Cessons de fustiger les quarante députés wallons accusés de saboter le commerce mondial. Ils déclarent simplement : oui au commerce mondial, mais pas comme ça. Qui peut affirmer qu’ils ont tort ?
Essayons d’y voir plus clair.
1 – Quel est le vice de construction fondamental du CETA ?
Il est bâti sur le modèle de tous les vieux accords des années 90 : toutes les clauses sur le commerce ainsi que celles sur l’argent (les investissements) sont contraignantes. Le pays qui ne les respecte pas est passible du dispositif de règlement des différends, qui peut le condamner à de fortes amendes.
En revanche, les clauses concernant l’Homme et l’environnement sont toutes purement facultatives. Que se passe t-il si elles ne sont pas respectées ? Rien.
Par conséquent, le commerce et l’investissement sont hissés au rang de finalité dans la mondialisation, car les engagements les concernant sont contraignants. De son côté, l’Homme devient un simple moyen, puisque tout ce qui le concerne est facultatif. Idem pour l’environnement (dont le climat !) qui est réduit à un simple coût à minimiser au maximum.
L’économie n’est plus au service de l’Homme. C’est le contraire. Cette inversion des normes sera irréversible dans la mondialisation, car le CETA servira de modèle aux 18 accords qui vont suivre.
Beau projet de société pour tous ceux qui sont en quête de sens !
2 – Que nous disent les Parlementaires wallons ?
Au point Q de la résolution qui a motivé leur refus du CETA on peut lire :
"Vu l’absence d’inclusion de normes sociales et environnementales contraignantes et assorties de sanctions s’appliquant à l’ensemble des chapitres du Traité",…
Ce constat est indiscutable. Qui peut reprocher au Parlement wallon de s’en offusquer ?
3 - Le Parlement Wallon est-il le seul à demander que les clauses sociales et environnementales soient contraignantes ?
Oh, que non. Qu’on en juge :
Premier soutien aux wallons : le gouvernement français. Il écrivait dans un rapport de décembre 2015, page 86 : « il faut soumettre le chapitre "développement durable" (c'est à dire les normes sociales et environnementales), au mécanisme de règlement des différends de l'accord au même titre que les clauses commerciales... »
Deuxième soutien aux wallons : le Parlement européen. La résolution du Parlement européen du 8 juillet 2015 précise :
« … veiller à ce que le chapitre sur le développement durable soit contraignant et exécutoire et ait pour objectif la (ratification), la mise en œuvre et l'application intégrales et effectives des huit conventions fondamentales de l'Organisation internationale du travail (OIT) et de leur contenu, de l'Agenda pour le travail décent de l'OIT ainsi que des accords internationaux fondamentaux dans le domaine de l'environnement »
Troisième soutien aux Wallons : l’ancien Président de la République française. Le 27 janvier 2010, Nicolas Sarkozy, au nom de la France, déclarait à Davos : « L'avancée décisive à mes yeux serait de mettre le droit de l'environnement, le droit du travail, le droit à la santé à égalité avec le droit du commerce ».Il a réitéré le propos par deux fois aux Nations Unies et à l’OIT.
Quatrième soutien aux wallons : Monsieur Ban-ki-moon. Il déclarait à Beyrouth le 3 juin 2011 :
«Nous ne pourrons construire un monde juste et équitable que lorsque nous accorderons un poids égal aux trois composantes du développement durable, à savoir les composantes sociale, économique et environnementale ».
Cinquième soutien aux Wallons : les américains. Lors de sa présentation à la presse de l’accord transpacifique, le Président Obama a lui-même souligné que cet accord « inclut les engagements sur le travail et l'environnement les plus forts de l'histoire, et que ces engagements sont opposables, contrairement aux accords passés».
Cinquième soutien bis aux wallons. Rappelons que l'accord entre les États-Unis et la Corée du Sud (dit « KORUS »), entré en vigueur en 2012, « étend les prérogatives dumécanisme de règlement des différends par rapport à ses prédécesseurs, notamment en rendant le non-respect des engagements en matière de travail et d'environnement explicitement passible de représailles commerciales ».
Voilà le vrai enjeu de tous ces accords négociés par la Commission Européenne.
Or, rendre contraignantes et opposables les clauses sociales et environnementales du CETA, comme le demandent à la fois le Parlement wallon et le Parlement européen, ne diminuerait pas d’un seul dollar les échanges entre les entreprises canadiennes et européennes. Alors pourquoi s’y opposer, alors que la situation en 2016 exige un changement fondamental dans la conception de la globalisation ?
