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Billet de blog 29 août 2015

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Si Macron roule pour la droite, Le Monde roule pour Macron.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Macron manie l’art du discours avec une science aiguë. Il feint de tout savoir afin de nous contraindre à voir le monde et la gauche comme la droite rêve qu’on les voit. Et cela lui est d’autant plus facile lorsqu’il obtient le soutient public de l’auditoire réunit par le Medef lors de son université d’été. Il a parlé. Il a raison.

L’offense de Macron à la gauche.

Et c’est ainsi qu’il nous invente une gauche particulièrement ringardisée, affirmant devant un parterre envouté: « La gauche a pu croire, il y a longtemps, que la France pourrait aller mieux en travaillant moins ». Rajoutant, se rendant subitement compte que la balle va un peu loin: « Tout cela est désormais derrière nous ».  Alors pourquoi ces mots ? Où était le problème qui les justifie ?

Le problème, c’est les 35 heures semble-t-il. Sarkozy parlait de « travailler plus ». Macron ne reprend pas l’expression mais, dans une litote subtile, juge dépassé le « travailler moins ». Sans rien dire de la droite qui durant ses 10 ans au pouvoir a eu la  possibilité de  défaire la loi honnie comme elle dit le désirer, ou comme le patronat pouvait le vouloir. Macron peut-il nous expliquer pourquoi ça ne c’est pas fait ? Et peut-il nous dire pourquoi il nous repasse le plat réchauffé à la veille de l’université d’été du PS à La Rochelle ? Ce n’est pas une provocation ?

Le Monde informe. Le Monde désinforme.

Le Monde, qui rend compte en détail des paroles du ministre devant  Gattaz et ses ouailles, a-t-il éclairé notre lanterne sur le sujet ? Non. Il faut aller voir un article des Echos d’aout 2014 pour lire que « Les 35 heures « uniformes et obligatoires n’existent plus ». « Et ont été énormément assouplie ». Ajoutant que « Selon l’Insee, en 2012, la durée réelle de travail atteignait, pour les salariés à temps complet, 39,4 heures, contre 40,7 heures en Allemagne et 40,4 heures dans l’Union européenne ».

Je dis, désinformation, bourrage de crane, mensonge. Et ce d’autant plus que les Echos, il y a un an donc, éclairait déjà heureusement notre lanterne sur la volonté de Macron de revenir sur les 35 heures en recommandant d’« autoriser les entreprises et les branches à déroger aux règles de temps de travail et de rémunération », « dans le cadre d’accords majoritaires » avec les syndicats. On ne relaie donc pas un scoop, mais un coup. On est dans l’artifice.

Mais Le Monde fait mieux encore. Il constate tout d’abord que « le ministre de l'économie n'a pas hésité à s'affranchir des "  marqueurs  " qui jalonnent l'histoire de la gauche française ». Notamment sa supposée opposition aux entreprises. Une opposition telle, corrigeons nous, qu’on ne compte plus les avantages que ces entreprises ont obtenus sous les gouvernements de gauche en trente ans. N’est-ce pas Fillon lui même qui a affirmé en novembre 2009 que « Jospin a plus privatisé que tout autre gouvernement » ? Tout comme Nathalie Kosciusko-Morizet affirmait sur Atlantico le 27 février 2012 que « La gauche aurait été plus généreuse avec les plus aisés que le gouvernement du président Sarkozy ». Rappelant au passage la réduction de la fiscalité sur les stock-options décidée sous le gouvernement Jospin ».

En fait, la gauche n’est pas contre les entreprises, elle est, pour une partie d’entre elle, contre les entreprises constituées en oligopoles, contre l’organisation de l’évitement fiscal de ces dernières organisées avec la complicité de cabinets d’avocats spécialisés. Ne sont pas concernées les PME, qui, elles, sont dirigées par de vrais patrons et non pas par des mercenaires au service du court terme, des seuls actionnaires, partenaires des retraites chapeau et des stock options… et de la tricherie en bande organisée comme les grandes banques nous l’ont montré.

Le Monde boit les mots du ministre avec bonheur, louant « sa liberté de parole » : "  Vous avez l'amour et vous avez les preuves d'amour  ", a lancé M.  Macron, en référence au "  j'aime l'entreprise  " prononcé un an plus tôt par Manuel Valls au même endroit, devant le même auditoire ». Des preuves qui plaisent au quotidien du soir, qui se félicite qu’elles vont « raviver l’acrimonie de ceux qui s’agacent de voir le ministre de l’économie se multiplier sur tous les terrains, quitte à empiéter sur le leur ».

Devenu au cours des années ardant partisan de l’économie néoclassique, et donc partisan des déréglementations, Le Monde n’a de mots que pour se féliciter des supposés échecs de la gauche, de ses divisions, de ses « illusions ». Pour mieux faire oublier les divisions de la droite ? Vraisemblablement.

On le sent bien dans la chronique de Françoise Fressoz : « Le moment Macron », dans laquelle elle n’hésite pas à écrire « Tout est à reconstruire ». Mais « avec, cependant, un éclaireur, Emmanuel Macron » qui « n’a pas la mondialisation honteuse », rajoutant : « C'est le moment Macron, à la fois prometteur et ambigu ». Sauf qu’on se demande ce qu’il faut reconstruire ? Et qui avait détruit ce qu'il faut reconstruuire ? La gauche ? En trois ans ? Ou la droite en 10 ans ?

Question ambiguïté, on apprécie. Au point de se demander au final pour qui roulent Macron et Le Monde ? Macron qui n’est pas inscrit au PS roule à droite, donc pour la droite. Il n’y a pas photo. Le Monde, journal de gauche passé à droite ne roule que pour elle désormais, c’est une évidence.

Macron a donc un bel avenir. Genre Eric Besson. Futur ministre de l’économie d’un gouvernement de droite, c’est un beau pari pour qui n’est pas vraiment encarté à gauche.

Allez les François !

Mais tout ceci n’entraine qu’une conclusion. Si la gauche de gouvernement ne veut pas disparaître du radar électoral, il faut d’urgence qu’elle réagisse, et que Hollande réagisse. Et réagir, c’est se retrouver courageusement. C’est retrouver les valeurs premières qui ont toujours distingué la gauche de la droite. Pour construire un projet qui rassemble. Qui mobilise tous les mouvements citoyens, toutes les tendances de la gauche. Hollande aura-t-il l’intelligence de la reconquête ?

A l’heure où un dénommé François, pape dans son Etat, n’hésite pas à lancer un formidable aggiornamento de l’église catholique, qui provoque un silence gêné à droite et au centre, c’est un homme de gauche, Jacques Julliard, qui lui rend hommage en écrivant dans Marianne, que tout au long de sa dernière encyclique « Ce pape » qui « n’est pas marxiste, mais anticapitaliste, ce qui n’est pas la même chose », désigne un accusé principal : « C’est le profit, l’appât du gain. Au delà de la technocratie de notre époque, il y a la cupidité du capitalisme ».

Il reste à espérer qu’un autre François, président dans son Etat, ait eu le temps de lire le premier, de le méditer, de s’en inspirer.

« Le pape François nous demande de changer la vie » écrit Julliard. « Changer la vie ». Ca ne vous rappelle pas quelque chose ?

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