
La transparence, chez ces menteurs incurables de la Macronie, conditionnés dès leur plus jeune âge de vieux avant l’heure pour le mensonge, biberonnés au novlangue, est une exigence démocratique dont ils s’affranchissent dans l’instant même où ils la formulent. Ils sont capables, quand la simple observation en concrétise pour nous subitement l’image, avec des mouvements de troupes dans les villes ou à leurs abords, de tourner euphémiquement autour du coup de massue du confinement strict, autoritairement encadré, sans en prononcer l’expression, à telle enseigne que si nous « sommes en guerre » contre un « ennemi invisible » – le virus tremble (jouons brièvement le jeu de l’anthropomorphisme) à l’aspect de nos soldats et de nos policiers, certes pas de peur mais de délectation anticipée, puisque, comme nous tous, ils ont déjà été exposés au risque de contamination par l’impéritie de leurs chefs –, le lien logique n’est pas fait franchement entre cette mobilisation générale et la principale mesure qui eût dû être prise depuis quelque temps déjà et dont nous nous sommes plus ou moins ri, dans notre folle « indiscipline », nos dirigeants y compris : le confinement strict. Si l’on mobilise l’armée, c’est pour faire respecter ce confinement strict, pas pour tirer à vue sur M. Coronavirus, M. le président.
Transparence ? La mauvaise blague. On proclame la transparence en envoyant la grande muette. Une amie infirmière en CHU me disait hier, avant que le président ne fît ses annonces plus ou moins éventées, que la consigne avait été donnée aux personnels mobilisés à temps plein et au-delà, en première ligne, depuis deux semaines et demie, de ne pas parler aux journalistes, de ne pas brosser le tableau réel d’injonctions erratiques et contradictoires, de préparatifs insuffisants et au doigt mouillé, d’une logistique court-termiste et défaillante, d’ARS brouillonnes et attentistes, toutes choses que l’on pouvait fort bien deviner en temps ordinaire, que l’on connaissait peut-être déjà pour avoir séjourné ou consulté en hôpital, ou pour avoir échangé avec des cadres de santé qui tirent depuis des décennies le signal d’alarme à chaque dégringolade à l’échelon de dessous dans le délabrement et la désorganisation. Sachant cela, nous pensions – et voulions par là même nous rassurer à bon compte –, sur la foi de communiqués lénifiants de ministres et d’experts ex cathedra de tout poil, sur la base d’un premier tour de municipales absurdement maintenu quand d’autres pays gelaient leur calendrier électoral, que tout était mis en œuvre pour conjurer dans de bonnes conditions une grippette de pays émergent ; nous pensions que notre système de santé, hautement résilient, excellence française oblige, était « supérieur », même dans sa détresse, à tout ce qui se fait ailleurs, qu’il était en mesure de faire face, qu’il s’y était préparé, qu’on y avait veillé en haut lieu. « On » est un con, un imbécile irresponsable ou un cynique.
Nous pensions ? Au vrai, nous ne pensions pas, trop habitués à nous reposer sur des technos et des mandarins pas plus éclairés que nous sur une menace nouvelle, dont le ton péremptoire eût dû nous avertir de l’ignorance et nous dissuader de nous en faire les perroquets ou les singes. L’État comme puissance d’anticipation, comme levier et ressourcerie pour les défis à venir n’existe plus. Ne reste que l’État comme force brute et coercitive. Il est bien temps de s’en soucier, maintenant que la vague est sur nous par notre faute. Quant à exiger la transparence maintenant, c’est illusoire. Les personnels soignants ont d’autres chats à fouetter que de passer des heures au téléphone ou en visioconférence, et tout a été dit et répété. Qui écoutait vraiment ?
Notre faute, oui, sans doute, mais nous tâtonnions, victimes à la fois d’un trop-plein et d’une carence informationnelles. Et la multiplication des moyens d’informer ne nous aide en rien à l’être mieux. Pas plus que l’exemple des voisins. Autre leçon. Il y a des barrières psychologiques internes qui déjouent la technique, bloquent la circulation des bonnes initiatives et précipitent notre confusion. Ces frontières-là, il faut les interroger, car le niveau d’éducation ne fait rien à l’affaire. Nous étions tout ensemble arrogants, insouciants et paniqués, avec une remontée de peurs ancestrales dont il était de bon ton de se gausser en certains doctes milieux – ce virus n’est tout de même pas la peste noire –, alors qu’elle était un avertissement de l’instinct chez les descendants d’une génération médiévale qui connut l’extermination de masse (jusqu’à la moitié des habitants fauchés en certains endroits) et une gestion de crise sanitaire chaotique, et singulièrement dans les villes, avec des autorités dépassées, déboussolées, cloîtrées dans le déni ou les extrapolations complotistes, des édiles paranoïaques ou en fuite, et des habitants qui se comportaient à l’avenant, passant successivement par tous ces états.
