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Billet de blog 26 avril 2015

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Fumée à Bercy. Macron veut réformer le capital. Mais ne dit mot des banques.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Macron, l’exemple type d’une brillante élite française moderne, (ancien assistant du philosophe Paul Ricoeur), mais une élite pervertie par l’argent et le goût du pouvoir (La marque de l’ENA), nous a fait la grâce d’une page entière de réflexions dans Le Monde de samedi dernier, pour « Pour retrouver l’esprit industriel du capitalisme ».

Il n’a pas  lésiné sur sa plume. Sauf qu’il n’est pas le Paul Guimard de la politique économique. Pour lui, les choses de la vie s’arrêtent à la frontière de son monde, celui de la banque et de la finance.

Mais lorsqu’on a des ambitions politiques au PS et par le PS, et qu’on a été Gérant associé à la banque Rothschild, il faut bien avoir l’air de faire quelques concessions à la gauche.

« C’est le soutien des pouvoirs publics et l’énergie entrepreneuriale qui ont rendu possibles les réussites industrielles de notre pays » nous rappelle-t-il. For bien, vive le passé ! « Mais ce temps est révolu »  rajoute-t-il aussitôt.

Alors qu’en est il de l’avenir ? C’est là que le bat blesse avec Macron. Car sa pensée est incapable de s’extraire du néoclassicisme économique dominant. Celui de Tirole et des économistes orthodoxes. Celui de la ploutocratie.

Envisager correctement l’avenir supposerait qu’il fasse l’analyse complète des freins à cette « transformation profonde » qu’il dit appeler. Or, il ne dit rien de la crise de 2008, des crises multiples qu’elle a exacerbées (Austérité, chômage, pauvreté, inégalité, etc.). Il ne dit rien de ce qui l’empêche, cette réforme. Car ce qui l’empêche, c’est le milieu, la famille à laquelle il appartient : La banque. C’est la politique obscure menée par la finance et par les banques. A aucun moment il n’aborde leur responsabilité dans la folie spéculative et ce court termisme qu’il dit portant condamner.

Explications. A ses yeux, la faiblesse de notre industrie vient essentiellement d’une réglementation qui « a toujours orienté l’épargne vers l’immobilier puis l’assurance-vie ». Conséquence : « Les actionnaires individuels n’ont donc pas remplacé les investisseurs institutionnels » qui sont partis, nous dit-il, ajoutant : «Ils n’ont pas été remplacés non plus par des systèmes de retraites par capitalisation ».

Sarkozy avait été contraint de reculer sur ce dernier point. Est ce à dire qu’il faut s’attendre à la réouverture du chantier par Macron. A l’occasion de la loi Macron 2 annoncée pour l’été, peut être ? Dans ce cas,l’article dévoile un vrai danger.

Puis il continue « La France est donc entrée dans une ère de capitalisme naïf qui a conduit à privilégier les intérêts d’actionnaires aux stratégies de court terme : c’est pour eux le cours de Bourse quotidien qui compte, et c’est donc la spéculation qui motive ».

On applaudirait des deux mains si on n’avait pas entendu d’autres voix, lu d’autres livres. Bernard Maris, Jean de Maillard, Pierre Lascoumes, Gaël Giraud, Jean-Michel Naulot, Christian Chavagneux, et bien d’autres, pour finir par le dernier ouvrage publié par ATTAC et Basta ! « Le livre noir des banques », aux Editions ‘’des Liens qui Libèrent’’.

A leurs yeux, le capitalisme français n’a pas la naïveté que lui prête Macron, mais Macron prend, lui, ses lecteurs pour des naïfs.

Car si ce ne sont pas les banques et la finance qui privilégient les intérêts des actionnaires et le court terme, il faudrait que Macron nous l’explique. Mieux même, nous serions en droit d’attendre de sa part ce qu’un véritable socialiste devrait faire :

- Interdire le trading à haute fréquence, qui démultiplie les risques et représente « désormais 40% du volume quotidien traité sur le marché des actions européen ». (Source Le livre noir des banques). Il pourrait d’ailleurs se faire conseiller par son mentor auprès de Hollande,  J-P Jouyet,  qui a dit qu’il faudrait limiter ou supprimer le THF si on ne pouvait le contrôler.

