Jamais les moyens n’ont autant manqué pour faire face aux problèmes qui se posent à nos sociétés. Aucune alternative, en conséquence, ne peut être avancée, sans engagements innovants, pour répondre à la crise générale et multifaces qui touche nos pays européens. Pourtant, par paralysie intellectuelle, peu de projets sont présentés à ce jour, qui puissent à la fois mobiliser et donner de l’espoir aux citoyens. Les grands partis sont en perdition.
La faute en est à l’argent qui manque aux Etats, car accaparé partout par les fraudeurs, la criminalité organisée ou en col blanc, l’évasion et l’évitement fiscal, la création de monnaie au seul bénéfice des banques et de la spéculation financière, la concurrence faussée, la conversion des grands partis à religion néolibérale qu’ils servent en bons enfants de chœur.
Dès lors, on nous dit que nous vivons une crise, mais nous dirons avec Podemos, le nouveau parti espagnol, et Patrick Viveret, que nous vivons plutôt une arnaque. « La crise est un mot écran » inventé par une oligarchie mondiale, nous disait ce dernier dans une interview à Libération en septembre 2013. Poursuivant : « Il vaudrait mieux parler avec Edgar Morin de « métamorphoses… Cela passe notamment par le discours sur la dette. Michel Rocard et Pierre Larrouturou, (le co-président du tout jeune parti Nouvelle Donne), l’ont montré dans un livre écrit ensemble ».
Mais une fois dit ceci, que faire ? Tout d’abord, montrer aux citoyens désemparés que des solutions existent pour relever les défis que la politique classique ne sait plus relever, que des voies nouvelles sont partout dans le monde en expérimentation, que la société civile, au travers de nombreuses associations, travaille à écrire un avenir non plus basé sur la logique de la seule économie vouée au court terme, mais réinventé sur les bases de l’égalité entre tous les humains, quels que soient leur métier, leur âge, leur lieux de vie, et ceci dans une durée transgénérationnelle qui est la marque d’un temps partagé dans la responsabilité et la solidarité.
Le cadavre des peuples bouge encore.
Nous sommes nombreux à constater la nécessité d’un changement radical de nos pratiques politiques. La nullité coupable des hommes et des femmes qui occupent les postes de dirigeants dans nos Etats européens et leurs institutions, leur soumission aux mythologies économiques* néoclassiques, leur dépendance à un savoir dépassé, leurs pratiques d’un autre âge qu’ils ont appris dans des livres d’un autre temps, leur culture très souvent inconsistante, appellent un changement radical d’hommes et de méthodes.
Et les peuples commencent à bouger. En Espagne et en Irlande, les résultats des dernières élections font place à l’incertitude quant à la possibilité des partis dominants à former un gouvernement. Des femmes nouvelles, des hommes nouveaux ont surgi des mouvements de contestation populaire. De nouveaux partis ont vu le jour, comme Podemos ou Ciudademos. Ils siègent dans les parlements nouveaux, ou s’apprêtent à y siéger. En Grande-Bretagne des changements se dessinent, déjà actés à la tête du parti travailliste avec l’élection surprise de Jeremy Corbyn. Demain, ce sera suite au referendum sur la Brexit, autour duquel se joue le même jeu qu’autour du referendum de 2005, avec la mise en place d’une carte de la peur. « G20 : le Brexit, un choc à éviter à tout prix pour les grands argentiers », écrit l’AFP.
De l’Europe à la France.
En Europe, nous n’échapperons pas à des révisions déchirantes. Tout va si mal que Le Monde n’a pas hésité a écrire sur fond de crise des réfugiés, un éditorial titré « Un moment historique », expliquant : « On ne sait plus quelle expression utiliser. Sous le choc de la vague migratoire, l’Europe se disloque, se désintègre, se décompose… plombée par l’absence de dirigeants politiques européens d’envergure** ».
Mais en France ? Il en va de même et la messe vient d’être dite par Martine Aubry : « Ce n'est plus simplement l'échec du quinquennat qui se profile, mais un affaiblissement durable de la France qui se prépare ». Une lucidité dont on espère qu’elle sera durable.
Une lucidité dont on espère qu’elle lui permettra de pouvoir débattre avec tous et surtout d’écouter les propositions nombreuses qui vont être présentées dans les semaines et les mois qui viennent, par la société civile, ou de nouvelles mobilisations, parmi lesquelles plusieurs sont à signaler.