Car l’exemple du dérangement vient d’en haut. Nos dirigeants, ces derniers jours, ont eu beau jeu de vilipender l’indiscipline des Français, quand eux-mêmes, multipliant les volte-face et mots d’ordre contradictoires, agissaient comme des aliénés en leur bulle, comme si de rien n’était, le comble étant atteint par une femme de président s’octroyant, malgré la consigne officielle, une promenade sur les quais de Seine, à Paris, entourée de gorilles à oreillettes, et reprochant aux Parisiens d’avoir eu la même idée inepte. Nous nous sommes, pour la plupart, comportés comme nos administrateurs, bien disciplinés, en un sens, en notre indiscipline. Nous nous sommes fiés à leurs gesticulations routinières. Le Gaulois n’est pas si réfractaire que cela. Il est même assez conformiste, et en l’occurrence hors sol, égoïste, preuve supplémentaire, s’il en fallait une, de l’impotence politique du corps civique, qui attend tout de ses délégués et de hauts fonctionnaires sur lesquels il crache à longueur de temps sans chercher à leur disputer sur le terrain une expertise qui n’est jamais que partielle. La politique est une affaire trop sérieuse pour la laisser aux politiques. Les derniers mouvements sociaux ont commencé à faire bouger les lignes, mais à la marge, malgré l’importance des enjeux, dont la pandémie met spectaculairement au jour l’éloignement et le flou dans la plupart des esprits.
Le gouvernement et ses relais se montrent maintenant comme avant tels qu’en eux-mêmes, incohérents et inconséquents du point de vue des attentes légitimes d’une population et d’administrations publiques enfermées depuis des lustres dans les boucles de rétroactions négatives de situations de crise multiples et entremêlées. Incohérents et inconséquents mais parfaitement cohérents et conséquents du point de vue de leur pomme, de leur idiosyncrasie, de leur idéologie propre, qui consiste à complexifier à l’envi, par de profitables effets de levier, un système d’interdépendances marchandes déjà complexes, aliénantes, addictives, et à détruire tout le système immunitaire des interactions sociales élémentaires et des organisations d’entraide qui en corrigent les effets et en dénoncent l’insanité. Ils nous rendent fous parce qu’ils le sont. Nous leur avons donné le trône, au lieu de la camisole et de la marotte. Ils nous imposent des situations dilemmatiques, des écartèlements moraux à hurler. Quoi qu’on fasse pour accomplir son devoir civique, on ne peut rien en retirer qui soit satisfaisant, qui nous aide à titre collectif comme individuel à nous sentir utiles : de même que des enseignants, engagés pour le maintien d’un service public de l’éducation, pleinement conscients de leurs devoirs en la matière, ont été amenés à saboter les épreuves de contrôle continu pour dénoncer les inégalités que celles-ci surajoutaient à un système déjà inégalitaire, de même les citoyens ont eu à choisir entre le devoir de confinement et le devoir d’électeur, chacun reprochant au tenant du choix opposé de déroger à la règle commune, d’être un mauvais citoyen. Pendant que nous nous anathématisons stérilement, nous oublions d’accuser l’artisan jupitérien de ce supplice, qui doit bien en jouir puisque il a toujours procédé ainsi.
Compte tenu des déchirements intérieurs que vous cultivez en nous, M. le président, vos appels à « l’union sacrée » sont d’une indécence sans nom. Union sacrée avec nos personnels de santé, d’éducation et d’accompagnement, avec les caissières et caissiers des commerces indispensables, avec les magasiniers, les postiers et livreurs, oui, avec vous et vos comparses, non. Allez dire en face aux enseignants qui se sont escrimés en quelques heures à fournir en contenus les plateformes internet de l’Éducation nationale, plateformes à ce jour dysfonctionnelles et inaccessibles, allez dire en face aux parents qui s’y connectent en masse pour assurer une illusion de continuité des enseignements que les services de l’État étaient prêts, avaient anticipé. Rappelez-nous quelle est la richesse, le niveau de développement infrastructurel et la situation de notre pays dans l’ordre international.
On voit bien tout le sens et le but de la manœuvre rhétorique : ne pas poser les bons mots sur la chose, ou le faire avec retard, ou déléguer à d’autres le soin de le faire, pour ne pas avoir à être comptable de la décision de ne pas l’avoir mise en œuvre beaucoup plus tôt. Stratégie élusive, dilatoire, en un mot désespérée, bien digne d’un Napoléon de pataugeoire, mais qui ne change rien à la nécessaire reddition des comptes à la sortie de la pandémie, car il faudra un exutoire au confinement strict et long qui s’annonce, un exutoire à la colère qui nous enfièvre, à ce printemps confisqué en plein hiver social et environnemental.
M. le président, vous dirigez en comptable et vous êtes donc comptable, avec vos ministres et vos conseillers, et l’ensemble de la classe politique qui vous a suivi par calcul dans votre marche à l’abîme, de la chaîne de décisions qui nous a menés au point de bascule où nous sommes. Il est de notre devoir, à nous citoyens, d’en dresser l’inventaire complet. D’aucuns n’ont pas attendu le coronavirus pour s’y atteler. Vous êtes la pestilence, vous portez la couronne virale d’une royauté nuisible, et nous vous enverrons l’addition avec le désinfectant. S’il y a une guerre à conduire, elle le sera par nous, contre un ennemi visible, vous-même et les vôtres, en instruisant votre procès, qui est aussi un peu le nôtre, mais nous ne sommes pas chefs de guerre.