L’affreux aux Enfers

Déjà, naître un 20 juin,
Que le monde dédie
Aux réfugiés[1], c’est un
Signe de moquerie
Des Parques au chevet
D’un bébé du terroir,
Mais voilà qu’arrivé
Presque au seuil du Grand Soir,
Notre homme en ligne droite
– Que le destin est moche ! –
Depuis l’extrême droite
A passé l’arme à gauche.

Sur ordre du Tartare,
L’âme du vieux raciste,
D’un rivage barbare
Suivant la triste piste,
Devra longtemps marcher,
Spectre plus noir que noir,
Avant que le nocher,
Négociant en espoir, 
Accepte son obole
Et lui fasse franchir,
Sur sa morne gondole
Glissant comme un soupir,
L’infernale frontière. 
Point de champs Élysées
Pour notre tortionnaire,
Dont les sombres visées
Lui barrent les accès,
Mais une éternité
De tourments et d’abcès
Dans l’enclos apprêté
Pour les grossiers hérauts
Des races supérieures.
Aux pires des bourreaux
Les affres les meilleures :
Branché sur la gégène,
Tête basse, mains sales,
Qu’il brûle en sa Géhenne
D’un feu de flammes pâles !

Si tombant du plafond
Quelques morceaux du monde
Lui maculent le front
D’une coulée immonde,
C’est que là-haut sa nièce
Cherche l’antique souche
D’une ignoble noblesse,
Ou que, sous un ciel louche,
Un vieux champ de bataille
Est fumé par sa fille.
La haine ainsi travaille
Les boyaux, s’y distille. 
Que son puissant parfum
Dont les vivants s’enivrent,
Viciant l’air du défunt,
L’oblige, mort, à vivre. 
S’il cherchait le repos, 
Ses œuvres renaîtront
Par la voix des kapos
Du sinistre Achéron.

Mais s’il faut que les vers
Soient son seul avenir,
Souhaitons, goûtant ses chairs,
Qu’ils y prennent plaisir : 
Ce serait fin trop belle
Que, réduit en atomes,
Le raciste se mêle
Aux restes d’autres hommes. 
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[1] Merci Florence Mendez.