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Billet de blog 23 juillet 2020

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Adresse au nouveau Garde des Sceaux-ministre de la Justice

La nomination d’Éric Dupond-Moretti en qualité de Garde des Sceaux-ministre de la Justice a suscité autant d’inquiétude qu’elle a créé d’espoir. Une chose est certaine : les attentes sont immenses, à la hauteur des besoins de moyens et de transformation du système juridictionnel.

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La nomination d’Éric Dupond-Moretti en qualité de Garde des Sceaux-ministre de la Justice a suscité autant d’inquiétude qu’elle a créé d’espoir.

Une chose est certaine : les attentes sont immenses, à la hauteur des besoins de moyens et de transformation du système juridictionnel.

La loi de modernisation de la Justice du XXIe siècle promulguée le 18 novembre 2016 avait été le fruit d'un long travail de réflexion et de concertation avec pour point d'orgue le grand débat national des 10 et 11 janvier 2014 suivi du débat parlementaire autour des deux projets de loi présentés. La loi avait pour ambition d'améliorer pour tous la Justice du quotidien en la rendant plus proche, plus simple et plus efficace, notamment par la généralisation du service d'accueil unique du justiciable.

Pourtant, force est de constater que cette réforme au titre pourtant ambitieux n’a jamais été porteuse d’un véritable grand dessein pour la Justice de notre pays et que, presque quatre ans après son entrée en vigueur, l’état de la Justice est loin de s’être amélioré. Chaque réforme mise en œuvre depuis des décennies a semblé, à chaque fois, être davantage orientée vers des préoccupations d’ordre budgétaire que vers l’amélioration de notre système de traitement des litiges et de règlement des conflits inhérents à toute vie en société.

Ainsi, moins d’un an après l’adoption de cette réforme, une nouvelle réforme était déjà annoncée. Pourtant Madame Nicole Belloubet n’a pas su insuffler à cette volonté présidentielle la force nécessaire. La nomination inattendue d’Éric Dupond-Moretti témoigne de cet échec.

Le fait est que les réformes se succèdent et que, dans la constitution de la Ve République, la Justice est toujours une simple Autorité et non un Pouvoir comme devrait pourtant l’exiger le principe de séparation des pouvoirs tel qu’il a été pensé dès le XVIIIe siècle par Montesquieu.

Pour le nouveau ministre de la Justice, il ne saurait y avoir d’autres chemins que celui de porter une réforme profonde qui fera de notre Justice un véritable pouvoir digne d’une démocratie moderne et d’un État de droit à la hauteur de ce qu’implique ce concept. Ce projet exige une modification de la constitution que le nouveau ministre de la Justice a déjà annoncée comme un passage obligé.

Ce projet doit être tout à la fois ambitieux et réaliste. Ambitieux parce qu’il doit avoir pour objectif de doter notre pays d’une Justice moderne, efficace et conforme au principe de séparation des pouvoirs qui est à la base de l’organisation de notre démocratie, réaliste parce qu’il part d’une situation donnée dont il ne peut ignorer les contraintes.

I. Les grands principes directeurs de l’organisation de la Justice

La Justice a besoin de clarté et de lisibilité dans son organisation qui, aujourd’hui, est trop complexe et donc difficilement compréhensible pour le justiciable.

Les principes de proximité, de spécialité, de collégialité doivent être à la base d’une réorganisation de la Justice.

Mais il existe aussi une grande anomalie dans notre système institutionnel. Le principe de séparation des pouvoirs pensé par Montesquieu, qui sert de fondement à l’organisation des pouvoirs publics, n’a pas été amené jusqu’à son accomplissement puisque la Justice n’a jamais véritablement été conçue comme un véritable Pouvoir.

D’ailleurs la Constitution de la Ve République n’évoque que le Pouvoir judiciaire, ignorant ainsi une autre Justice, la Justice administrative, c’est-à-dire la Justice que l’État s’est donné à lui-même lorsqu’il s’agit de juger ses actes ou les actes des personnes morales de droit public. Pour remédier à cette situation, il faut concevoir un véritable Pouvoir juridictionnel.

