Avec George Bush junior, nous avons eu le supercowboy ; avec Hollande, nous aurons le supercop[*].
Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, passé la minute de sidération, l'évènement superlatif, celui qui marque un avant et un après, est un formidable stimulant pour l'activité cérébrale. Loin de l'inhiber, l'avalanche d'informations et de commentaires fortifie mon sens critique. La machine analogique tourne à plein régime et clarifie les intentions de nos gouvernants et représentants, pour ne rien dire de celles de nos informateurs et commentateurs, lesquelles, en temps normal, ne sont pas aussi aisément déchiffrables. C'est ainsi que ce matin, dans ma caboche effervescente, se sont entrechoqués fort significativement quatre éléments dont ce montage à partir de l'affiche du film Judge Dredd de Danny Cannon (1995) est le fruit.
Le premier est le courriel d'un ami qui me signale une intervention inquiète de Pierre Rosanvallon sur France Inter au sujet de l'état d'urgence, de sa prorogation et, plus largement, de la réponse autocratique de François Hollande aux attentats. Rosanvallon récuse le terme de régression démocratique. Il y voit plutôt une dérive, car même dans la République romaine, qui a connu des situations d'exception carabinées, on n'accordait le titre de dictateur que sur décision du sénat, à une personne extérieure au pouvoir exécutif, avec un contrôle populaire et l'interdiction de légiférer, le pouvoir du dictateur se limitant à prendre les mesures temporaires ad hoc pour faire face aux menaces immédiates. Un état d'exception exige de la représentation politique une intelligence et une probité d'exception. Dès lors que nos présidents sont protégés par l'immunité, chose inconcevable dans la démocratie athénienne, mais tout à fait concevable dans une infradémocratie, ils ne sont plus tenus d'être intelligents et probes. Ils se contentent d'être réactifs, et après eux le déluge.
Cela nous amène au deuxième élément, la permission donnée aux policiers de porter leur arme de service en dehors des heures de service. On se sentira tellement plus rassurés de voir des flingues partout. Et tant pis si à la fin on ne sait plus à quel saint se vouer au milieu de tous ces porte-flingues en vadrouille, puisque les terroristes n'ont apparemment aucun mal à se procurer des brassards de police. On n'a rien sans rien. En voilà une mesure qui a été mûrement réfléchie ! À la prochaine étape, les policiers seront autorisés à tirer à vue et sans sommation sur tout ce qui court, crie, porte la barbe longue et drue et est un peu enveloppé. Les amateurs de cosplays vikings, les supporters alcoolisés de foot ou de rugby et les zadistes dreadlocketeux n'ont qu'à bien se tenir.
Le troisième élément, ce sont les analyses du psychanalyste Fethi Benslama sur le profil des jeunes djihadistes. Selon lui, beaucoup d'entre eux sont atteints de troubles de l'identité et souffrent d'un déficit d'idéal que seule la psychothérapie brutale, inexpiable et survirile de DAESH se propose de guérir dans les plus brefs délais. La doctrine islamique ne vient que par surcroît et à contre-emploi, du fait de leur ignorance des fondamentaux de l'Islam. Le philosophe Raphaël Logier parle d'une inversion du sens du stigmate, le djihadiste étant béni ou se bénissant lui-même avant d'apporter la preuve qu'il est digne de l'être. À voir la facilité avec laquelle notre président et ses ministres montent aux extrêmes, je me suis dit que la terreur d'État, en infradémocratie, mobilise les mêmes ressorts psychologiques, étant admis que nombre de nos dirigeants souffrent de sociopathie aiguë, ont renié leurs idéaux, pris le contrepied de leurs promesses programmatiques ; quelques-uns sont même des multirécidivistes du délit politico-financier, témoignant par là d'une totale perte de repères. La guerre à outrance et l'autocratisme sont leur cure de radicalité.
Cette confusion des bords qui se construisent en miroir m'a conduit tout naturellement à la figure du juge Dredd, personnage de Comics qui, dans une mégapole postapocalyptique, fait office à la fois de policier, de juge et d'exécuteur inexorable, jusqu'à se retrouver lui-même sur le banc des accusés...
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[*] Cop = "flic" en anglais.