- Défendre au Conseil Européen la taxe sur les transactions financières que Michel Sapin sabote discrètement. Cette taxe est la seule façon d’enrayer ces échanges spéculatifs de tous ordres, passés en quelques millionièmes de seconde, et qui le sont de façon frauduleuse, car, à 99% annulés aussi rapidement qu’ils ont été émis, les traders ne gardant que les ordres « profitables ». (Citations prises dans le livre d’ATTAC).

- Soutenir le crédit aux PME, en obligeant les banques françaises à leur accorder les prêts demandés et qu’elles leur refusent trop souvent. 60% des entreprises françaises obtiennent la totalité des sommes demandées, alors que ce chiffre monte à 80% en Allemagne. Macron ne dit pas un mot sur le crédit dans sa tribune. Ignore-t-il que seize grandes banques européennes ont accru de 550 milliards leur exposition aux dettes souveraines (pour spéculer) et réduit de 440 milliards leurs prêts aux entreprises ? En réalité, Macron, comme Draghi, a une vision asymétrique. Tout pour les banques. Rien pour les Etats et les peuples.

Mais qui pense aujourd’hui que Macron, passé de Rothschild à Bercy, ambitionne de mener une politique pour contrer le « capitalisme naïf  français » ? Peut-on attendre cela d’un homme qui a dit au journal Les Echos qu’il nous fallait « des jeunes français qui aient envie de devenir milliardaires ». Une phrase qui avait consterné la gauche et amusé la droite.

N’est ce pas lui encore, qui avait mis dans son projet de loi une tentative de renforcer le secret des affaires, avant d’être contraint de reculer. Un projet ultra libéral que Bruxelles porte par ailleurs, et qu’un collectif a dénoncé dans Le Monde, le qualifiant de contraire aux droits fondamentaux.

Macron veut donc réformer le capital sans s’attaquer aux disfonctionnements qui le caractérisent.Nous en avons vu ci dessus quelques uns. Il y en a d’autres. Comme le surcoût du capital. Celui ci était de 13,8% avant la financiarisation de l’économie, contre 50% aujourd’hui en France. (Etude du Clersé, Université de Lille 1, Centre Lillois d’études et de recherches sociologiques et économique). Une étude à lire pour relativiser ce fameux coût du travail dont Gattaz nous parle tout le temps et  qui entraverait nos entreprises.

En fait, le long texte de Macron n’a qu’un objectif, lancer deux ou trois propositions pour se construire une image de « progressiste ». Seule semble claire celle visant à constituer une minorité de blocage dans les entreprises pour se préserver d’initiatives managériales non contrôlées. Chez Renault, par exemple. Via un dispositif de vote double pour les actionnaires de long terme. Ce que permet la loi Florange, portée par son prédécesseur à l’économie, Montebourg, Un vote double que 50%  des entreprises du CAC 40 pratiquaient déjà avant la loi.

Restent trois propositions faites par Macron.

D’abord, « Favoriser les acteurs qui portent intrinsèquement une vision de long terme ». Ce serait parfait si ceux ci ne portaient par malheureusement une vision de court terme, comme vu plus haut.

Ensuite, « Inciter plus fortement les français à investir dans nos entreprises ». Macron veut donc « rendre la fiscalité des actionnaires individuels plus encourageante ». Cela a été tenté plusieurs fois dans le passé. Peut il nous expliquer comment il va réussir là où les autres ont échoué ?  En fait, ce qu’on peut supposer derrière, c’est une réponse positive à la demande des banques qui veulent voir croitre leur part du marché de l’épargne règlementée, pour l’utiliser librement, ce qui n’est pas le cas actuellement. La part des banques est aujourd’hui de 35%, le reste étant déposé à la Caisse des Dépôts, qui l’investit dans des financements socialement utiles. 

Enfin, « Remobiliser les investisseurs institutionnels », « En réorientant les fonds des caisses de retraites vers la détention d’actions françaises ». Il dit à ce sujet travailler à l’évolution de la règle européenne « Solvency 2 » (Solvabilité 2, en bon français) qui concerne les sociétés d’assurances. Une question technique qui demande a être développée.

Conclusion. Macron, l’enfant doué de Jouyet et Attali, comme l’a écrit l’Express en 2013, est un élément à surveiller de près.

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