 A. La création d’un authentique Pouvoir juridictionnel

          1. Ce qui constituerait une profonde réforme en matière de Justice, ce serait la création d’un authentique Pouvoir juridictionnel réunissant Justice judiciaire et Justice administrative. Ce pouvoir, comme tous pouvoirs, pour être légitime, devrait procéder du peuple. Dans la mesure où son objet serait l’application de la loi comme norme principale et comme expression de la volonté générale, il trouverait sa légitimité précisément dans l’application de celle-ci.

          2. L’indépendance du juge doit être garantie de manière constitutionnelle. L’indépendance est ce qui permet au juge de juger sans subir aucune pression d’aucune sorte, ni directe, ni indirecte, et par pression on entend en premier lieu la pression du pouvoir politique. Si le juge judiciaire est en principe garanti contre de telles pressions, du moins s’agissant des juges du siège, tel n’est pas forcément le cas du juge administratif même si ces pressions sont totalement contraires à son indépendance telle qu’elle est garantie tant par la loi que par le Conseil constitutionnel, qui, dans sa décision n° 80-119 DC du 22 juillet 1980, a reconnu comme principe fondamental reconnu par les lois de la République l’indépendance de la juridiction administrative.

Pourtant, ce qui est en jeu c’est un manque d’indépendance plus insidieux, indirect, qui tiendrait au mode de nomination des juges administratifs. Or il y a une différence importante entre la nomination des présidents du corps des tribunaux administratifs (TA) et des Cours administratives d’appel (CAA) et celle des présidents de section et du vice-président du Conseil d’État. Les premiers sont nommés par décret sur proposition du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des Cours administratives d’appel, les seconds par décret en Conseil des ministres, comme les directeurs d’administration centrale, ce qui peut susciter quelques interrogations, d’autant que le même Conseil d’État est gestionnaire du corps des tribunaux administratifs et des Cours administratives d’appel, et, par-là, décide de la nomination des présidents de TA et CAA.

S’agissant des magistrats judiciaires, l’indépendance des Parquets doit être établie, ceux-ci ne recevant plus de la chancellerie qu’une lettre-cadre définissant la politique pénale voulue par le législateur dans une loi adoptée en début de mandature législative.

La réunion des deux corps de magistrats judiciaires et administratifs en un corps unique, bénéficiant de toutes les garanties d’indépendance, permettrait donc de faire de la Justice au sens large un véritable Pouvoir juridictionnel.

             3. La mise en œuvre d’une telle réforme exigerait la suppression de la loi des 16-24 août 1790 qui a fondé la dualité des 0rdres de Juridiction. Si on pouvait comprendre qu’à l’époque, se souvenant du rôle joué par les Parlements et notamment par le Parlement de Paris, l’État n’a pas voulu être soumis au contrôle du juge ordinaire, cette pratique est aujourd’hui incompréhensible et non conforme à ce que doit être un État de droit.

B. La sanctuarisation de la Justice

        1. En ce qu’elle concourt directement au fonctionnement de l’État de droit, la Justice n’est pas une fonction de l’État comme les autres. À ce titre, elle doit être sanctuarisée et doit pouvoir bénéficier des moyens budgétaires conformes à l’enjeu qu’elle représente dans l’organisation des pouvoirs publics et dans le fonctionnement de la société.

       2. L’accès au droit et au juge doit être garanti aux justiciables conformément à la Déclaration des droits de l’homme de 1789 mais aussi à la Convention européenne des droits de l’homme consacrée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Les principes qui figurent dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales de 1950 prévoient que toute personne a le droit :

-de faire examiner son affaire par un juge indépendant et impartial. Celui-ci a l'obligation de rendre une décision lorsqu'il est saisi d'une affaire pour laquelle il est compétent,

-d'être jugée selon les mêmes règles de droit et de procédure applicables à tous ainsi qu’au caractère public de la procédure,

-de se faire assister ou/et représenter par le défenseur de son choix.

Ces principes doivent trouver leur effectivité dans l’organisation juridictionnelle nouvelle.

                 3. L’accès au droit, le droit à un avocat et les droits de la défense et à la défense doivent être constitutionnalisés en ce qu’ils sont des éléments constitutifs d’un État de droit.

