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Billet de blog 30 octobre 2017

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Emmanuel Macron philosophe. Du leurre au simulacre.

Macron est l’illustration que le leurre en politique continue de fonctionner. Aujourd’hui comme hier nous sommes, nous citoyens, condamnés à voir, sur les parois de la caverne qu’est ce monde liquide sur lequel nous n’avons plus aucune prise, s’agiter les ombres qui nous gouvernent.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Macron est l’illustration que le leurre en politique continue de fonctionner. Aujourd’hui comme hier nous sommes, nous citoyens, condamnés à voir, sur les parois de la caverne qu’est ce monde liquide sur lequel nous n’avons plus aucune prise, s’agiter les ombres qui nous gouvernent.

Ce leurre, qui nous a poussé longtemps à croire que les lendemains chanteraient, que la finance était l’ennemi d’un candidat inattendu, que les slogans de la gauche et de la droite, « Tout pour la France », « C’est maintenant », annonçaient des jours meilleurs. Alors que dans le même temps un jeune homme plein d’avenir et encore inconnu, conseiller de l’Inattendu en campagne, théorisait philosophiquement dans la revue Esprit (c’était en 2011) qu’un homme politique a toutes les excuses du monde pour ne pas respecter ses promesses, annonçant en quelque sorte que rien ne changerait sous le règne de l’inattendu Hollande, comme rien n’avait changé auparavant, et que rien ne changerait après.

Depuis, ce leurre s’est mis à fonctionner sous la catégorie du « simulacre », nous explique Harold Bernat, dans « Le néant et le politique »*. (Sous titré « Critique de l’avènement Macron »).

Mon libraire, à qui je réclamais il y a peu l’ouvrage de Bernat et qui ne l’avait pas, me disait: « On reçoit chaque jour tant de livres sur Macron, qu’on ne peut tout prendre ».

On ne peut également tout lire. Il faut donc faire un choix entre les ouvrages qui se construisent sur le nom du Président. Ente ceux, qui sont les plus nombreux, qui laissent croire aux qualités hautement morales, politiques et philosophiques de Macron, et ceux qui, y regardant de plus près, y voient un magnifique simulacre. Pour n’en citer que deux, deux philosophes, l’un de cour, Pierre-Olivier Monteil**, qui n’hésite pas à affirmer « que ce dernier (Macron) a métabolisé cette influence (de Paul Ricoeur) jusqu’à en traduire et en prolonger les termes à sa manière, dans le cadre d’un projet politique original », l’autre, critique, Harold Bernat, qui refuse de « refuser de voir ce qu’on a sous les yeux » et qui écrit « qu’on n’affronte pas le simulacre philosophique Macron comme on pense les théories d’un véritable philosophe, on ne débat pas dans l’infra-politique comme on distribue des tracts militants sur la marché », ce que font pourtant nombre de journalistes et de médias, « Macron philosophe aux cotés de Paul Ricoeur » comme l’a écrit L’Obs., ou bien, « Macron virtuose de la philosophie », comme on a pu le lire dans L’Express, acteurs d’un théâtre de l’absurde où « une voix hurle « En marche ! ». Et puis plus rien. Rien de plus. Rien de plus encore ». (Bernat, page 128).

Mais le plus agaçant, je l’ai déjà écrit dans mon précédant article, c’est cette légende du siècle, cette image d’Epinal qu’on est en train de nous mettre dans la tête d’un Macron philosophe ricoeurien. D’un Macron dont l’action politique serait illuminée, et donc indiscutable, incritiquable, par la philosophie hautement respectable de Paul Ricoeur. Sauf que, lorsqu’on va y voir de plus près, il n’en est rien. Que Macron ait travaillé avec Ricoeur comme assistant éditorial n’est pas le problème. Le problème est qu’il s’en réclame, faisant de Ricoeur le masque d’une politique que Ricoeur n’aurait jamais approuvée.

Car, qu’est la politique de Macron sinon le programme de la doxa néolibérale en vogue depuis 40 ans ? La politique pour les riches. La politique pour la finance. La politique pour les groupes du CAC40, leurs patrons et leurs actionnaires.

Un programme illuminé par Ricoeur ? Lisons Ricoeur : « À trop parler de marché, on devient vite celui qui préconise la seule logique marchande et favorise l’acteur capitaliste ». « On est l’esclave de la représentation de la société en fonction de la seule organisation capitaliste des biens marchands » (Ricoeur. Philosophie éthique et politique, (PEP)** p. 94).