Celle du Mouvement Utopia, dont les travaux ont pour but de servir à tous. Un projet de plateforme « Buen Vivir », qui appelle à une refondation de la relation Humanité/Nature est en préparation. Il vise à ce que toute intervention humaine soit raisonnée, respectueuse de la nature dans nos modes de vie, et éclaire de ces principes des propositions sur une démocratie à remettre sur pieds. Utopia va éditer sous peu « De quoi l’effondrement est-il le nom ? », un livre écrit par Renaud Duterme, avec un avant propos de Pablo Servigne spécialiste de la notion d’effondrement, lui même auteur d’un livre qui fait référence sur le sujet.
La lutte contre l’effondrement, une notion portée également par le Collectif Roosevelt, dont les fondateurs regroupent une bonne part de la bonne intellectualité française. Ses propositions sont une base d’engagement indispensable au renouveau politique, et qu’il faut espérer voir imposer aux hommes qui sortiront des primaires à venir. Sinon on retournera à la case départ, un jeu de l’oie dont les Français ne veulent plus.
Un collectif d’où est sorti le jeune parti Nouvelle Donne, dont le Plan d’urgence propose de rendre aux citoyens le pouvoir de construire une société de créativité, de justice sociale et de convivialité***. Un parti dont les 20 propositions, encore à compléter, font entendre une voix innovante. Notons que Nouvelle Donne présente un candidat au siège laissé vide par Valérie Pécresse dans les Yvelines.
Attac aussi, dont le combat en faveur d’un approfondissement de la démocratie est connu, est du nombre de ceux qui devraient influer sur les changements attendus. Combat pour les idées, certes, "Il s’agit de transformer le monde pour le démocratiser, de le démocratiser pour le transformer », lance sa profession de foi, mais aussi combat sur le réel, sur le terrain, celui de la finance, les banques, des multinationales, illustré par la fameuse opération « faucheurs de chaises ».
Autres initiative en plein développement, celle d’Alternatiba, une association de mobilisation sur les alternatives concrètes qui a rassemblé en 94 opérations « Villages des alternatives » plus de 500 000 personnes. Dans sa finalité, très écologique, il y a le combat bienvenu contre l’effet de sidération, ce sentiment d’impuissance et donc de démobilisation que peuvent provoquer la gravité et l’importance du défi climatique, en montrant que des solutions existent.
Un exemple pour toutes les autres initiatives d’alternatives en vue de 2017, car ce que les gens ne veulent plus, ce sont des projets au langage loin de leurs préoccupations, et ce qu’ils écouteront seront ceux qui mettent à leur portée, dans un langage concret, des solutions, sur le chômage et l’emploi, la vie des PME et des artisans, le logement, une question jamais réglée, le climat, une autre qui devrait être le socle d’une économie reconstruite pour un monde vivable.
Il faut écouter tous ceux qui s’élèvent contre les Valls et les Sarkozy, les Macron et les Copé, ces hommes de la compromission. Car il est urgent de se préparer au pire, au cas où l’Europe exploserait.
Se préparer au pire, cela veut dire non seulement débattre, mais mouiller sa chemise, se mobiliser, pousser au regroupement de toutes les volontés, de toutes les intelligences, et la France n’en manque pas, avoir un plan prévoyant les mesures d’urgence qui devront être prises, et aussi les mesures volontaristes pour contrer ceux qui voudront empêcher le changement, ceux qui œuvreront, en sous main ou publiquement, pour la défense des intérêts de la finance et des banques, des multinationales, ceux qui feront tout pour que rien ne bouge.
Nous sommes à la veille, peut être, d’un Munich européen et français. Il nous faut des projets pour ce moment qui sera difficile.
* Eloi Laurent in « Nos mythologies économiques, (éd. Les Liens qui libèrent).
** Paragraphe de tête de l’éditorial Le Monde du 27 février.
« On ne sait plus quelle expression utiliser. Sous le choc de la vague migratoire, l’Europe se disloque, se désintègre, se décompose. Sauf sursaut d’ici un prochain sommet européen en avril, les historiens dateront certainement de cette affaire, de ces années 2015-2016, le début de la décomposition de l’Europe. Ils diront que ce fut un beau projet commencé au milieu des années 1950 et qui s’achève avant le premier quart du XXIe siècle.
L’esprit européen aura soufflé, avec le soutien des peuples plus d’un demi-siècle, avant que le projet ne s’éteigne, devenu impopulaire, victime de son incapacité à se renouveler, plombé par l’absence de dirigeants politiques européens d’envergure ».
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https://www.nouvelledonne.fr/5-mesures-pour-lutter-contre-le-chomage-et-la-precarite/