Bertrand de Kermel
Abonné·e de Mediapart

87 Billets

0 Édition

Billet de blog 9 oct. 2016

Bertrand de Kermel
Abonné·e de Mediapart

Europe : qu’as-tu fait de tes promesses ?

L’accord de libre échange Canada / Union Européenne (CETA) qui sera signé en grande pompe le 18 octobre 2016, accompagné de grandiloquents communiqués et déclarations communes, place le commerce au rang de finalité,et l'Homme et la Femme au rang de moyens au service du commerce. C'est juste inacceptable.

Bertrand de Kermel
Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Europe : qu’as-tu fait de tes promesses ?

Europe, nous t’aimons encore.

Te souviens-tu de notre mariage ? C’était à Rome. En 1957.  Tu rayonnais de bonheur. Nous aussi.  Ce mariage avait tout pour réussir. Tu avais des convictions, de solides valeurs, et un caractère suffisamment trempé pour ne pas transiger avec elles. Il était certain que nos enfants seraient bien éduqués, et donc bien armés pour affronter les difficultés de la vie. Tu étais belle, douce et bienveillante. Tes pas, ta voix, le bruit de la clé dans la serrure, tout cela faisait battre quotidiennement notre cœur.

La lune de miel fut longue et formidable.  Et puis, comme hélas cela se produit trop souvent, les premiers coups de canif ont eu lieu. Tu as pris un amant, puis deux, puis cent. Il n’y en avait jamais assez. Aujourd’hui ils sont 30.000 à réclamer tes faveurs. Ils les obtiennent.

Nous avions bien quelques doutes mais… l’amour était le plus fort. Nous étions aveugles, ou faisions semblant de l’être, croyant servir l’intérêt des enfants. Croyant aussi sauver notre mariage, car nous t’aimons toujours. Parce que l’amour n’est pas rationnel.

Depuis quelques années, tout s’est accéléré. La situation ne peut plus être cachée.

Comme toujours en pareil cas, de bonnes âmes se sont chargées de nous ouvrir les yeux. Ce sont les lanceurs d’alertes et quelques auteurs de livres qui nous ont raconté l’intimité de ta vie quotidienne. Barroso chez Goldman Sachs nous a donné le coup de grâce.

L’un d’entre nous a demandé le divorce. La procédure est en cours. Nous nous contentons de faire chambre à part, espérant toujours. Nous avons mille choses à te reprocher. Nous en évoquons une seule aujourd’hui, car elle est d’actualité, et c’est la plus grave. Si tu acceptes de nous écouter, alors tout redeviendra possible.  Aujourd’hui, notre ressenti est que tu travailles pour tes amants. Contre nous.

Rappelles-toi. Le 20  janvier 2014, dans les Echos, le patron de tes amants (Klaus Schwab, le Président fondateur du Forum Economique Mondial de Davos) publiait une chronique dans laquelle il déclarait que la mondialisation était un échec collectif. Il terminait en confessant que « au fond, le message des militants anti mondialisation du 20 ème siècle était juste. »  Oups !

Nous avons lu cette chronique, persuadés que tu ferais le nécessaire pour identifier les raisons de cet échec et y remédier dans les futurs accords de libre échange. En clair, que tu œuvrerais pour remettre l’Homme et la Femme (c'est-à-dire nous) au centre du dispositif économique mondial.

C’était sans compter avec les confidences de tes amants sur l’oreiller. Que t’ont-ils dit ? Que cet aveu du Président du Forum économique mondial de Davos n’avait qu’un seul but : dégager leur responsabilité à eux, en la renvoyant sur toi et les Chefs d’Etats, au cas où le système exploserait. En échange de quelques bijoux supplémentaires, ils t’ont demandé de ne rien changer, de continuer à faire comme avant. En clair : « sois belle et tais toi ». Et tu as continué comme avant.

L’accord de libre échange Canada / Union Européenne (CETA) qui sera signé en grande pompe le 18 octobre, accompagné de grandiloquents communiqués et déclarations communes, nous rétrograde. Il nous place au service du commerce, c’est dire de tes amants. Le commerce, lui, est hissé au rang de finalité. Nous, les Hommes et les Femmes, sommes placés au second rang.  Au rang des seuls moyens.  Par quel mécanisme ? C’est très simple.

Si on prend l’article 23.3 point 2 du CETA, on constate que « chaque Etat s’engage à mettre en place des normes de travail minimales acceptables pour les salariés, y compris pour ceux qui ne sont pas couverts par une convention collective ».

Première réaction : bravo ! Excellent !  Très bien négocié.

Une petite question cependant :  que se passe t-il si un Etat ne tient pas cet engagement ? Réponse : Rien.

Si on prend ensuite l’article 8.5 point 1 du même CETA (l’un des chapitres sur le commerce). Il interdit à la France de demander aux entreprises (françaises ou étrangères) d’acheter, ou de privilégier une marchandise ou un service produit en France. (Circuit court).

Si la France demande néanmoins un tel engagement, au nom de l’emploi et de la cohésion sociale, une entreprise Canadienne installée en France pourra immédiatement engager un procès. Elle gagnera.

Tu le vois, le Commerce et l’argent (c'est-à-dire ce qui appartient à tes amants) sont hissés au rang de finalité dans la mondialisation, car les engagements les concernant sont contraignants. De son côté, l’Homme et la Femme (nous) deviennent un simple moyen, puisque tout ce qui les concerne est facultatif, donc sans grand intérêt, sinon pour la communication.

Reconnais que nous sommes héroïques de ne pas demander le divorce. Si tu refuses ce qui suit, nous craignons que la rupture soit inévitable. Ce ne sera pas de notre faute.

Donc, pour la 20ème fois, nous te demandons d’insérer la phrase suivante dans la déclaration commune  UE / CANADA que demain mardi 11 octobre,  tu vas présenter aux ambassadeurs des 27 pays auprès de l’UE, puisque tu as refusé de le faire dans l’accord lui-même.

« En cas de différend portant sur les chapitres 23 (commerce et travail) et 24 (commerce et environnement) et si, malgré les efforts réels et vérifiables des parties pour trouver une solution, le différend s’avère insoluble par la voie amiable, il est alors réglé selon les modalités prévues à la section C du chapitre 29 ». (C’est à dire le système d’arbitrage prévu pour les clauses commerciales). Cela remettra l’Homme au même niveau que le commerce.

Cet amendement va-t-il diminuer les échanges entre le Canada et l’UE d’un seul dollar ? La réponse est évidemment non. Alors, pourquoi le refuser, puisque même à Davos, on tire la sonnette d’alarme ?  Pourquoi refuser puisque même les américains ont rendu obligatoires les clauses sociales et environnementales de l’accord transpacifique signé en février dernier, comme ils l’avaient déjà fait dans l’accord KORUS (Etats Unis/ Corée du sud, signé en 2012 ?

Et pourtant la Grande Amérique a plus d’amants que toi. Ils sont 30.000 lobbyistes à Bruxelles, quand Washington, en compte 35.000. L’Amérique s’est ressaisie. Ne peux-tu te ressaisir également, en souvenir de notre serment commun de 1957 ? Alors nous te pardonnerons tout.

On t’aime encore, Europe. 🙂

Bertrand de Kermel

Président du Comité Pauvreté et Politique

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bienvenue dans Le Club de Mediapart

Tout·e abonné·e à Mediapart dispose d’un blog et peut exercer sa liberté d’expression dans le respect de notre charte de participation.

Les textes ne sont ni validés, ni modérés en amont de leur publication.

Voir notre charte