Vous imaginez ceci sous la plume du président ? Non. Et je ne le dis pas légèrement. Il suffit de plonger dans l’actualité et de mettre Ricoeur en miroir de Macron pour le prouver. Macron, mettant en place son nouveau « Comité Action Publique 2022 » lancé fort discrètement, qui sous prétexte d’amélioration de la qualité des services publics vise à abaisser de 20 milliards la dépense publique et, tenez vous bien, « à proposer des transferts au secteur privé, voire des abandons de missions »***. Une action aux antipodes de la pensée Ricoeur.

Pour preuve, il suffit de lire encore ce dernier. Ne demandait-il pas dans un dialogue avec Michel Rocard à ce que soit « commencée aujourd’hui et sans tarder, la critique du capitalisme en tant que système de distribution qui identifie la totalité des biens à des biens marchands » ? (PEP, page 98). Ou cette autre phrase de Ricoeur : « Je ne sais si le terme de libéralisme politique peut être sauver du discrédit – peut être son voisinage avec le libéralisme économique l’a-t-il définitivement compromis » (In Le paradoxe politique, P 284).

Alors Macron, toujours ricoeurien ? Ou simulacre pur, illustration du passage d’une phase « solide » à une phase « liquide » de la modernité, théorisé par le grand sociologue et philosophe Zygmunt Bauman, qui précise dans son livre « Le présent liquide » ****, que le divorce entre pouvoir et politique « Entraine Les organes étatiques à abandonner, transférer ou, pour utiliser le terme à la mode, « externaliser » un volume croissant de fonctions qu’ils accomplissaient jusque là. Délaissées par l’Etat, ces fonctions deviennent le terrain d’élections des forces du marché ».

Alors, Macron ? Ricoeurien ? Comme l’affirme Monteil, qui écrit « L’un et l’autre convergent pour réaffirmer la spécificité et le primat du politique ». Ou traitre à la pensée profonde de Ricoeur ? Comme le démontrent, non pas le programme du candidat, mais les décisions prisent par celui-ci, dés qu’arrivé au pouvoir et au cours des mois qui ont suivi. Président liquide d’une société liquide « livrée au typhon planétaire ».

Qu’en est-il par ailleurs de l’influence du philosophe Ricoeur sur Macron dans des questions sociétales ?

Retrouve-t-on chez Macron le Ricoeur qui réfléchissait sur « l’homme vulnérable », écrivant que « Trop de gens ne sont pas simplement démunis de puissance, mais privés de puissance » (In les juste 2) ? Il ne semble pas. Et ce n’est pas son slogan de campagne « Libérer la France et protéger les Français » qui l’a sauvé des sceptiques.

Retrouve-t-on, dans le Macron Président, père de la réforme (sic) du Code du travail, traces du Ricoeur qui souhaitait «  l’incorporation tenace, d’un degré supplémentaire de compassion et de générosité dans tous nos codes – code pénal et code de justice sociale » ? (In Amour et Justice, p.66).

Le Ricoeur, qui avec Aristote partageait le souhait d’une éthique du « vivre bien », ajoutant, « dans des institutions justes »*****, se retrouve-t-il dans les dispositions fiscales en faveur du 1% des Français les plus riches ? Vous ne pouvez le dire, quand bien même le simulacre vous fait de l’oeil chaque jour sur le bouclier des médias.

La sidération commence quand on ne peut plus se déprendre de l’objet, nous dit Harold Bernat, « Alors l’objet nous annihile ». Combien de temps tiendra encore l’objet politique Macron ? Le reflet du simulacre que nous renvoient les médias, comme des ombres sur les murs de notre caverne, combien de temps encore nous fascinera-t-il ?

* Le néant et le politique. Harold Bernat. Editions L’ECHAPPEE.

** Macron par Ricoeur. Pierre-Olivier Monteil. Lemieux éditeur.

*** Martine Orange, dans Mediapart du 26 octobre. Le gouvernement privatise le futur des services publics.

**** Zygmunt Bauman. Le présent liquide. Seuil.

*****La nature et la règle. Débat Jean-Pierre Changeux/Paul Ricoeur. Editions Odile Jacob.

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