Pour constituer son épopée attrape-gogos, la propagande de DAESH procède avec l'histoire comme elle procède avec le Coran : elle la saucissonne et la met à plat, allergique qu'elle est à la profondeur de champ critique et à l'écoulement du temps, car la critique fabrique de l'incertain et le temps périme tout. DAESH fabrique du mythe, à l'instar de l'imagerie d'Épinal patriotarde, et l'enferme dans le présent éternel des évidences indiscutables, ce qui revient à tuer le mythe, qui a besoin de se perdre un peu pour continuer de produire son effet sur l'imaginaire et la création. Mais on ne demande pas aux djihadistes d'avoir un imaginaire riche, ni de créer quoi que ce soit. On leur demande juste d'être implacables, y compris avec leur propre humanité, et juste assez ingénieux pour bidouiller les arsenaux ordinaires.
Certains commentateurs font un peu vite de DAESH un aérolithe alors que ce mouvement est bien de son époque, laquelle voit fleurir plein de machins "pour les nuls", de vadémécums sur tous sujets qui dispensent les cervelles pressées de mener elles-mêmes un minimum de recherches avant d'embrasser le premier prêche venu. Or, n'importe quel imbécile sait des choses, mais le vrai savant - cela peut être vous ou moi, si l'on s'en donne le temps et les moyens - dira ce qui l'a mené à savoir ces choses, et ce chemin frayé servira de piste, et non d'impasse, à d'autres après lui. En fait, l'imbécile ne sait rien, il opine.
DAESH est également bien de son époque quand il prétend pratiquer une finance islamo-compatible, alors qu'il planque une partie de son trésor de guerre dans des paradis fiscaux (manquerait plus qu'il le planque aux îles Vierges) pour se garantir contre les coups portés à sa rente pétrolière.
Mais où Al-Baghdadi montre vraiment qu'il est le roi des tartuffes régnant sur des cancres et des malfrats, c'est dans le choix qu'il a fait de frapper monnaie[1]. Son système monétaire repose sur trois monnaies, le dinar d'or, le dirham d'argent et le fils de cuivre. Son référent mythique est le calife omeyyade Abd Al-Malik (685-705), à l'origine d'une grande réforme monétaire dans le tout jeune empire arabe multiculturel et multiconfessionnel. J'écris "référent mythique", car si ce calife a bien réformé le système monétaire proche-oriental, il ne l'a pas fait en se conformant à la doctrine du Prophète, comme il est écrit sur les pièces de DAESH, mais en s'inspirant directement, moyennant quelques aménagements symboliques, des systèmes monétaires byzantin et sassanide (du byzantin surtout). Les tribus arabes, avant l'émergence de l'islam, avaient adopté ces systèmes éprouvés et fiables, et les premiers califes les avaient peu ou prou conservés, dans la mesure des stocks, puis imités fidèlement, une fois les stocks épuisés. Le dinar d'or malikien est l'équivalent du solidus d'or romain et tire son nom du denarius romain, qui était une monnaie d'argent. Le dirham tire son nom de la drachme (mot grec) sassanide, qui était aussi une monnaie d'argent. Le fils (variantes fals, fels, pluriel fulus, qui a donné flouze en argot français) tire le sien du follis de bronze romain. Les premiers dinars du règne d'Abd Al-Malik étaient d'ailleurs très proches d'aspect des solidi romains contemporains. Il avait suffi de remplacer au revers la croix par une colonne pour les rendre acceptables par les fidèles musulmans.
Si après plusieurs frappes, on aboutit, à la fin du règne d'Abd Al-Malik, à des pièces purement épigraphiques (sans images), c'est sans doute en raison du conflit idéologique (plus monothéiste que moi, tu meurs) qui opposait alors le califat à l'empire des Rums. Le plus amusant est que l'épigraphie de l'avers de la pièce dite du "calife debout" ci-dessus, qui n'est autre que la profession de foi musulmane[2], rapproche étrangement le dinar malikien du dollar étatsunien, dont la devise bien connue est : "In God we trust." Le jeu paronymique est tentant : "In Gold we trust."
DAESH n'aura finalement construit qu'un état rapace parmi d'autres, dont le vrai dieu est l'indéboulonnable Veau d'or.
DAESH ou le gang des dévots d'or...
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[1] Sur le sujet : http://fr.euronews.com/2015/06/24/premieres-photos-du-dinar-islamique-la-monnaie-de-daesh/.
[2] "Bism Allah la ilah illa Allah wahda la sharik lahu Muhammad rasul Allah" : "Au nom d'Allah, il n'est d'autre Dieu qu'Allah, qui n'a pas d'associé, et Muhammad est son messager".