La crise est morale, dans la mesure où on peut dire que, dans la foulée de la seconde guerre mondiale et du programme du CNR, l’organisation politique et économique avait été refondée sur une base humaniste, avec la volonté de faire régner, comme l’a dit Alain Supiot, en parlant des accords de Philadelphie, « un peu de justice dans la production et la répartition des richesses à l’échelle du monde ».
Depuis, le remplacement du capitalisme par l’ultra capitalisme, de l’économie libérale par une économie ultra libérale, nous a fait perdre ce monde, qui a fonctionné une trentaine d’années, fondé non pas sur la force mais sur le droit et la justice.
Sans vouloir considérer que tout passé est meilleur que le présent, nous sommes bien forcés par la crise à faire un bilan historique des 60 dernières années, afin de voir ce qui a fonctionné et ce qui a mis en place les disfonctionnements qui nous ont amenés à la crise actuelle.
C’est bien notre connaissance de l’histoire qui nous permettra de refonder un monde où l’homme ait à nouveau sa place, ne soit pas nié par des orthodoxies qui ont fait faillite, comme celles qui dominent dans l’enseignement, dans les médias et dans les têtes, celles de l’économie ultralibérale.
L’ennemi, c’est l’orthodoxie. Et c’est l’événement.
Il est temps de mettre aujourd’hui au fronton de notre pensée ces paroles d’Albert Hirschman : « L’ennemi principal, c’est bien l’orthodoxie ; répéter toujours la même recette, la même thérapie, pour résoudre toutes sortes de maux ; ne pas admettre la complexité, vouloir à tout prix la réduire ». (Repris dans Alternatives Economiques de janvier 2013).
Mais auparavant, il faut nous libérer, comme nous le dit Jean-Luc Marion, dans son livre d’entretiens avec Dan Arbid, ‘’ la rigueur des choses ‘’, de notre incapacité à penser la réalité de notre temps au prétexte que le pouvoir politique n’a plus de véritable pouvoir, que les responsables économiques qui croyaient tenir la vraie richesse n’en ont guère plus, que même les financiers qui semblaient, eux au moins, exercer le pouvoir (occulte, bien sûr) ne savent plus ce qu’ils font, ni même s’ils font vraiment autre chose que courir après leurs mécanismes de déréglementation.
Echapper à la crise c’est échapper à l’événement qui devient la crise. C’est échapper à l’évaluation qui nous condamne, car l’évaluation, qui ne peut concerner que des objets, n’est plus adaptée à ce qui advient comme événement. Il nous faut donc nous libérer.
Réinventer le monde.
Et nous libérer c’est prendre conscience que quoi qu’on nous ait dit ou appris, au cours des 30 dernières années, nous vivons dans une société, dans un monde, où priment le rapport de force des un sur les autres, le pouvoir de l’argent, le détournement du droit et du bien commun par quelques uns, l’abaissement de l’intérêt général au profit d’intérêts particuliers.
Et, ayant pris conscience qu’il nous faut retrouver l’esprit de Philadelphie, cette voie propre à tenir également à distance les effets dévastateurs du « Tout – Marché » et les effets liberticides du « Tout – État », comme l’écrit Alain Supiot, il nous faut repousser l’orthodoxie ultralibérale qui a dénoncé comme un « mirage » le principe de justice sociale.
Ayant compris tout cela, il nous reste à prendre conscience que même au sein de la droite dite républicaine, même au sein de la gauche dite de progrès, la pensée orthodoxe règne en maître. Le rêve d’un monde meilleur n’est plus véhiculé par ces jumeaux dizygotes dont les chicanes quotidiennes sont contre-productives. Il faut sortir de ce blocage, inventer des comportements nouveaux, imposer le chemin de l’intelligence collective et de la créativité personnelle, réinventer ce que Chris Anderson appelle de ses vœux, non pas une nouvelle forme de capitalisme, mais la plus ancienne forme de capitalisme dans l’histoire, celui au sein duquel on invente, on produit et on vend. Comme sur la place du village autrefois. Mais d’une manière complètement originale basée sur les nouvelles technologies et sur Internet. (Comme le rapporte Patrick Vallelian dans l’Hebdo du 25 décembre 2012). Mais nous pensons aussi à des solidarités à réinventer, au plus près des territoires.
Retour du politique.
Nous ne nous passerons pas, bien entendu, du politique, qu’il nous faut repenser, enrichir, reconstruire. Un seul chemin le permettra, celui qui sera capable de faire marcher de concert ceux qui ont plus d’idées à partager que de querelles à entretenir.
Ce chemin, c’est celui de la démocratie, celui des démocrates. Mais pour l’emprunter il nous faut tous, de quelque bord que nous soyons, laisser de côté nos préjugés, nos idéologies, nos croyances. En un mot, il nous faut affirmer notre souci d’indépendance.
Seul un esprit d’indépendance à droite, au centre, et à gauche, peut nous permettre de rechercher les coopérations qui s’imposent pour sortir notre pays, l’Europe, le monde de la crise dans laquelle ils sont embourbés.
Seul un esprit d’indépendance peut imaginer comment échapper à la lourdeur des pouvoirs constitués, celui des partis, celui de l’argent partout dominant, celui des croyances dévoyées par l’intolérance.
Seul un esprit d’indépendance peut exiger que les promesses formulées deviennent des promesses qui ne soient pas oubliées.
Seule l’indépendance permet de dire et d’exiger la vérité. N’oublions pas que seule la vérité est révolutionnaire. Il nous faut donc lutter contre ceux qui pervertissent la vérité et soutenir ceux qui la dévoilent.
Nous devons donc participer à la lutte ; contre les climato sceptiques, contre les tenants d’une banque et d’une finance dérégulées, contre ceux qui pratiquent l’optimisation fiscale afin d’échapper à leur devoir devant l’impôt, contre les décisions opaques, contre la puissance des réseaux, contre ceux qui s’exilent après avoir obtenu de leur pays et de leurs concitoyens la fortune que méritait leur talent.
Il nous faut donc une majorité plus large, plus ouverte, plus rassembleuse, plus stable. 2013 doit nous l’apporter. Nous sommes face à une responsabilité collective à laquelle il serait criminel de vouloir échapper.
Bernard LEON