Les droits de la défense désignent certains droits permettant aux justiciables de se protéger contre la menace d’un procès pénal :

-Le droit d’être informé de la procédure,

-le droit d’être jugé par un tribunal impartial,

-le droit d’être assisté par un avocat,

-le droit de disposer du temps nécessaire pour préparer sa défense

-le droit d’avoir accès au dossier pénal.

Les droits de la défense recouvrent aussi le principe du contradictoire ainsi que celui de l’égalité des armes. 

Ainsi, le principe des droits de la défense est tourné vers la recherche d’une relation équitable entre l’accusation et la défense.

Ces droits font partie des principes établissant un autre droit, celui du procès équitable tel que défini tant au niveau européen que national. Pourtant, si ces droits fondamentaux sont reconnus à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, ils n’ont pas de valeur constitutionnelle dans nos institutions nationales. La constitutionnalisation des droits de la défense apparaît donc comme une nécessité si l’on veut donner à la nouvelle organisation de la Justice des principes cohérents et des bases solides.

La constitutionnalisation des droits de la défense doit être accompagnée par la constitutionnalisation du droit à la défense, puisque le droit à la défense est la garantie de l’exercice des droits de la défense.

II. La réorganisation de l’administration de la Justice

A. Une fois créé un authentique Pouvoir juridictionnel, unissant dans les mêmes enceintes de Justice tous les magistrats qu’ils aient à juger des personnes physiques, des personnes morales de droit privé ou des personnes morales de droit public, il est nécessaire d’envisager différemment le recrutement et la formation des magistrats, mais aussi des avocats et de tous les intervenants dans le processus de Justice.

La création d’une école unique, formant à tous les métiers de Justice et permettant aux professionnels de connaître plusieurs carrières dans différents métiers, semble être une nécessité si l’on veut ouvrir la Justice sur la société et permettre à ses acteurs de bien juger parce qu’ils se connaissent et parce qu’ils connaissent bien la société dans laquelle ils sont amenés à intervenir.

B. La rationalisation de la carte judiciaire n’a de sens que si elle va de concert avec une rationalisation du fonctionnement des Juridictions dans le sens d’un meilleur accès au droit et au juge. 

  1. Il faut définir un maillage juridictionnel permettant l’accès au juge dans des conditions simples et directes. Le droit d’accéder à la Justice et le principe d’égalité d’accès au juge commandent donc de conserver un maillage serré et une présence certaine des tribunaux et des cours sur tout le territoire national.

Le droit d’accès au juge ne saurait se limiter au simple droit à un accueil dans une enceinte de Justice car être accueilli n’est pas être jugé. C’est bien l’accès au droit et au juge qu’il faut garantir par la possibilité d’engager une procédure et de la conduire jusqu’à son terme.

Le principe du délai raisonnable dans le règlement des contentieux impose également une proximité dans l’accès au juge, sans quoi l’éloignement et la concentration des juridictions provoqueront immanquablement un allongement des délais.

          2. La médiation et toutes les techniques permettant les rapprochements entre les parties, préalablement au procès, doivent être développées. Le droit à un procès équitable n’interdit pas, en effet, le préalable de la recherche d’une solution discutée au litige.

          3. La numérisation de l’accès au juge doit être pensée dans des conditions permettant la facilitation de cet accès mais aussi la facilitation de l’accès à un conseil sans lequel l’accès au juge peut être vain. 

Le droit d’accéder à un conseil, en quelques circonstances que ce soit, doit en effet être garanti, car accéder au juge sans être accompagné par un conseil prive ce droit d’accès de sa portée.

Le principe du caractère public de la procédure commande aussi que le règlement des litiges devant le juge puisse donner lieu, si les parties le souhaitent, à une audience contradictoire et publique.

Tel est le cadre et telles sont les grandes lignes d’une véritable réorganisation de notre Justice qui fera de celle-ci un véritable pouvoir digne d’une démocratie moderne conforme aux principes posés par Montesquieu il y a déjà 272 ans. Certes, les 600 jours qui nous séparent de la prochaine élection présidentielle n’y suffiront pas. Mais il n’est pas interdit au ministre de la Justice d’engager le processus.

                                                                                              Bertrand Mertz

                                                                                              Avocat

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