distinguer deux.
La première, anglo-saxonne, vise à mettre les religions à l’abri d’éventuelles menaces venant de l’Etat. Elle conduit à une conception extensive du droit d’exercer son culte.
La seconde, privilégiée en France, vise à empêcher la pression des religions sur l’Etat. La pratique religieuse relève alors essentiellement de la vie privée ». Que rajouter ?
Est-ce alors utile de rameuter, comme le font certains défenseurs du burkini sur Mediapart, tout ce que le monde compte de radicalité religieuse pour mieux enfoncer le mauvais clou de la supposée normalité du burkini ! En renversant le sens des mots à l'occasion ! Tout cela est le b.a.-ba de la dialectique partisane.
Est-ce bien nécessaire, pour faire mieux encore, de pousser le bouchon jusqu’à enrôler des représentants de la radicalité juive, comme l’a fait Carine Fouteau*, citant une femme rabbin américaine, ou encore le dénommé Gavroche, quelques jours avant, en s’appuyant sur un texte de l’UJPF, (l’Union Juive Française pour la Paix) ?
Est-ce bien productif pour être certain de l’emporter, de ne pas hésiter à pratiquer la sacro sainte règle des extrémistes, l’amalgame, mêlant actes antimusulmans de l’extrême droite et opérations (pacifiques) de police sur les plages pour faire respecter les valeurs laïques de la France, lesquelles interdisent dans les lieux publics toute manifestation revendicatrice d’appartenance religieuse, comme l’est le port du burkini. (Argumentation de l’avocat du CCIF dans sa contestation de l’interdiction du burkini).
Lire que « les politiciens français veulent que les musulmanes cachent leurs opinions politiques » quant on parle du burkini, manifestation d’une tendance religieuse longtemps minoritaire, avant que la pression des mosquées, des imams salafistes et de ceux qui les suivent ne soit arrivée à ses fins, est-ce digne d’accepter que tout cela soit colporté par Mediapart ?
Et je passe sur tous ces arguments dont la distance avec la rationalité est si manifeste qu’on s’en trouve gêné de devoir les lire sur Mediapart.
Que penser d’un média qui accepte l’ostracisation de celles et ceux qui s’opposent au port du burkini, en relayant que leur « but n’est pas, n’a jamais été, et ne sera jamais d’émanciper les femmes, mais de seulement contrôler leur corps » ! Alors que, et tout le monde le sait, c’est ce que reprochent tous les musulmans éclairés aux règles instituées par le salafisme wahhabite ?
Et de nous ressortir « l’histoire coloniale », à propos de l’interdiction du burkini en France ?
Et de nous servir que l’Etat français « refuse de se voir tel qu’il est, c’est-à-dire divers culturellement, racialement et religieusement ».
Alors qu’au contraire l’Etat Républicain, dans sa lutte autrefois contre la religion et le pouvoir absolu, n’a eu de cesse de défendre à travers la laïcité la neutralité pour tous, à commencer par l’école, dont la mission nous a dit Jaurès, est « d’enseigner les principes mêmes selon lesquels les grandes sociétés modernes sont constituées ».
Sont-ce ces principes de société moderne qu’enseigne le salafisme wahhabite dans ses écoles de Djeddah et d’ailleurs ? Non, il y enseigne l’asservissement des humains et en particuliers celui des femmes.
Tout ce qu’on lit sous la prose des défenseurs du burkini est verbiage illisible, manipulation de mots imbuvables, obsession à défendre l’indéfendable.
Est-ce ainsi qu’on défend la cause des musulmans de France ? Une cause bien entendu fragilisée par les attentats. Que la parole salafiste, parfois en France, mais surtout à l’étranger, se garde bien de condamner.
Raison de plus pour ne pas mettre de l’huile sur le feu, et d’être ferme, avec à-propos, avec calme, sur les principes d’égalité de notre constitution ? Sur nos valeurs de laïcité, fondements de notre République.
Mais heureusement, des écrivains, les philosophes, les spécialistes musulmans de leur religion et des travestissements qui la ruinent, sont nombreux, et nous réconfortent par des analyses que ne lisent manifestement pas celles et ceux qui écrivent dans Mediapart pour défendre le burkini.
Il en ira d’eux comme il en été autrefois des défenseurs de causes perdues. Celles et ceux qui s’opposaient à la loi de séparation de l’église et de l’Etat, s’opposaient au vote des femmes, luttaient pour interdire le contrôle des naissances et l’avortement, pour refuser l’abolition de l’esclavage puis ensuite de la peine de mort…
Chaque siècle a eu ses moments difficiles. D’autant plus difficiles que l’Etat était amoindri par ceux qui avaient intérêt à l’affaiblir, les partisans du pouvoir religieux, du pouvoir économique capitaliste, du pouvoir absolu en politique.
Ecoutons, pour en finir, une voix qui n’a pas à ma connaissance parlé à Mediapart, Abderrahim Hafidi, qui a repris dans Le Monde ces paroles du grand philosophe musulman Averroès : « La vérité ne se contredit jamais, elle témoigne toujours pour elle-même.». Concluant sa chronique ainsi :
« La société française et sa sécularisation sont l’aboutissement d’une histoire longue, marquée du sceau de la lutte pour l’émancipation des hommes et des femmes. Les musulmans doivent comprendre que leur salut et la reconnaissance de leur présence définitive sur la terre de France exigent qu’ils prennent le train de l’histoire en marche en raccrochant leur locomotive vers une direction commune.
Tout n’est pas perdu. Restons optimistes.
* https://www.mediapart.fr/journal/france/240816/derriere-les-arretes-anti-burkini-l-humiliation-des-musulmanes