4 – Qu’en pense Monsieur Klaus Schwab Président fondateur du Forum Economique Mondial de Davos ?
Dans le journal français LES ECHOS du 20 janvier 2014, il avouait que « la mondialisation était un échec collectif », ajoutant que « au fond, le message des militants anti mondialisation du siècle dernier était juste » Déclaration inouïe de la part de ce Monsieur, compte tenu de ses fonctions.
Quel était le message de ces fameux militants ? « Le monde n’est pas une marchandise ».
Cela signifie que la mondialisation sera un échec tant qu’elle érigera le commerce et l’argent en finalité et l’Homme en moyen. La France (elle n’est pas la seule) est au bord de la révolution. Le Royaume Uni a eu le Brexit. Les mouvements extrémistes montent en puissance partout en Europe et ailleurs.
5 – Que répond la Commission européenne ?
Malgré ce que dit Klaus Schwab et tous ceux qui ont réfléchi à la mondialisation actuelle, nous voulons encore plus de dérégulation et surtout pas de développement durable. Le business avant tout. La mondialisation est un échec ? Faisons en plus, sur le même modèle qui a échoué, et tout va certainement s’arranger.
Donc, oui à des clauses contraignantes et opposables pour le commerce et les investissements, mais non pour ce qui concerne les clauses sociales et environnementales, qui doivent rester facultatives. (C’est à peine caricaturé).
Voilà pourquoi la réponse de la Commission qui n’a jamais avancé le moindre argument sérieux pour expliquer sa position de façon rationnelle, est suspecte. (Cette absence d’explication est par ailleurs inadmissible vis-à-vis du co-législateur qu’est le Parlement européen, seul représentant légitime des 500 millions de citoyens),
On ne peut s’empêcher de rapprocher cette position avec la présence de Barroso chez Goldman Sachs, et avec toutes les rumeurs qui circulent sur ce qui se passe à Bruxelles avec les 30.000 lobbyistes.
Si, à minima, la Commission donnait satisfaction aux Wallons sur ce point précis consistant à rendre les clauses sociales et environnementales contraignantes, peut-être accepteraient-ils de reconsidérer leur position, ou au moins de l’assouplir. Ne nous y trompons pas. Ce sont eux qui ont raison.
6 – Est-il encore possible d’accéder à la demande des Parlement wallon et européen ?
Oui bien sûr.
On peut certainement insérer dans la déclaration commune Canada/ Union européenne, (sous réserve qu’elle ait la même valeur que le CETA), un amendement de 50 mots, qui rendra les clauses sociales et environnementales opposables, et passibles du règlement des différends prévu pour les clauses commerciales ».
Sous réserve d’expertise, cet amendement pourrait, par exemple, revêtir la forme suivante :
« En cas de différend portant sur les chapitres 23 (commerce et travail) et 24 (commerce et environnement) et si, malgré les efforts réels et vérifiables des parties pour trouver une solution, le différend s’avère insoluble par la voie amiable, il est alors réglé selon les modalités prévues à la section C du chapitre 29 ». (C’est à dire le système d’arbitrage prévu pour les clauses commerciales).
7 – Y a-t-il des effets collatéraux à la situation actuelle ?
Potentiellement, oui. Et ils sont importants. Le Parlement européen joue gros sur son avenir. En laissant piétiner sa résolution du 8 juillet 2015, il se laisse définitivement réduire par la Commission à un simple rôle de conseil économique et social dont les résolutions n’ont aucun intérêt.
En outre il se déconsidère. Le paradoxe est le suivant : le Parlement européen dit blanc le lundi (résolution du 8 juillet 2015) et la Commission exige qu’il dise noir le mardi, en approuvant le CETA tel qu’il est aujourd’hui.
Il est sur le point d’obtempérer. Or, parallèlement, la Commission se plait à souligner qu’il portera seul la responsabilité du contenu du CETA, puisqu’il est co-législateur, et qu’il sera le dernier à décider. C’est complètement fou.
Quel député européen peut expliquer cette logique à ses enfants un dimanche soir, pendant le dîner, tout en rappelant que le PE est le seul représentant légitime des 500 millions de citoyens européens, qui lui font confiance pour défendre leurs intérêts ?
Non, les wallons ne méritent pas les critiques qui leur sont adressées.
Bertrand de Kermel
Président du Comité Pauvreté et Politique
www.pauvrete-politique.com